Jeux et divertissements › Feuilleton collaboratif du mardi

lundi 27 novembre 2017

Peur et stupeur

mardi 9 juillet 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (50)

Ce n'est pas trahir un secret. Le feuilleton se termine avec ce cinquantième épisode. C'est au fidèle Liaan, fidèle parmi les fidèles que revient l'honneur et la lourde responsabilité de mettre un terme à l'aventure et à l'expérience qui fut, malgré tout, intéressante. Bonne lecture !

La Renault 4, conduite par les gendarmes Chapraud et Chapraut, emporte Roland Verne.

— Monsieur Verne, commence simplement le Brigadier Chapraut, nous vous devons des explications...
Le Brigadier Chapraud, qui conduit la voiture complète :
— Oui, Monsieur Verne, nous allons vous fournir des explications, mais en temps et en heure. Considérez vous comme invité à un petit voyage…

Le mot voyage résonne bizarrement dans la pensée de Roland, mais tout en restant prudent, après tout ce qu'il a vécu, ose dire :
— Ainsi, le voyage n'est pas terminé ?
— Non, mais cela ne saurait tarder… lui dit doucement le Brigadier Chapraud, pour l'instant, soyez rassuré, tout va bien se passer…
Roland n'est justement pas rassuré. Et comme si les gendarmes avaient senti la nervosité de Roland, le conducteur accéléra… La Renault 4 quitte la départementale 783 pour s'engager dans une petite route… La panique s'empare de Roland qui veut actionner le mécanisme d'ouverture de la portière, mais rien ne fonctionne :
— Fichu, je suis fichu, pense Roland, Je suis à la merci de ces deux faux gendarmes, ces Chapraudt n'existent pas, la Gendarmerie de Pont-Aven me l'a dit !
— Restez calme, Verne ! lui dit encore le Brigadier Chapraut, tourné vers Roland. Nous n'allons pas tarder à arriver. Vous ne craigniez absolument rien ! Reprenez votre calme ! Roland sue maintenant à grosse gouttes. Se calmer, tu parles… La route secondaire monte légèrement et devant la 4L, apparait une forêt, la voiture ralentit car on distingue une barrière rouge et blanche, comme celle d'un passage à niveau. Des soldats en treillis sont postés de part et d'autre de la route.
— Des militaires ? se demande Roland, qu'est-ce que c'est encore ce truc ?
La voiture de gendarmerie stoppe, un sous-officier s'approche, salue et le Brigadier Chapraut présente une petite enveloppe que le sous-officier vérifie soigneusement, redonne le dossier à Chapraut, et lance l'ordre de relever la barrière. Le sous-officier salue à nouveau le Brigadier Chapraut et la 4L de gendarmerie s'avance sur la petite route qui serpente dans le bois.
— Nous y voilà, dit calmement le conducteur Chapraud à Roland Verne.
Roland verne est atterré par ce qu'il voit devant lui : des baraquement en bois, quatre ou cinq alignés dans une clairière :
— Un camp, Ils m'emmènent dans un camp, pense-t-il.
La Renault 4 s'approche d'un bâtiment en maçonnerie, avec le drapeau français qui flotte, et une dizaine d'hommes de troupe, armés, tout autour.
— Moi qui n'est pas fait mon service militaire, me voilà servi, pense Roland.
L'automobile stoppe à la hauteur d'un gradé qui salue les 2 gendarmes, qui se mettent à descendre du véhicule, échangent quelque mots avec l'officier en montrant Roland qui n'en mène pas large. Puis le gradé ouvre la porte, Roland choisit ce moment pour tenter de s'échapper, le fou !
— Faites pas le con, Verne ! aboie Chapraud.
Mais Roland, tel un renard rusé, ne fonce pas dans la cour, à découvert, mais surprend son monde en fuyant à l'intérieur de la bâtisse. Roland se lance dans le couloir et avise au fond, un sortie de secours qui l'entraine dans une autre cour, vide. Roland a le temps d'entendre des voix qui précisent de ne surtout pas tirer !
Devant le fuyard, au bout de la cour, un immense hangar bouche la vue, roland s'en approche, et décide de se risquer à l'intérieur par une porte latérale. La porte est ouverte, il entre et il reste bouche bée devant ce spectacle qui s'offre à lui : Le Nautilus, gigantesque sous-marin, posé sur des vérins hydrauliques géants ! Resté cloué par la majesté du sous-marin, Roland ne fait pas attention à l'entrée des militaires… Le Brigadier Chapraud s'approche et dit :
— Verne. Tout va bien… Infirmier ?
Un soldat arrive avec du matériel médical, un autre lui relève la manche de Roland, hébété, lui pose un garrot et lui injecte une solution…
Roland s'est laissé faire, tellement abasourdi et se sentant soudainement fatigué, si fatigué…
….
Roland émerge, constate qu'il est dans une chambre d'hôpital, avec un "goutte-à-goutte" dans le bras gauche, allongé dans un lit. Un infirmière entre à ce moment :
— Eh bien, Monsieur Verne, comment vous sentez vous, un peu secoué, non ?
— Alice, dit doucement Roland, en souriant, j'ai été renversé par une voiture, non ?
Un grosse voix lui répond :
— Si ce n'était que cela !
Et apparait le Colonel Chapraud, non plus habillé en gendarme, mais avec la tenue militaire d'apparat correspondant à son grade, accompagné du Général Chapraut, lui aussi en tenue d'apparat.
Le Colonel continue :
— Vous nous en avez fait voir des vertes et des pas mûres, monsieur Verne ! Mais c'est l'expérience qui voulait cela…
— L'expérience ? demande Roland. Une expérience…
Roland ferme les yeux et réfléchit … Toutes ces aventures… Et soudain, tel le flot d'un torrent soudainement libéré d'un lac de retenue, tout lui revint brutalement. Roland sentit sa tête tourner devant le flux de souvenirs, bien plus réels : "L'Expérience" !
Roland Verne, matricule 26-262, volontaire pour l'exploration de la planète Mars, dont le voyage aller représente presque une année terrestre, a été plongé dans un coma artificiel d'environ 340 jours, le cerveau relié à un "simulateur d'aventures" nouvellement créé, aventures écrite par des internautes lambda.
L'expérience fut une quasi réussite, mais Roland a fait du somnambulisme pendant la durée du traitement, non seulement son esprit vivait l'histoire, mais parfois son corps, lui aussi, suivait les péripéties de l'aventure !
— Ah ! dit Roland Verne, vous fûtes de sacré gendarmes plus vrais que nature, mon Général, et vous aussi, mon Colonel !
Le Colonel dit :
— Je ne sais pas si je ne vais pas un peu regretter mon statut de simple gendarme !
— Tiens, vous aussi… remarque le Général, vous aussi…

Là se termine notre feuilleton. D'aucuns disent que Jacques et Suzy seraient les prochains volontaires pour "l'expérience", mais ceci est une autre histoire.

FIN

mardi 2 juillet 2013

(pas de)Tentative de feuilleton collaboratif du mardi

Et oui. Pas de feuilleton ce mardi. Je vous explique pourquoi.

Rien est éternel. Pas plus le feuilleton collaboratif du mardi qu'autre chose. Depuis déjà de nombreuses semaines, le cœur n'y est plus. Je ne vais pas chercher les causes, je m'en fous.
Ce jeu n'aurait sans doute pas dû durer si longtemps. Ce jeu pourrait aussi durer encore bien plus longtemps et même ne jamais s'arrêter.
Nous ne sommes plus que deux à jouer, Liaan et moi. Pour moi, il n'y a pas de souci majeur. Je peux continuer à écrire des épisodes. Même, s'il le fallait, je pourrais très bien me passer de vous et écrire tous les épisodes à venir. Je n'ai besoin de personne pour m'amuser à écrire. Il n'y a aucun problème de ce côté là.
Le gros problème, c'est qu'il semble qu'il n'y ait plus grand monde qui lise le feuilleton. Enfin, je dis cela en me basant sur le nombre de commentaires laissés à chacun des épisodes. Si j'en crois les statistiques, c'est tout autre chose. Les visiteurs sont bel et bien présents et on peut même noter une hausse conséquente de visites à partir de 9 heures le mardi. Etonnant, non ? J'admets sans peine que l'on n'ait tout simplement rien à dire et que l'on se contente de lire ou de parcourir chaque épisode. Mais tout de même.
On pourrait dire beaucoup sur la qualité du feuilleton, des épisodes ; sur le manque de rigueur, sur les invraisemblances, sur les contradictions. C'est là un écueil inévitable de l'exercice, à mon avis. Il y a forcément des détails qui se perdent, des personnages qui disparaissent ou reviennent, des anachronismes et des erreurs. Bon. C'est un jeu. C'était un jeu. Rien de plus.
Dans l'idée, il s'agissait de s'amuser dans l'esprit du "Signé Furax" de Pierre Dac et Francis Blanche. Je ne sais pas si vous connaissez. Il s'agit d'un feuilleton radiophonique qui n'hésitait pas à partir dans tous les sens. L'histoire n'a ni queue ni tête. Le seul guide est l'humour, l'envie de rire et de faire rire. C'était l'idée.
Pour le feuilleton collaboratif du mardi, il n'y avait pas d'idée. J'en avais bien une à la rédaction du premier épisode mais je me doutais bien que personne n'allait me suivre. Il aurait fallu être dans ma tête. De fait, ce feuilleton pouvait prendre n'importe quelle direction et c'est ce qu'il a fait. De l'aventure, du suspense, un peu de sexe, un peu de science-fiction, un peu de policier, un peu d'humour. Il fallait juste que les wagons se suivent tant bien que mal.
Mais bon. Il est arrivé un moment où l'on n'a plus voulu jouer et le feuilleton a commencé sa longue agonie. Il fallait qu'il meure.

Liaan m'a fait parvenir un nouvel épisode. Je ne m'y attendais pas parce que je supposais que personne n'allait livrer de suite. Je me préparais un peu à écrire un épisode ce dimanche après-midi. Mais voilà un épisode qui arrive et qui pose une fin au feuilleton. Le mot "Fin" est bien là. L'histoire se termine.
Et là, j'hésite. Est-ce que je publie cet épisode ou est-ce que je ne le publie pas ? Je suis partagé. Je ne pense pas que le feuilleton repartira et je me dis qu'il est bien qu'il s'arrête. Pour autant, j'hésite. Alors, ne sachant que faire, je me donne une semaine pour réfléchir. Probablement, la semaine prochaine marquera la fin du jeu. On verra.

mardi 25 juin 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (49)

Ping, pong, ping, pong. Le feuilleton ressemble de plus à plus à une partie de ping-pong. C'est Liaan qui livre la suite de ce feuilleton qui n'en peut plus de durer encore et encore. 

Roland Verne s'était installé à Pont-Aven.

Il était vagabond, un Sans Domicile Fixe, un SDF comme on le dit désormais. Roland se souvenait que lorsqu'il était gosse, un SDF, c'était un Scout De France… Comme le SIDA, c'était le Service d'Information Des Assurances… Les sigles existent toujours, mais leur signification change.
Heureusement, Roland Verne avait trouvé l'hébergement avec l'aide de Chantal, avec qui, malgré son penchant pour la dive bouteille, Roland s'était lié d'amitié… Oh ! Amitié, pas plus loin, d'ailleurs, Chantal ne lui faisait pas d'avances, consciente de son état de décrépitude.
Roland avait trouvé du travail grâce à sa cousine Gaëlle : il est jardinier pour la commune de Pont-Aven, et Roland apprécie cet emploi qui le laisse beaucoup à l'extérieur. Roland n'aurait pas aimé rester enfermé dans un bureau.
Roland avait cessé de questionner les habitants du patelin, n'obtenant que du rien du tout. Roland était bien revenu à la galerie tenue par Pierre Aven mais, non seulement le sous-marin en bois exposé avait disparu de la vitrine, Pierre Aven était comme devenu sourd à ses questions sur son enfance et ce petit sous-marin. Roland se disait que Pierre Aven lui jouait une comédie sur des ordres venus d'où je ne sais où...
Roland était revenu dans le petit café de José, et ne parla plus de sous-marin. Seule Chantal continuait à parler de "ces petits bonhommes vus sur la nappe du pique-nique, il y a une trentaine d'années, mais tout le monde s'accordait à dire que la Chantal était un peu fêlée de la cafetière, et que c'était une fille de gendarme, et que cela n'arrangeait pas les choses. Roland s'était mis comme qui dirait "en ménage" avec Chantal, car, pour Roland, c'était un fil, très ténu certes, mais un fil qui le reliait à son aventure dans le Nautilus.

Roland venait de rempoter des œillets d'Inde sur un des parterres de la commune lorsqu'un spectacle curieux lui fit observer la rue principale du bourg : une 4L de la Gendarmerie, gyrophare allumé, poursuit un de ces "pisse-feu" que l'on ne voyait plus guère, une Flandria, ou une Itom, se demande Roland. La rapide apparition du cyclo-sport chassé par une 4L bleue, permet de voir à Roland, qu'il y a une nana à l'arrière de l'auto, et ces gendarmes, Roland les a reconnu : ce sont les Chapraudt ! Le cyclomoteur débridé s'engage à présent dans la direction de la maison de sa cousine Gaëlle...
— Tiens, tiens, pense Roland… Tiens ? J'ai dis tiens ? Tiens, tiens… et la chanson d'Higelin, Fontaine et Areski lui trotte dans la tête...
"Pompiers, pompiers, j'ai des pompiers dans mon zizi !"
Roland va voir son collègue jardinier et lui dit qu'il allait aux toilettes.
— Oh ! Tu pourras rentrer chez toi après : nous avons fini le boulot, on se revoit demain ?
Roland sert la main de son compagnon et se dirige vers la maison de sa cousine Gaëlle.

À la maison de Gaëlle, l'arrivée d'une moto et d'une voiture de gendarmerie fait sensation dans les environs.
Yannick et Gaëlle accueillent comme ils disent leur "Américaine". Dame ! Suzy vit depuis si longtemps dans le Minnesota, chez les z'américains ! Le "boy-friend" Jacques est le bienvenu, comme faisant partie de la famille. Les gendarmes acceptent tout de suite cette occasion de s'humidifier le gosier, après toute cette poussière accumulée sur la route depuis Nantes.
Roland Verne est en vue de la maison de sa cousine Gaëlle, accueilli par l'odeur d'huile de ricin du moteur chaud de la Malag'. La porte d'entrée est ouverte et des éclats de voix joyeuses lui parviennent : il entend parler du Nautilus ! Son cœur bat : Gaëlle et les Chapraudt parlent du sous-marin !
Roland frappe à la porte et Yannick l'interpelle :
— Voilà notre jardinier ! Te v'là débauché à c't'heure ? C'est vrai que l'après-midi est bien avancé...
— Dis moi Roland, tu reconnais Suzy, ta petite cousine qui à tout d'une grande fille, à présent, lui demande sa cousine Gaëlle.
Roland s'incline devant sa petite cousine.
— Tu peux me faire la bise, Roland ! dit Suzy, je ne vais pas te manger !
Roland s'exécute et Suzy lui présente son ami, Jacques.
— C'est vous qui conduisiez la Malaguti, tantôt ? J'ai cru que vous étiez poursuivi par les gendarmes ! dit Roland, et il continue pour demander pourquoi ils rigolaient tous en parlant du sous-marin, le Nautilus ?
C'est Gaëlle qui explique que Suzy allait participer à la réalisation d'un "remake" de "Vingt mille lieux sous les mers" aux "z'états-zunis"… Un sujet qui doit te toucher, Roland ? Toi, le parent le plus direct de Jules Verne, le romancier ?
— Certes oui, cousine Gaëlle, lui répond Roland, je m'intéresse à ce truc...
Yannick ressert les deux gendarmes... Des éponges, pense Roland, la même attitude que dans le Nautilus...
— Tiens, la bouteille est vide ! dit Yannick. Regards désolés des deux gendarmes. Mais il y en a à la cave, continue Yannick, j'vas y aller... Regards réjouis des deux gendarmes.
— J'y vais ! déclare Roland.

Comme cela, j'en aurai le cœur net de cette cave, pense Roland en descendant l'escalier, et il arrive dans cette pièce où se trouvent toujours les deux immenses tonneaux. Dire que derrière se trouve sans doute la solution. Roland avise l'un des foudres, fait jouer le mécanisme d'ouverture, s'avance, et ne peut constater que l'extrémité est murée. Nom de nom, pense Roland. Il prend un tisonnier posé non loin et frappe les parpaings, Cela sonne bien creux, ah, si je pouvais desceller les parpaings !
La voix de Yannick lui coupe le fil de ses pensées :
— Ho ! Roland ? Tu le distilles, le calva ?
Yannick surgit dans la cave et voit Roland sortir du grand tonneau :
— Sacré Roland, continue Yannick, toujours passionné par les souterrains et les passages secrets ? Tu ne changeras pas ! L'accès a été muré comme nous te l'avons dit, et si cela se trouve, c'est tout effondré à l'intérieur ! Allez, montons cette bouteille, les gendarmes sont assoiffés !
Désolé, Roland revient rejoindre les gendarmes, Gaëlle, Suzy et son ami Jacques.

Une Dyane blanche arrive à ce moment dans la cour devant la maison, Roland manque de tomber à la renverse : Alice est au volant !

Subjugué, Roland se précipite vers la voiture, il lui ouvre la portière, et très courtois, il accueille la visiteuse avec :
— Bonjour, Mademoiselle Alice ! Vous avez fait un bon voyage ?
— Bonjour Monsieur que je ne connais pas, comment savez-vous mon prénom ? lui demande Alice. Ah, oui, c'est Yannick ou Gaëlle qui vous ont renseigné. Je suis l'infirmière de la famille, et je viens pour les soins de Yannick.
Gaëlle sur le pas de la porte interpelle l'infirmière :
— Ah ! Voilà notre belle Atlante !
Roland est abasourdi : comment ça ? Gaëlle se souvient qu'Alice est une Atlante.
Gaëlle explique à Suzy et à Jacques que l'infirmière qui s'occupe de son homme se nomme Atlante, Alice Atlante, un curieux nom de famille, non ?
— Et bien, Yannick ? Si c'est comme cela que vous suivez le traitement ? annonce Alice en montrant d'un geste les trois ou quatre bouteilles vides sur la table. Yannick lui répond qu'il n'y touche pas, mais que ces messieurs ont une bonne descente, tout en montrant du menton les deux gendarmes qui regardent ailleurs.
— On s'en boit un dernier, pour la route, dit Chapraud, et on y va.
— Tout à fait, complète Chapraud, un tout petit dernier !
Les deux verres sont sifflés en un rien de temps, donnant l'impression qu'ils n'avaient jamais contenu de calvados. Se levant dans un grand bruit de chaises, les deux gendarmes prennent congé.
Roland Verne s'enhardit :
— Dites moi, Messieurs, vous repassez par le bourg ?
— Ma foi, oui, pourquoi cette question, mon ami ?
— Je profiterais bien de votre 4L, messieurs, sauf votre respect, j'aime beaucoup ces voitures... Qui ne sont plus toutes jeunes d'ailleurs...
Les gendarmes remontent dans leur véhicule, après avoir cérémonieusement invité Roland à s'installer à l'arrière, et installés, la Renault s'élance.
Histoire de parler, Roland dit aux gendarmes :
— C'est une bonne voiture, la Renault 4, étonnant que vous en ayez encore une en service. Je croyais que les brigades de Gendarmerie avaient désormais des Clio ou je ne sais quoi. Votre auto a nettement plus de vingt ans, c'est devenu pratiquement une auto de collection, non ?
— Hon. fut la seule réponse des gendarmes.

La Renault 4L bleue de la Gendarmerie tourna à gauche, dans la direction opposée de Pont-Aven, au grand effroi de Roland Verne.

mardi 18 juin 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (48)

Nous en étions où ? Ah oui ! Des os de ptéranodons plus vrais que nature, un handicapé en fauteuil roulant qui tient une galerie d'art et vient de récupérer une maquette de sous-marin, des protagonistes qui disparaissent ou qui perdent la tête. On était à Pont-Aven, je vous emmène à Nantes.

Jacques a la haine. Trois heures qu'il s'échine sur sa Malaguti qui refuse de démarrer. Il a changé la bougie, il a gratté les vis platinées, il a soufflé dans le gicleur et il ne sait plus quoi faire. En plus, il vient d'apprendre que l'avion de Suzy, sa copine qui arrive tout droit du Minnesota a trois plombes de retard. Il ne se voit pas attendre sa rousse dans cette sale salle d'attente de la gare de Nantes. Alors, comme il ne peut pas rester en place, il part explorer le dépotoir de l'aérogare qu'est juste en face. Là, vautré sur la banquette d'un jumbo-jet déglingué, il se met à rêver de New-York, à l'Empire State Building, à l'effroyable King-Kong qui agrippe sa copine qui hurle comme un klaxon. Sur sa banquette qui se balance comme un rocking-chair, il se roule une cigarette dans un fourreau de papier zig-zag à bord doré tandis qu'une mouche assommée par la chaleur de l'été vient se poser sur ses lèvres. Désœuvré, écrasé par le poids de l'ennui, trop fatigué pour la chasser, Jacques ferme les yeux et réfléchit paresseusement à sa mob. Tête en l'air, il a comme un vague à l'âme. Il n'a décidément rien d'un géant Jones ou de quelqu'un de cette trempe. Il n'est rien qu'un grain de poussière, il ne fait que ce qu'il a toujours fait, juste ce qu'il sait faire, le minimum. Et Suzy qui n'arrive toujours pas !
Il avait tout prévu pour accueillir son amour, Jacques. Il avait mis le Champagne au frais. Enfin le mousseux mais c'est pareil. Pour lui, il avait quelques bières. Il préfère. Il avait rangé un peu sa piaule et nettoyé les chromes de sa Malag'. C'était sans compter sur son caractère de feu d'Italienne. Plus capricieuse qu'un aéroplane blindé mais qui tape le 100 km/h mieux que si elle carburait avec trois tonnes de TNT. Quoi que là, il avait eu beau s'échiner et suer sur le kick-starter, le moulin n'avait pas daigné péter. Encore une plombe à attendre. Depuis son boxon, Jacques tourne la tête vers sa machine. Il y a une bande de loubards qui est en train de se maraver la gueule. Il garde un œil sur la bagarre. Pas question qu'on touche à sa meule. Tout de même pas tranquille, il se lève et revient vers l'aérogare. Il y a là une bonne douzaine de rombières qui finissent leur bouteille de Joker©. Un voyage organisé, sans doute. Les charmes insoupçonnés du pays Nantais et tout le toutim. Il traîne, il fait les cent pas dans le hall. Il a envie d'une mousse au chocolat, il n'a pas un flèche en poche. Tant pis. Les panneaux d'information annoncent l'arrivée prochaine du Boeing de quinze heures trente-trois. Jacques traîne ses baskets vers les arrivées.
Il aperçoit sa Suzy. Il court vers elle. Embrassades, larmes de joie et de bonheur et engueulade lorsqu'elle apprend qu'il est venu la chercher avec sa mobylette pourrie.

— Et c'est où que je vais mettre ma valise, débile ?

— J'la mettrai sur le réservoir, t'inquiète, poupée.

Au comptoir proche, un vieux légionnaire s'endort sur sa bière. Un matelot de Saint-Malo serre une fille dans ses bras. Entre Jacques et Suzy, c'est la soupe à la grimace. Ça commence bien. Surtout que Jacques est bien obligé d'expliquer que la Malaguti fait un caprice.

— J'appelle un taxi, tu rentres à pied en poussant ta merde, préviens Suzy. File-moi du blé.

— J'ai pas de monnaie, j'ai tout mis dans le réservoir.

— T'es vraiment trop con, Jacky.

Jacques baisse la tête en signe de contrition. Il a mal joué sur ce coup. Ceci dit, ça lui permet de voir qu'il avait juste oublié d'ouvrir le robinet d'essence. Il est vraiment trop con, ce pauvre Jacky. Il ouvre l'essence, il titille le carburateur, deux coups de kick et le petit deux-temps s'ébroue dans un hurlement joyeux.

— En route, la môme ! On décolle !

Il tend un bol Altus à sa passagère, il place la valise sur le réservoir et le menton collé au cuir du bagage, il lance les bras vers les bracelets chromés. Un regard dans le rétro, une pression de l'orteil sur le sélecteur et le bolide s'envole dans un panache bleu et un feulement félin. Suzy enroule ses bras fins autour du cuir du pilote. La magie a lieu, la réconciliation est gagnée. C'est beau, l'amour, quand même !

Sauf que, manque de bol, au rond-point, il y a les pandores avec leur foutue 4L. Les cognes, ils n'aiment pas les tasses vociférantes. C'est recta, coup de sifflet, index qui pointe le bas-côté. Il faut obtempérer.

Salut militaire.

— Gendarmerie Nationale. Z'avez les papiers du véhicule ? Carte grise, certificat d'assurance, permis de conduire.

— Vous allez loin dans votre équipage ? Demande l'autre gendarme.

Jacques fouille dans la poche intérieure de son Perfecto. Il en extirpe les papiers demandés ainsi qu'un reste de shit qu'il avait oublié. Les gendarmes ne cillent pas. Tant mieux.

— On va vous contrôler l'alcoolémie.

— J'ai rien bu.

— C'est qu'est-ce qu'on va voir.

Le gendarme retourne à sa 4L pour chercher un ballon.

— Gendarme Chapraud, il reste des ballons ?

— Oui, Chapraut. Dans la sacoche.

— Ils sont valables ?

— J'ai testé, je peux vous dire qu'oui !

Chapraud revient de la voiture avec un alcootest. Il en a profité pour s'envoyer une rasade de calvados. Son haleine l'atteste.

— Soufflez là-dedans, ordonne-t-il

— J'aime autant pas, dit penaud Jacques.

En fait, il n'est plus bien sûr de ne pas avoir bu une bière ou deux, tout à l'heure.

— Faites pas l'enfant. On sait ce que c'est. On est gendarmes, on connaît la vie.

Jacques tente la conciliation mais rien à faire, les gendarmes veulent lui nuire. La mort dans l'âme il gonfle ses joues et expulse l'air vicié à travers le tube qui prend une étonnante quoi que sympathique couleur du plus bel effet.

— Bravo ! juge Chapraud

— Chapraut !

Jacques se voit déjà menotté, conduit au poste, devant le tribunal, une forte amende à la clé, le casier judiciaire moins vierge que la vieille pute de la rue de la Pipe. Ça ajouté à l'alcool et à l'émotion des retrouvailles avec sa Suzy, il craque, Jacques. Il voudrait qu'on lui enfonce le poing dans sa gueule ouverte jusqu'au cœur, jusqu'aux tripes. Les larmes arrivent et coulent à flot. Il tombe à genoux et supplie les gendarmes.

— Allez ! A toi qui pleures, qui hurles et qui te lamentes, j'ai dégoté une boisson de derrière les fagots. J'ai là au fond du sac un truc anti trac dont tu me diras des nouvelles.

Et Chapraud va chercher une bouteille dans son véhicule de fonction.

— C'est du bon, tu verras, fils, dit docte Chapraut. Direct de Pont-Aven ! Un calvados dont tu me diras des nouvelles.

Jacques empoigne le goulot et noie son chagrin dans une brûlante lampée de pomme frelatée. Ça lui fait du bien, ça lui requinque le moral.

— Bois pas tout ! On n'a pas fini notre journée !

— Allez, t'es un brave gars, juge Chapraut. Passe la bouteille.

Suzy est estomaquée. Elle n'en revient tout simplement pas. Elle n'aurait jamais pu imaginer une chose pareille.

— Vous connaissez Pont-Aven ?

— Sûr ! Noël et moi on a failli y être gendarmes.

— J'ai un ancêtre mort pour la patrie qui a commandé la brigade, confirme Noël Chapraud

— Mais on a pas pu, dit Léon Chapraut, la voix basse pleine de regrets.

— Non, on a pas pu.

— Rapport à une triste affaire de quand on était jeune.

— Ouais. Une affaire de bateau et de sous-marin.

— Et de gamin qu'on a un peu trop molesté, précise Chapraut, aussi, Chapraud.

— Faut reconnaître. Comment qu'il s'appelait ce petit gamin, au fait ?

— Pierre, je crois.

— Ah oui, Pierre, c'est ça. Aven ! Pierre Aven !

— Exact ! Quelle mémoire ! Ça mérite récompense !

La bouteille tourne. Suzy lui fait honneur. Elle est de Pont-Aven, Suzy. Née native de Bretagne. Elle y a une tante et un oncle. Gaëlle et Yannick. Ça lui fait penser qu'elle irait bien leur rendre visite. L'idée lui trotte dans la tête qui vacille un peu après le calvados de contrebande. Elle réfléchit à son projet. D'un coup de Malaguti, pour aller de Nantes à Montaigu chercher ses affaires chez sa copine Caroline et départ pour Pont-Aven avec son Jacques d'amour.

— Jacques, on irait pas à Pont-Aven ?

— En malag' ?

— Bien sûr !

— Alors ouais !

— On irait bien aussi, interviennent les gendarmes.

— Vous prendrez les bagages dans la 4L !

— C'est d'accord !

— Le chef va pas être content, note Chapraud.

— Il s'en rendra même pas compte. Et puis, qu'on soit en train de nous faire chier à faire chier le peuple ou qu'on soit ailleurs, hein ?

— T'as raison Chapraut ! T'es un pote !

— Un peu de tenue, gendarme Chapraud !

— Z'avez raison.

La bouteille fait un dernier petit tour et, une fois vidée, Jacques l'envoie exploser contre un camion qui passe de l'autre côté du rond-point.

— C'est trop cool ! On part quand ?

— Maintenant ! s'écrient les trois voix de Suzy et des gendarmes.

Aussitôt dit, aussitôt fait. C'est un improbable cortège qui prend la route pour Montaigu et qui, quelques heures plus tard file sur la route nationale en direction de Quimper. Suzy a finalement préféré voyager à l'arrière de la 4L où elle peut piquer un roupillon. La pomme fait dormir.

Il y a deux cent cinquante bornes. Le Malag' bien affûté aux transferts amoureusement limés tient un bon 80 km/h. La 4L peine à suivre le train d'enfer. La traversée des villages se fait à l'arrache, gyrophare et sirène lancés à fond la caisse. Des témoins jureront avoir vu des voitures de gendarmes poursuivre une horde de motards.

Ravitaillement et pause pipi dans une station Antar. On en profite pour faire le plein des véhicules. Au guichet, un journal affiche à la une l'affaire de la découverte d'os de dinosaure et pose la question qui alimente toutes les discussions depuis quelques semaines. Vrais os ou canular ? La suite est à lire page 8. Suzy a vaguement entendu parler de cette affaire depuis le Minnesota où elle étudiait l'influence de l'œuvre de Jules Verne sur le mouvement beatnik et sur la naissance de la musique psychédélique américaine. C'est une intellectuelle, Suzy, malgré les apparences. Elle va page 8 et parcourt en diagonale l'article. Il y a des avis d'experts, des témoignages de témoins, la position de l'église et l'opinion des politiques. L'affaire met en émoi le microcosme scientifique local qui s'étripe entre sceptiques et partisans.

Le professeur Norvetau, éminent archéologue local est persuadé de la véracité des faits et n'hésite pas à avancer que les dernières avancées en matière de datation au Calva 40 en disent long tout en reconnaissant "qu'il y a un os". Le docteur Gisèle Foo-Trac note "une recrudescence étonnante et inquiétante de cas d'amnésie totale ou partielle" parmi la population locale et affirme qu'elle-même ne peut en dire plus, ayant en partie perdu la mémoire de ce qu'elle voulait dire. L'émotion est à son comble à Pont-Aven. Un étranger de passage par Pont-Aven qui ne peut dire ce qu'il y fait réellement n'hésite pas à déclarer : "J'ai tout de même l'impression d'être mené en bateau dans toute cette histoire...". Cet étranger qui répondrait au patronyme de Roland Verne est à la recherche d'un ami qui se prénommerait Robert avec qui, il en est presque certain, il serait arrivé là à bord d'un sous-marin. "Parmi les habitants, certains tiennent des propos des plus étonnants comme ce tenancier de bar que nous avons rencontré et qui nous a déclaré : tant que le diable chaque soir jouera du luth dans mon placard, il f'ra beau si beau. Nous naviguons en pleine confusion", ajoute le localier, photo à l'appui de ses dires. Cette photo représente un galériste de la commune bien connu à qui l'on reconnaît bien du mérite eu égard à son handicap qui le cloue à une chaise roulante depuis son enfance. Ce galériste, Pierre Aven, dresse une maquette de sous-marin en affirmant à qui veut l'entendre que la solution est là. Malheureusement, lui non plus ne peut donner plus d'information. Un ancien boulanger à la retraite que l'on connaît ici comme "le père Kermitt" raconte à la cantonade, lors de ses rares moments de lucidité précaire, que l'on lui aurait volé une motocyclette de marque BMW alors même que l'on lui aurait endommagé une autre moto de marque BSA, une 350cc, précise-t-il. Il déplore aussi une diminution de sa réserve personnelle de calvados. "Le trouble règne en maître dans la localité d'habitude si tranquille de Pont-Aven et les autorités, gendarmerie nationale en tête, déploient toute leur énergie pour faire revenir le calme et la raison au sein de la population. Un gendarme qui souhaite conserver l'anonymat croit se souvenir confusément d'un véhicule retrouvé dans un étang et note avec une pointe d'amertume et d'accent méridional que tout cela ne serait pas arrivé du temps du commandant Chapraud, mort pour la patrie en 1915", poursuit le gratte-papier du cru avant de conclure en se demandant si cette affaire obscure de 4L retrouvée dans un étang proche ne serait pas en lien avec l'histoire du sous-marin dont on parle à mots couverts. "Le Nautilus de Pont-Aven serait-il le pendant du monstre du Loch Ness pour l'Ecosse" ose-t-il.

En début de soirée, une Malaguti fumante et pétaradante poursuivie par une 4L de la Gendarmerie Nationale pénètre dans l'artère principale de Pont-Aven. Sur leur passage, la population s'arrête et se fige dans une stupéfaction totale. Jusqu'à Bébert qui stoppe son omnibus pour mieux observer la scène.

— Ben quoi ? Ils ont jamais vu de gendarmes, par ici ? s'étonne Chapraut.

mardi 11 juin 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (47)

C'est la débandade dans les rangs de la troupe de notre histoire. A peine débarqué à Pont-Aven, chacun part vers ses occupations comme si de rien n'était. Restés seuls, Roland et Robert, se posent bien des questions. Trouveront-ils des réponses ? Liaan qui prend la suite nous en dit plus sur cette affaire somme toute assez étonnante.

Robert et Roland continuait à observer l'horizon...

— Oh, énorme ce bateau, il faut relativiser, il est quand même loin, dit Roland, la mer est assez loin d'ici.

— On doit continuer de grandir, assure Robert, on mesure peut être trois ou quatre mètres de haut, en ce moment, après ce sera dix, vingt, trente mètres !

Tout en disant cela, Robert élève sa main vers le haut, et il tend tout son corps en ne s'appuyant que sur une jambe, cherchant à toucher le ciel.

— T'es con, Robert, on a notre taille normale : regarde les fils téléphoniques, les poteaux ne sont pas minuscules, lui répond Roland.

Les deux hommes, les mains dans les poches, se dirigent tranquillement vers l'agglomération de Pont-Aven.

— Il y a quand même pas mal de choses qui clochent dans notre aventure, lance Roland.

— Quoi donc ?

— Le fait que tout le monde foute le camp ainsi, avec une décontraction qui me sidère, comme si tout était normal et ordinaire, lui précise Roland. Et ces incursions dans le passé...

— Et alors ? interroge Robert.

— Tu trouves normal que, que ce soit à l'ère préhistorique, en 1892 et dans les environs de 1970, l'on ne puisse pas rester un peu de temps, je ne dis pas des mois, mais au moins quelques jours ?

— Ah ?

— Oui, c'est curieux, continue Roland... Comme si on ne devait pas s'attarder dans une autre époque que la nôtre... Tiens, je vais te dire le fond de ma pensée. C'est comme dans les rêves, tu vas découvrir quelque chose d'important dans une maison, ou un autre lieu, tu t'approches, tu vas savoir, et là paf ! Soit quelqu'un apparait et t'empêche de trouver, ou tout bêtement, tu te réveilles.

— Roland pense que nous sommes manipulés ! déclare Robert en écartant les bras.

— Oui, sincèrement, Robert, je suis persuadé qu'il y a quelqu'un ou quelque chose qui tire les ficelles derrière tout ça. Un autre exemple : on met je ne sais combien de temps à chercher le Nautilus, et pouf ! Le Nautilus apparait soudain devant nous...

— Lafleur, enfin, celui qui se faisait passer pour Lafleur, nous a expliqué qu'il maîtrisait le temps et qu'il pouvait naviguer à son gré dans les méandres du temps...

— Et a anticipé notre découverte, coupe sèchement Roland, nous cherchions à gauche, à droite, ici, plus loin, dans des papiers ou des tableaux... Et "Lafleur" s'est approprié toutes nos trouvailles !

— C'est normal, moi, à sa place, j'aurais sans doute agît de même ! Si tu as les moyens de voyager dans le temps, continue Robert, tu t'en sers !

— Mouais, je ne suis pas convaincu,lui répond Roland, il y a autre chose que "Lafleur"...

— Les Atlantes, alors ? Alice est un genre d'agent secret qui poursuivait le dénommé Némo devenu Lafleur, et voilà...

— Y'a trop de choses de bizarres, toute cette histoire me paraît trop simpliste...

Tout en discutant, les deux hommes étaient maintenant vers le centre ville, dans la rue principale...

— Ben dis donc ! s'exclame Roland, qu'est-ce qu'il y a comme galeries de peinture dans ce patelin...

— Eh ! on est dans une cité de peintres et de galettes, lui fait remarquer Robert, t'as vu le film avec Marielle ?

— Bien sûr ! Hé, ho ! Regarde ! Là, dans cette vitrine, montre du doigt Roland.

— Oui, et alors ? Tu me casses les pieds avec tes soupçons de mystères et tout ça, lui dit sèchement Robert. Je vais boire un coup dans ce bistrot, tu fais ce que tu veux...

Et accompagnant le geste à la parole, Robert entre dans le café voisin tandis que Roland regarde attentivement la vitrine de la galerie : une maquette en bois, certes grossière, une maquette du Nautilus ! Un Nautilus identique a celui qui a transporté tous les personnages de l'aventure...

— C'est du Tintin, pense Roland,comme dans "l'oreille cassée"; Tintin voit sa figurine primitive dans je ne sais combien de boutiques...

Le propriétaire de la galerie a mis son nom sur la vitre de la porte d'entrée : Pierre Aven, c'est bien un gars du cru, constate Roland, en entrant dans la boutique.

Cling ! fait un petit carillon, Roland a le temps d'observer les autres toiles exposées à l'intérieur, avant que quelqu'un vienne... Beaucoup de marines, de paysages bretons, des tableaux "à la Gauguin"...Un tableau l'interpelle : d'une facture assez naïve, il ressemble en gros à ce fameux tableau de Tante Etzelle où ils cherchaient tous des indices pour retrouver le Nautilus. Roland retrouve dans la toile, cette plage, l'amorce d'un tunnel avec ce voilier dont le nom est, ici, très lisible : Azerat ! Roland regarde la signature : Loiseau... Loiseau, connais pas ce peintre... Mais je ne connais pas les autres peintres non plus... Tout à ses pensées, Roland sent soudain une présence : un homme barbu, d'un cinquantaine d'années se trouve derrière lui, assis dans un fauteuil roulant.

— Monsieur est amateur de toiles et désire peut-être un renseignement, lui demande le marchand.

— Non, ce qui m'a fait venir dans votre galerie, c'est ce sous-marin exposé en vitrine...

— Ah, le "Sultan" ? C'est ainsi que je l'ai baptisé, il y a fort longtemps, c'est un souvenir d'enfance...

— Un souvenir ? interroge Roland.

— Oui, c'est un sous marin que j'ai fabriqué lorsque j'avais onze-douze ans... suite à une aventure vécue...

— Comment cela ?

— C'est simple, j'avais onze ans lorsque j'ai trouvé un sous-marin miniature au bord d'un étang, dans les environs, un sacré beau modèle en métal, avec tous les accessoires, c'est bien simple, on aurait dit un sous-marin qui aurait été miniaturisé ! Piqué au vif, Roland sort de sa poche le Nautilus et le montre au marchand. Ce dernier a les yeux presque exorbités et reste un moment silencieux, puis d'un voix étranglée dit :

— C'est tout a fait lui, un peu plus petit, mais c'est lui ! Et, les larmes aux yeux, il manipule le petit sous-marin de ses doigts tremblants. Tout à fait le "Sultan" !

— Racontez-moi, lui demande Roland.

— C'est un peu la raison de mon infirmité, déclare Pierre. J'ai trouvé ce sous-marin lorsque je faisais voguer mon petit voilier, le "Fantôme", mais une méchante bande de gamins de mon âge m'a fait fuir, mon voilier a été brisé par les vauriens, et j'avais caché le sous-marin dans l'appenti de la maison... La nuit venu, j'ai voulu le faire naviguer dans l'étang, mais le sous-marin a coulé, et la bande de garnement m'est tombée dessus, m'a filé une roustée et m'a laissé pour mort dans l'étang... Je suis resté plusieurs mois à l'hôpital mais les médecins n'ont pas pu sauver mes jambes... J'avais fabriqué cette réplique du sous-marin pendant ma longue période de convalescence...

Ému par le récit, Roland n'osa pas dire qu'il était dans ce sous-marin, il y a peu de temps... Pierre ne l'aurait pas cru.

Avec un petit pincement au cœur, Roland sort de la boutique, il a donné le Nautilus à Pierre Aven...

Puis il se dirige vers le petit café pour y retrouver Robert et lui narrer toute cette histoire troublante. Le café est presque désert à cette heure, un rapide coup d'œil le renseigne, Robert n'est pas là, peut-être aux toilettes, pense Roland... Il s'accoude au bar, commande un demi, et interroge le bistrotier sur la présence de Robert. Le patron lui dit qu'un garçon de l'âge de Roland était bien venu dans son bar, a bu un demi, et est parti, il y a bien vingt minutes... Interloqué, Roland boit son verre, paie et sort du bistrot en concluant :

— Il y a vraiment quelque chose qui cloche dans toute cette histoire : les personnages que je côtoie disparaissent un à un... Roland regrette d'avoir laissé le Nautilus au galiériste, il veut y retourner, mais devant la boutique, il constate que le bec de cane est retiré, et un petit panonceau lui indique "fermé".

Une embrouille de plus, se dit Roland, qu'est-ce que je puis encore faire à Pont-Aven ? Et si j'allais rendre visite à Cousine Gaëlle ? Elle m'éclaircirait pas mal de choses. Sitôt pensé, sitôt agi. Roland prit le chemin de la maison de Gaëlle Labornez, située plus à l'est de Pont-Aven. Tout en cheminant, Roland réfléchit et se dit que Robert avait l'air de plus ou moins rigoler lorsque Roland lui disait que l'on étaient manipulés...

La cousine Gaëlle ne devrait pas être trop étonnée de me voir, nous ne nous sommes quittés que depuis ce matin. Mais arrivé à la maison de Gaëlle, c'est Yannick qui lui ouvre la porte.

— Cousin Yannick ! déclare Roland, je te croyais mort !

— Le cousin Roland Verne ! Ben ça, je te remercie, c'est vrai que nous ne nous sommes pas vus depuis un sacré bail, mais tout de même, me croire mort, tu en as de bonnes !

La cousine Gaëlle choisi ce moment pour apparaître :

— Roland ! s'écrie-t-elle, c'est bien toi ? J'attendais ta visite, après la lettre que tu m'as envoyée...

— Ma lettre ? dit Roland, et immédiatement, il repense à l'envoi des documents sur le Nautilus, envoi effectué, il y a, il y a, combien de temps déjà...

— Tu m'as envoyé des papiers que je ne devais remettre à personne d'autre que toi, tu te souviens...

— Oui, Cousine Gaëlle, je me souviens bien.

Et Gaëlle de se retirer dans la chambre pour aller chercher l'enveloppe... Devant un verre, Yannick demande à Roland :

— Alors, pour toi, j'étais décédé... Et on peut savoir de quoi ? Perplexe, Roland répond :

— Ben, en mer... Vers 1975...

— 1975... réfléchit Yannick, c'est vrai qu'il y a eu de beaux grains cette année là... Ah, si ! Je me souviens, la Gaëlle m'avait demandé de me faire porter pâle, deux ou trois jours avant une brusque tempête en mer, qui avait surpris les météorologues de l'époque... 1975, c'est bien ça. Beaucoup de camarades ont disparu cette année là... Ta cousine a eu le nez creux pour m'avoir empêcher de partir à ce moment là... J'ai l'impression qu'elle avait dû avoir, comment dirai-je ? une vision, voilà, une vision, tu sais, les bonnes femmes ont un sixième sens...

— Taratata ! les bonnes femmes comme tu dis, mon Yannick, c'est la sauvegarde de l'espèce humaine, je te dis, si il n'y avait pas les bonnes femmes, comment feriez-vous pour vous reproduire, vous, les hommes ? demande la Cousine Gaëlle... Bon, mon gars, il y a un problème : je ne retrouve pas ton enveloppe, pourtant, elle était bien rangée, mais je n'arrive pas à mettre la main dessus...

— Ce n'est pas grave, Cousine Gaëlle, ce n'est pas grave... (Un élément de plus qui disparaît, pense Roland, inutile de parler du Nautilus, Gaëlle n'y entraverait que pouic...).

— Tu restes à manger avec nous, il va être l'heure de la soupe, propose Yannick. Roland accepte. Tout en se restaurant, Roland demande aux époux Labornez :

— Je repense à un truc caractéristique de votre maison, vous avez toujours la cave à double-fond ?

— Cave à double-fond ? dit Yannick.

— Oui, cela vous servait de planque pendant l'occupation, vous y avez planqué aussi bien des juifs pourchassés, des aviateurs alliés, que des armes parachutées... Et le poste émetteur, dont l'antenne était reliée à votre fil à linge, dans le jardin...

— Oui, notre maison à rendu de sacrés services pendant l'occu, mais vers 1975, ou 1976 je crois, hein Gaëlle ? demande Yannick.

— Oui, 1976, l'année de la grande sécheresse, complète Gaëlle.

— En 1976, les services municipaux ont muré notre "double-fond" comme tu l'appelles, Roland, à cause des risques d'effondrement, de possibles éboulements, les galeries étaient taillées dans la craie...

Après avoir évoqué des souvenirs concernant essentiellement l'enfance de Roland, ce dernier prend congé de ses cousins, et reprend le chemin de la ville.

Roland repense à Alice... Elle avait pu répondre au souhait de Gaëlle...

Sur le chemin, il vit le petit café "Chez José" et décida d'y entrer. Dans la salle, pas grand monde, Roland reconnaît le cafetier, qui était prisonnier, avec les gendarmes, dans le Nautilus. Roland salua et alla s'asseoir près d'une fenêtre, José vient s'enquérir, mais ne reconnait pas spécialement Roland. J'aurais été étonné, pense pour sa part Roland. Un café, ça marche ! dit José après avoir essuyé rapidement la table en formica, avec son torchon. Une voix éraillée attira le regard de Roland vers une dame d'une bonne cinquantaine d'année. José cria presque :

— La ferme, Chantal, ou parle moins fort, tu ennuies tout le monde avec tes histoires de petits bonshommes au pique-nique... Tu radotes, Nom de Nom !

Roland est troublé par cette femme déformée par l'alcool, qui a dû être jolie lorsqu'elle avait la vingtaine... Dans les années 1970, Johnny, le mange disque... Roland avise un juke-box, comme dans le temps, c'est vrai que l'on en voit de moins en moins, des juke-box... Roland se lève et s'approche de l'appareil, il faut mettre des francs ! La dénommée Chantal lui dit qu'il faut échanger des euros contre des francs pour faire marcher le bastringue. Poliment, Roland la remercie et se rend au comptoir où José lui donne six pièces d'un franc contre la pièce d'un euro qu'il tend à José. Il se dirige à nouveau vers le juke-box et surpris, il remarque parmi les titres disponibles, "Mamy Blue" par Joël Daydé et ses Pop-Tops... Il sélectionne ce titre et à peine les premières mesures interprétées que Chantal vient vers Roland et lui dit :

— Monsieur, vous me sauvez la vie ! Comment avez-vous su que c'était ma chanson préférée ?

L'haleine chargée de vin blanc fit reculer Roland qui alla s'asseoir à la table, devant sa tasse. La Chantal s'assit d'autorité face à lui... Elle reprend :

— Cette chanson est gravée à jamais dans ma mémoire, c'était un après-midi, dans la campagne, on faisait un pique-nique avec les copains... Quand j'ai vu ces petits bonshommes, tout petits, et Chantal de mimer avec son pouce et son index une hauteur de trois à quatre centimètres, hauts comme ça !

— Chantal, tu importunes Monsieur avec tes radotages, lui lance José.

— Donne-moi plutôt un petit verre de blanc que Monsieur va te payer, hein, Monsieur comment ?

— Roland, appelez moi Roland. En lui-même, Roland pensait que la vie est dégueulasse, comment ce beau brin de jeune fille a pu, en quarante ans, se transformer en cette hideuse créature, car pour lui, c'était bien la Chantal qu'il avait admiré quelques heures plus tôt, dans la prairie. Monsieur Roland, vous êtes un monsieur qui aime la beauté, je parie que vous êtes peintre et venu dans le coin pour vous imprégner de l'atmosphère de Pont-Aven... Atmosphère, hi hi hi.

— Oh, la Chantal, doucement, tu n'es pas encore la maire de Pont-Aven, que je sache, pour me commander ainsi...

Malgré tout, José s'approche de la table et verse un blanc sec dans le verre de Chantal, tout en disant :

— Chantal, arrête tes histoires abracadabrantes !

— Comme des histoires de sous-marin ? lance brutalement Roland

— De quoi, de quoi ? De sous-marin ? lance, les yeux furibards, José, qui quelques minutes auparavant avait vu en Roland, le bon client qui allait se retrouver embobiné par la Chantal, et qui permettrait d'alléger l'ardoise de cette dernière.

— Sortez, Monsieur, il est des mots interdits dans ce lieu, sortez ! Votre café et le verre de vin blanc que je viens de servir sont sur le compte de la maison !

Contre son gré, Roland sort et hésite quant à la direction à prendre... Inutile de retourner au café pour demander l'adresse de ce Kermitt, boulanger à la retraite, lui aussi passager involontaire du Nautilus... Roland voit que tout lui échappe, il a vécu des trucs mais tout fout le camp, ses souvenirs coulent un par un, comme du sable sec coule de la main qui tenait une bonne poignée de sable, et, on lui écarte les doigts, à présent... Bientôt, il n'y aura plus de sable...

Une idée soudain lui traverse l'esprit et le met en joie : la gendarmerie ! Les Chapraudt, voilà du concret ! Cons comme ils sont, ils ne peuvent que raconter la vérité ! Direction la Gendarmerie. Roland reprend la direction du centre-ville et en suivant la rue principale, trouve la Gendarmerie, en surplomb par rapport à la rue. Comment vais-je leur raconter cela, sans passer pour un illuminé ? pense Roland. Bon, allez ! J'y vais ! Roland entre dans le hall d'accueil, derrière la banque, un téléphone vient de sonner, un des gendarmes décroche et Roland entend :

— Oui, Chef... Entendu, Chef ! À vos ordres, Chef ! Je n'y manquerai pas, Chef ! Bien entendu, Chef ! À vos ordres, Chef ! Au revoir, Chef !

Le gendarme raccroche et dit à son collègue :

— C'était le Chef !

Et il accueille Roland :

— Monsieur ?

— Roland Verne, journaliste à France-Enquête... Je fais un papier sur les os de dinosaures que l'on a trouvé sur la plage, le long de l'Aven...

— Ah ? C'est que l'on a déjà tout dit sur cette affaire : c'est un canular !

— Mais, reprend Roland, comment un canular a pu prendre autant d'importance, mon Adjudant ?

Le simple gendarme, promu d'autorité adjupète, ne peut qu'expliquer que c'était une blague d'étudiants en médecine venus de Paris, ah, ces Parisiens ! Ils ont laissé traîner des os de bœuf agencés d'une telle manière que même des savants péloéogistes se sont laissés berner ! Des savants, vous vous rendez compte ! Et dire que l'on dépend de ces personnes là, des savants qui se gourent !

— Mais heureusement, mon Colonel, vous étiez là pour remettre les choses à leur place, dit Roland.

— Ah, ça, on ne pouvait pas retrouver les bœufs en question, mais on a mis le holà sur ces affaires de diplodocus inexistants, lui répond le "Colonel".

— Il devait y avoir les gendarmes Chapraud et Chapraut sur l'affaire, demande innocemment Roland.

— Chaprot, vous dites ? Connais pas, enfin si : il y a eu un Chapraud, dont vous pouvez admirer la photographie derrière vous, au-dessus de la plaque des "Morts pour la France". Adjudant Noël Chapraud, 1892-1915... La Grande Guerre, grosse hémorragie de notre belle jeunesse... Même si de mauvaises langues, les anarchistes, disent que les gendarmes faisaient le sale boulot en quatorze, pourchasser les déserteurs entre autres... Discours de gauchistes !

Roland observe le portrait de Chapraud, avec bandeau noir autour du cadre, un "Chapraud" qui ressemble beaucoup à notre "Chapraud", trouve Roland.

— C'était l'ancien Commandant de la Brigade, jusqu'en quinze... reprend le gendarme.

— Et il n'y a pas eu d'autre Chapraud chez vous ? Demande Roland.

— À notre connaissance, non... Ah si ! Il y a eu voilà quinze jours une affaire épatante : une troupe de comédiens, appartenant à un cirque ambulant, des Manouches quoi, qui avaient un couple de pseudo-gendarmes qui répondaient aux patronymes de Chapraud et Chapraut, Noël et Léon.

— Tiens, remarque Roland.

— Voui, des saltimbanques, rendez vous compte, ces deux faux gendarmes roulaient en Renault 4 ! reprend le gendarme. Une 4L... La dernière 4L en service à la brigade, elle a été réformée en 1997, c'est vous dire. Et en plus, ils étaient saouls du matin au soir, comme si les gendarmes buvaient autant...

— Oui, il en existe, place Roland.

— Qu'insinuez-vous par cette remarque ?

— Ben...

— Bon, écoutez, Monsieur le journaliste, vous êtes là pour l'histoire de ce canular à base de diplodocus, ou pour autre chose. Si je vous demandais votre carte de presse, moi ? Je considère que l'entretien est clos ! Bonsoir, Monsieur !

Et Roland sort, dépité une fois de plus. Ainsi, les Chapraudt existeraient peut-être...

J'ai tout de même l'impression d'être mené en bateau dans toute cette histoire... Même si le bateau est un sous-marin...

À ce moment, une clameur ramène Roland vers le centre-ville. Une manifestation sur la place. "On nous cache tout, on nous dit rien..." Les paroles de Jacques Dutronc sont chantées par des dizaines de voix. Roland interpelle une jeune manifestante et lui demande ce que c'est.

— Les os d'animaux préhistoriques ne sont pas un canular de carabins, ils existent, lui répond la jeune femme, qui s'écarte de Roland pour rejoindre un des groupes qui tiennent des banderoles avec les mots : "Vérité sur les ptéranodons" !

mardi 4 juin 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (46)

Hé, hé, hé. Ce qui est amusant dans cette histoire de feuilleton, c'est bien que l'on ne sait jamais où on va. La preuve dans la suite que je vous propose aujourd'hui.

Alors, c'est la course contre la montre. Il faut échapper à Chantal qui a commencé à se relever. Consciente de n'avoir pas été entendue par ses amis bien occupés à expérimenter les jeux de la séduction et à découvrir les plaisirs de l'acte sexuel, elle se répète.

— Eh ! Oh ! Les obsédés sexuels ! On arrête les paluchages ! Il y a des petits hommes qui viennent de fuir dans l'herbe ! Regardez, c'est incroyable !

— Des petits hommes ? Mais oui, mais oui, lance, narquois, Bernard.

— Je n'ai pas rêvé. Ils sont partis par là. Tenez, les herbes bougent, je suis sûre que c'est eux.

— Tu fais chier, Chantal. Tu vois pas qu'on est occupés ?

C'est Françoise qui s'est décrochée de la bouche de Thierry qui vient de parler. Françoise, elle n'aime pas Chantal. Chantal, elle, elle n'aime pas Françoise. Une histoire qui date de la classe de CM1. Chantal était amoureuse de André et cette traînée de Françoise le lui a piqué. Depuis, elles sont en froid.

Les garçons n'ont pas l'intention d'abandonner leurs investigations linguales pour aller à la chasse aux petits hommes. Moqueurs, ils demandent si ces personnages sont bleus. S'ils le sont, ils suggèrent que Azraël va bientôt arriver pour les en débarrasser. Bernard profite du divertissement pour tenter une main dans le corsage de Eliane qui fait mine de réprouver le geste cavalier avant de s'abandonner tout entière.

Chantal hausse les épaules et déclare que si c'est comme ça, elle rentre chez elle à la gendarmerie et qu'elle va dire à tout le village ce qu'il se passe ici. Elle est très en colère, Chantal. Elle se lève et s'en va en abandonnant les petits hommes qui peuvent souffler de soulagement.

— On l'a échappé belle, dit Roland.

— On file au Nautilus pour retrouver les autres et leur donner nos provisions, répond Robert.

Ces deux là accompagnés de Östäl jugent plus prudent de laisser tomber le char d'assaut et de rejoindre la maison à pied. Ils s'orientent tant bien que mal et prennent le chemin du retour. Bientôt, la maison est en vue. Avec une extrême prudence, ils se lancent dans la traversée de la cour et se jettent dans la grange. Leurs compagnons sont là à les attendre. Ils questionnent et écoutent le récit de la mission d'exploration avec intérêt. Ils accueillent les provisions avec joie. Après que tous eurent calmé leur faim, le temps est venu de décider de la suite. Il apparaît clairement qu'il n'est pas envisageable de bouger loin. De même, on admet que l'on en sait finalement bien peu sur l'époque et le lieu où l'on se trouve. Quelques indications tendent à montrer que l'on serait dans une époque proche quelque part en Bretagne mais il y a aussi cette histoire d'os de dinosaures découverts sur la plage proche. Et ça, c'est un peu inquiétant. On est dans l'expectative. On ne sait pas quoi faire mais on sait aussi que l'on ne peut pas rester dans cette situation. Le gros problème est que l'on ne peut pas essayer grand chose. On discute, on échafaude des théories et des plans, on propose des solutions et on en démolit d'autres. On tourne en rond et on commence à déprimer. Le moral est à la baisse. Il n'y a guère que les Chapraudt pour ne pas prendre conscience de la gravité de la situation.
Il faut dire que les Chapraudt, pendant tout ce temps, ils sont partis explorer la grange. Et il se trouve qu'en fins limiers qu'ils sont, il ont fini par mettre la main (ou presque) sur la réserve de bouteilles de calvados de la maison. Un casier plein de bouteilles ! Une aubaine pour ces buveurs assoifés. Hélas ! Malgré leurs efforts et leurs tentatives, impossible de trouver une solution pour ouvrir ces flacons. Déjà, rien que pour déboucher une de ces bouteilles, il faudrait atteindre le goulot. Et le goulot, il se situe à une bonne dizaines de mètres au-dessus de leur tête. Ah ! Ils ont bien essayé de faire un lasso avec une ficelle. Ils ont bien tenté de fabriquer un grappin avec un vieux clou. Ils ont bien cherché à escalader le casier. Ils se sont bien aventurés à gravir le manche de la houe appuyée contre la caisse proche qui surplombe les bouteille. Il se sont escrimés, ils se sont cassés la gueule plusieurs fois mais ils ne sont jamais arrivés à toucher l'un ou l'autre des bouchons. Et quand bien même ils y seraient arrivés, comment auraient-ils pu les extraire, ces bouchons ? Pas avec leurs ridicules petits tire-bouchons. Ils se sentent dépités, les Chapraudt. Echouer si près du but, c'est un fâcheux coup du sort. Et pourtant, ils en sont certains, la solution naîtra du calvados. Ils n'arrêtent pas de le clamer et de casser les oreilles de tout le monde. Le calvados est la clé de leur salut à tous. Pour eux, l'enjeu est simple. Il faut trouver du calvados. Le calvados leur redonnera taille normale et ils pourront rentrer à la gendarmerie où ils feront leur rapport. Avec un peu de chance, on lèvera leur mise à pied et ils reprendront une vie normale. Tous sont affligés par autant de bêtise. Ils ne pensent même plus à demander aux gendarmes de se taire. L'heure est grave et on a mieux à faire qu'à lutter contre les idiots de service.
Östäl se lève d'un bond. Il demande que l'on se taise. Il vient d'entendre des pas qui arrivent vers la grange. Panique dans les rangs ! Une ombre s'approche en effet de la porte. Vite ! Nos héros se lancent dans le sous-marin, seul endroit où ils peuvent se cacher et prétendre à un peu de sécurité. On verrouille la trappe d'accès et on observe par les hublots ce qu'il se passe dans la grange.

C'est Pierre qui vient d'entrer. Pierre est venu chercher son nouveau jouet avec l'idée de filer tout droit vers l'étang. Il a pris une besace pour cacher son sous-marin. Il est bien décidé, Pierre. Il n'a aucune hésitation avant d'agripper le Nautilus et de le plonger au fond de son sac. Il n'agit pas avec grande délicatesse et ne semble pas se soucier de la santé de l'équipage du Nautilus. A sa décharge, on reconnaîtra qu'il ignore tout dudit équipage.

Il va sans dire qu'à l'intérieur du sous-marin, on est bien bousculé. Cette fois-ci, on a pris ses précautions et on a prit garde de bien se cramponner et de bien s'attacher. Pour autant, le décollage est mouvementé et on se retrouve sur le côté, balloté de droite à gauche au gré des mouvements de la marche du garçon. Le voyage jusqu'à l'étang se fait dans l'obscurité totale. Il dure bien assez longtemps pour que ça soit lassant. On jure, on peste, on râle, dans le Nautilus. Mais que peut-on faire ? Rien. Il faut se résigner à subir tant qu'une solution n'est pas trouvée. Et en fait de solution, on n'en a pas l'espérance de la plus petite.
La lumière s'infiltre par les hublots. On se sent élevés dans les airs à grande vitesse puis, avec la même vitesse, descendus vers la terre. Sauf que c'est vers l'eau, que l'on est abaissés. Östäl se détache de ses liens et part vérifier que tout est bien fermé, que l'eau ne pourra pas s'infiltrer dans le Nautilus.
Le Nautilus est sur l'eau. Il flotte comme il peut. Il prend du gîte. Ses ballasts sont vides. Östäl a une idée. Elle vaut ce qu'elle vaut mais au moins, c'est une idée. Il la propose à ses compagnons. Il s'agit de plonger et de tenter de s'éloigner de la berge. Pour réussir cela, il faut se remettre à pédaler et à pomper. On hésite un court moment et puis on se dit que, fichus pour fichus, il est préférable de mourir noyés que de vivre à l'état d'hommes minuscules. Tous rejoignent leur poste et le Nautilus commence son immersion en même temps qu'il s'éloigne de la plage de l'étang, sous le regard médusé de Pierre qui ne peut rien faire pour récupérer son jouet. Il faut moins d'une minute pour que le sous-marin disparaisse de la vue de l'enfant.

Du reste, beaucoup d'autres éléments vont disparaître très prochainement de la vue de Pierre puisqu'il se trouve que Paul et sa bande vient de sortir du petit bosquet et qu'ils manœuvrent habilement pour prendre le malheureux enfant en tenaille. L'état major amis en place un plan de bataille infaillible auquel ne pourra échapper Pierre, sauf à ce qu'il se décide de fuir à travers les eaux froides, boueuses et pestilentielles de l'étang. C'est ce qu'il va se résoudre à faire mais un peu trop tard. Paul est déjà sur lui. Il reçoit son poing dans l'œil gauche qui bleuit et enfle de belle manière. Alors qu'il tombe à la renverse, l'œil droit est accueilli par une semelle à gros crampons. L'arcade sourcilière rend grâce et éclate. L'œil menace l'exorbitation. Voilà le pauvre Pierre rendu aveugle pour un temps. S'il ne peut plus les voir, il sent les coups pleuvoir sur tout son corps. Ses côtes subissent les assauts violents des pieds perfides, les bras maigres qui essaient de protéger le visage contusionné sont frappés, les jambes qui s'agitent dans des mouvement désordonnés et désespérés sont muselés. Pierre est soulevé et conduit au bout de la jetée d'où il est jeté sans ménagement dans l'eau vaseuse. Il n'a pas de pot, le pauvre Pierrot.

A bord du Nautilus, tout n'est pas rose non plus. La chute de Pierre a provoqué une lame de fond qui entraîne le sous-marin vers les profondeurs sans que l'on puisse commander ou diriger quoi que ce soit. Le vaisseau est en perdition. On s'époumone à pédaler de toutes ses forces pour rétablir l'assiette mais rien ne peut y faire, le courant est bien trop fort. En vrille, le Nautilus s'enfonce. Östäl et Gemenle, seuls membres d'équipage à connaître le bâtiment et son fonctionnement déclarent que l'on peut arrêter la lutte et qu'il ne reste plus qu'à souhaiter un retour au calme naturel. Gaëlle est déjà la tête à un hublot. Elle annonce que l'on n'y voit rien à plus de cinq mètres mais qu'il lui semble que l'on est proche du fond. Il lui semble en effet apercevoir des algues. D'un coup, elle pousse un cri effrayé et effroyable. C'est une carpe immense qui vient de passer à proximité du Nautilus. Elle a vu un œil énorme qui la regardait. Robert accourt pour voir le poisson. C'est bien une carpe. Une carpe immense, grosse comme une baleine.

— Enfin, une baleine, je dis ça mais je n'en ai jamais vu. J'imagine que c'est gros comme cette carpe, quoi.

— Un autre poisson ! crie Chapraud.

— Où ? Où ? s'enthousiasme Chapraut qui veut voir.

— Là, à droite, là !

— On dit pas à tribord, dans la marine ?

— Je ne sais pas. Je suis gendarme, pas marin.

Chapraut s'est approché d'un hublot. Il cherche, il ne voit rien, il s'énerve.

— Il est où, ton poisson ?

Soudainement, il le voit, le poisson ! Il n'a pas le temps de crier que déjà un brochet gigantesque vient heurter le sous-marin qui est propulsé sur le côté. A l'intérieur, une fois de plus, on compte ses bosses.

— Nous voilà dans de beaux draps, se lamente Chapraut. On va mourir au fond de cet étang. On va mourir de faim et de soif. C'est horrible.

— Mourir de soif, j'aurais pas pensé que ça pouvait m'arriver, pleurniche Chapraud. Dire qu'il y a une réserve de calvados juste à côté. Quitte à mourir, autant mourir joyeux !

Et il est vrai que la situation est délicate. Ballotés par les courants, bousculés par les poissons, les passagers du sous-marin n'ont pas un avenir brillant face à eux. Ils ont beau réfléchir, se creuser la tête, retourner les questions dans tous les sens, il n'y a aucune solution. La seule option qui se présente à eux, c'est de rejoindre la surface. Mais une fois à la surface, que feront-ils ?
Rester au fond de l'étang, c'est se condamner à mourir faute d'oxygène. Il faut donc remonter et essayer de se trouver un port d'attache sûr, un endroit où l'on ne viendra pas les dénicher. La décision est prise à la quasi unanimité, on remonte à la surface. Il n'y a que les gendarmes pour s'opposer à cette décision. Ils déclarent se mettre en grève si l'on ne leur permet pas de reprendre des forces en buvant un peu de calvados. On leur refuse ce droit mais on leur promet de leur en donner un peu dès que l'on aura trouvé un refuge. A contre cœur, les gendarmes finissent par accepter de pédaler mais ils avertissent qu'ils n'assureront qu'un service minimum.

— C'est déjà plus que ce à quoi vous nous avez habitués, lâche la fluette voix de Etzelle.

L'incident est clos, les postes sont distribués et on se prépare à rejoindre la surface.

la remontée est difficile et éprouvante. On dirait que les poissons de l'étang se sont donnés le mot. Ils viennent tous voir ce nouveau locataire bien étrange. Ils sont nombreux à vouloir toucher. Peut-être même à mordre pour certains. A tous les coups, le Nautilus est projeté dans une autre direction et l'équipage à fort à faire pour conserver un semblant de cap et d'assiette. Le sous-marin finit par atteindre la surface. Nos héros sont satisfaits de pouvoir arrêter de pédaler et de pomper. Östäl se prépare à ouvrir l'écoutille principale, il a déjà commencé à manœuvrer le système de fermeture lorsqu'une carpe lancée à vive allure près de la surface heurte avec violence le Nautilus. Par malheur, le sous-marin a remonté de son voyage vers les profondeurs une ligne de pêche munie de son hameçon qui va se ficher dans la peau du poisson lequel, n'appréciant pas du tout d'être piqué au vif de pareille manière, décide d'offrir un voyage de son cru dans son territoire. La carpe a mangé du lion. Elle est particulièrement vive et nerveuse. Pour se débarrasser du sous-marin bien trop accroché à elle à son goût, elle part dans une suite de zigzags, de virages brusques, de descentes aux abysses, de ralentissements suivis d'accélérations. Dans le Nautilus, on n'a pas eu le temps de se préparer. Seuls Gaëlle, Etzelle et Gérard étaient encore attachés lors de l'attaque carpière. Tous les autres, sont sonnés, étourdis, contusionnés, assommés, blessés. Le lien entre la carpe et le sous-marin cède à proximité de la bonde. Livré à lui-même et poursuivant sur sa lancée, le Nautilus bascule dans les canalisations et est entraîné hors de l'étang dans un canal qui va rejoindre le cours d'eau proche. Il dévale une petite cascade, rebondit sur une pierre lisse, glisse sur une succession de pierres plates, tombe dans un trou, est englouti par un tourbillon, passe un syphon naturel et parvient à une cavité obscure. Là, le sous-marin fait naufrage sur une plage.

Il faut au moins une heure pour que Östäl reprenne conscience. Dans le noir le plus complet, il cherche à s'orienter. Il lui faut longtemps pour comprendre que le Nautilus est couché sur le flanc. Une fois la situation assimilée, il peut se diriger vers le poste de commandement et chercher une lampe-torche. Dès lors, il porte secours à ses camarades d'infortune et il peut commencer à évaluer au mieux la situation. Peu à peu, tout le monde reprend ses esprits. On se tâte les contusions, on s'assure que rien n'est irrémédiablement cassé, on s'entraide, on se sort de positions inconfortables, on a des mots de réconfort. A l'aide des quelques lampes disponibles, on cherche à voir le monde extérieur à travers les hublots. Il apparaît rapidement que l'on n'est plus dans l'eau. On n'explique ni comment on est arrivé là ni où l'on est mais on se met d'accord pour essayer une sortie prudente. Tout le monde sort du Nautilus. Il ne leur faut pas longtemps pour parcourir la grotte. Elle semble particulièrement grande. Etzelle fait remarquer qu'ils sont particulièrement petits. Gaëlle avoue qu'elle avait déjà oublié ce détail. Ils voient le boyau par où ils sont arrivés et comprennent comment et pourquoi ils se sont échoués là. La rivière souterraine fait un coude brusque avant de replonger dans les entrailles de la terre. Aidé par l'effet centrifuge, le Nautilus a été éjecté. Légèrement en hauteur, Roland remarque la présence d'une galerie montante. Il demande que l'on l'aide à se hisser jusqu'à elle et propose de l'explorer sommairement. Cette galerie est tout à fait praticable et il propose que l'on aille voir où elle mène. S'aidant les uns les autres, notre petite troupe se transforme en groupe de spéléologues. La galerie est réellement vaste et la progression se fait très aisément.

Mais bientôt, la faim se fait sentir dans les rangs. Ce sont les gendarmes qui s'en plaignent les premiers. On réfléchit et on se dit, à la lumière des événements et émotions de la journée, que l'on pourrait regagner le sous-marin pour se restaurer des maigres réserves encore présentes à son bord.

— Et on pourrait bien faire passer le repas avec un peu de calvados. Je n'ai aucune confiance dans cette eau qui ne me semble suspecte et peu potable, essaie Chapraut

— Oui, on pourrait. Vu la situation, on devrait se permettre ça, appuie Chapraud.

— Ils ont raison, tranche Colette. Nous ne sortirons peut-être jamais vivants de cette aventure. Autant se faire un petit plaisir.

Même les plus récalcitrants se laissent convaincre. Sans se le dire, tous ont au fond d'eux-même la désagréable sensation que la fin de l'histoire est proche. Le Docteur Gemenle ajoute que en l'état il serait vain de tenter de remettre le Nautilus en fonction.

— Couché zur le vlang gomme il est, on ne bourra chamais le redrezer !

La colonne fait demi-tour et reprend la progression en sens inverse. C'est Chapraud qui est maintenant en tête de cortège.

— Aïe !

Il vient de se cogner la tête contre une scélérate stalactite.

— Ouille !

Chapraut vient de s'en prendre une en pleine poire à son tour.

— Faites attention où vous marchez, bande d'imbéciles, lance Roland.

— Ah. On arrive à un passage un peu étroit, annonce Alice aux suivants.

— Houla oui, en effet, note Etzelle qui est obligée de se contorsionner pour franchir le rétrécissement.

— Aidez-moi, je suis bloqué ! appelle Gérard.

— Attention. Par là, le plafond est bas, préviens Robert

— Z'est très pissare ! Dout à l'heure, za zemblait peaucoup blus faste, s'interroge Gemenle.

— C'est vrai, assure Alice. Pour l'aller, nous n'avons pas connu ses problèmes.

— Exact, lance, toute guillerette, Gaëlle, juste avant de cogner une stalactite du front.

— Là ! Là ! Là ! Re... Re... Regardez !

Chapraud montre quelque chose dans le faisceau vacillant de sa lampe torche. Tous se regroupent et regardent. Ils restent muets. Devant eux, le Nautilus s'est réduit à la dimension d'un jouet pour enfant. Plus mystérieux encore, la grotte qui semblait si vaste leur permet à peine de les faire tenir debout. La rivière souterraine n'est plus qu'un mince filet d'eau.

— On grandit ! explose Gérard. On grandit ! On va crever écrasés dans ce trou à rat !

Et en effet, on grandit. Bientôt, il faut ployer l'échine pour tenir dans la grotte. Encore un peu et on a du mal à s'y trouver tous une place.

Östäl va essayer quelque chose. Östäl est une force de la nature, un colosse. Il gonfle les muscles de son cou et de ses épaules et il prend appui contre le plafond. Roland, Robert, Gérard et, plus curieusement, les gendarmes comprennent le sens de la manœuvre. Ils se redressent, ils appuient fort sur les jambes et la voûte commence à craquer. Elle se soulève, elle se fissure, elle se cisaille, elle cède ! Un dernier effort et nos héros se retrouvent la tête à hauteur de sol. Ils n'en reviennent pas. Ils s'extirpent de leur trou et Roland a la présence d'esprit de se saisir du tout petit sous-marin qu'il glisse dans une poche.

Couverts de terre, encore sous le coup de la surprise, nos aventuriers n'en reviennent pas encore. Au loin, ils entendent le vrombissement caractéristique d'une route. Ils se dirigent à l'oreille vers la civilisation.

— Ah mais je connais ! C'est le champ à Hector. affirme Gaëlle en longeant une haie.

— Vous reconnaissez ?

— Ah oui ! Je suis pas encore sénile ! Je connais mon pays !

— On est à Pont-Aven ?

— Sûr !

totalement sous le choc, l'équipe accélère le pas.

— Tiens, le facteur. dit Chapraud

- Tiens, oui, répond Chapraut sans plus s'étonner.

— On irait pas dire le bonjour à Kermitt ? Je vois sa maison.

— Et se faire payer un coup.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, nous voilà revenus à Pont-Aven. Comme si de rien n'était. Gaëlle a déjà repris le chemin de sa maison, suivie des gendarmes décidés à rendre une visite de courtoisie à l'ancien boulanger. Roland et Robert sont interdits, les bras ballants. Colette et Gérard, Gemenle et Östäl annoncent qu'ils ont des trucs à faire et qu'ils vont devoir y aller. Alice déclare que l'heure est sans doute venue de se dire au-revoir et qu'elle a l'intention de repartir chez les siens. Etzelle demande qui pourrait la ramener chez elle.

Roland tâte le Nautilus dans sa poche. Il le sort. Il est tout petit, un tout petit sous-marin de poche, un jouet de luxe. Il ne sait quoi dire, il n'a rien à dire. Il regarde Robert qui, lui non plus, n'a rien d'autre à faire que d'afficher son incrédulité et son incompréhension au grand jour.

— Robert ?

— Oui Roland ?

— On n'irait pas manger quelques galettes ?

— On n'a pas grand chose d'autre à faire.

— Oh ! Regarde ! Tu vois l'immense navire, là-bas, au loin ?

— Ah oui. Il est vraiment gigantesque, dis-moi.

— Ce ne serait pas ce porte conteneurs français, le plus grand du monde, qui peut porter seize mille conteneurs, le Jules Verne ?

— Le Jules Verne ? Certainement pas ! Il est amarré à Marseille. Il va être inauguré par François Hollande aujourd'hui.

— Mais alors ? Quel est donc ce bâtiment énorme ?

mardi 28 mai 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (45)

Où en étions-nous donc ? Ah oui ! Le Nautilus et ses occupants sont réduits à l'échelle approximative du 1/43e. Il y en a qui partent en expédition pour aller à la pêche aux informations. Bon. Il y a aussi une histoire de gamins, de bateau, de choses diverses et variées. Ouais. Bon. Et où tout cela nous mène-t-il ? On ne le sait pas très bien. Liaan nous livre la suite.

Roland, Robert et Östäl sont sur le chemin du retour vers l'appentis où se trouve le Nautilus. Robert stoppe soudain et dit :

— Vous entendez cette musique ?

Intrigués, les deux autres s'arrêtent eux aussi et écoutent.

— Mamy Blue, j'entends Mamy Blue... Un disque, une radio ? questionne Robert, Si nous allions voir ce qu'il en est ? Cela confirmerait peut-être l'année que nous avons trouvé sur ce journal...

— Ben tiens ! lui rétorque Roland, nous n'avons que ça à faire, des kilomètres et des kilomètres dans cette petite jungle qu'est pour nous la prairie...

Östäl constate qu'il est toujours intéressant de glaner quelques informations supplémentaires. Mais un danger attend nos valeureux explorateurs...

Je suis Râ-Meheu, fils de Râ-mehou. Cela fait bien 20 lunes que je suis sur Terre. Je réponds aux appels des grands deux jambes lorsqu'il me donnent à manger. Même si je suis capable de me nourrir seul, il suffit que j'attrape un rampant ou un volant... Je me souviens de m'être fait rouler par un rampant, ce qui me semblait être une grosse souris qui sortait de terre, j'ai voulu l'attraper et pfuii, elle est repartie sous terre ! Je découvre toujours de ces nouveautés, comme ces êtres sans aucune patte que j'ai vu le long de l'eau qui court dans l'herbe... Mais qu'entends-je ? Comme un chuchotis par là-bas... Approchons nous et reniflons... Et à pas de velours, le chat s'approche de nos compagnons.

Roland, Robert et Östäl sont fascinés par la démarche souple du mammifère dont les oreilles sont dirigés vers eux. Les trois hommes avalent leur salive n'osent rien dire, subjugués par le regard clair de ce fauve qui est immense pour eux.

— Fichus, nous sommes fichus... lâche Östäl ; ce greffier va nous becqueter tout crus...

L'immense visage du chat est là, et le chat renifle longuement nos miniatures... Des deux jambes, c'est l'odeur des deux jambes, je ne chasse pas les deux jambes pense le matou, et il s'éloigne, sous un ouf de soulagement général. Östäl déclare que le chat ne s'attaque qu'à ses proies naturelles, et il a senti notre odeur d'hommes, donc intouchable... Malin, le greffier !

— Alors, que décidons nous ? demande Roland, la rentrée au Nautilus ou se diriger vers la musique ?

— Oh, regardez ce qu'il y a dans ce buisson, lance Robert, un tank ! Les deux autres se tournent vers Robert qui leur montre du doigt un jouet, un gros jouet.

— Un jouet mécanique, mais pour nous, cela peut être un bon moyen de transport, dit Östäl.

En effet, sous le buisson se trouve un char en tôle, peint en vert sombre avec une étoile blanche peinte au pochoir sur le devant. Les trois hommes s'en approchent et voient avec plaisir que la clef est à demeure, et que les chenilles, en très bon état, sont en caoutchouc. Il doit être grosso-modo à l'échelle du un-vingtième, mais pour nos explorateurs au un-quarante-troisième, après avoir remonté le mécanisme, grimpent sur la carrosserie et après avoir poussé le levier de mise en marche, se lancent vers l'endroit d'où leur parvient la musique. Le char sautille sur les inégalités du terrain, écrase les petites herbes, et malgré les secousses, tous sont ravis de pouvoir se déplacer plus rapidement que pedibus.

Johnny Haliday a succedé à Nicoletta qui chantait Mamy Blue. Johnny chante "Que je t'aime"...

— Cela ne nous rajeunit pas, constate Robert.

— Ce doit être un disque ou une cassette, je n'ai pas entendu de speaker ou de publicité, dit Roland.

Des voix, des rires leurs parviennent à présent, des intonations de jeunes personnes. Le char avance tranquillement, aidé par une légère déclivité du terrain, et tous les cinquante à soixante mètres, ils se relaient pour remonter le mécanisme. La prairie est vite parcourue et les voix leur parviennent depuis ce petit bouquet d'arbres. Les passagers du char aperçoivent quatre, puis cinq jeunes adolescents, et deux cyclomoteurs (un Flandria Record rouge et une Mobylette bleue remarque Robert) et deux bicyclettes de dame. Une petite butte de terre les cache à la vue des jeunes.

— Nous allons stopper là et observer, décide Östäl.

Le char reste dissimulé derrière de hautes herbes et nos compagnons s'approchent de la scène : deux garçons et trois filles devant une nappe et les reliefs d'un repas : un pique-nique. Cachés derrière des pierres ou des touffes d'herbe, aux aguets, Roland, Robert et Östäl observent et écoutent les jeunes...

— Bernard, tu nous emmerdes avec ton Johnny, dit une des filles, assise en tailleur, remets nous Mamy Blue !

— Chantal ! Je t'ai déjà dit que Johnny est mieux que ta pleureuse de Nicoletta, lui répond le dénommé Bernard, tu nous aurais amené la version anglaise de Joël Daydé et ses Pop-Tops, c'aurait été mieux !

— Ton Johnny, y chante pas, y braille, lui lance l'autre garçon.

Une des autres filles complète en disant que Bernard les faisait sacrément chier avec son Johnny...

— C'est de ta faute, Françoise, il fallait le dire que tu emmenais ton mange-disque, j'aurais amené mes 45 tours, surtout ceux de Sardou, lance l'autre garçon.

Nos un-quarante-troisièmes se regardent avec un sourire en coin.

— On l'a échappé belle ! commente Roland.

Ils sont deux garçons et trois filles, les gars ont des jeans et des chemises à carreaux, une des filles est aussi en jeans, mais avec une chemisette blanche, les deux autres adolescentes sont en mini-jupe écossaises, avec des corsages de couleur vert pomme. Deux sœurs ? se demande Roland.

— Vous ne trouvez pas qu'il fait faim à cette heures ? chuchote Östäl

— C'est vrai qu'on a la dalle, et de voir tous ces restes de bouffe, lui répond doucement Roland.

Robert observe les deux gigantesques cyclomoteurs, en imaginant la taille du piston de la Flandria, et vu le cornet qui sert de filtre à air au carburateur, il ne faudrait pas qu'il se trouve à proximité de ce dernier si le propriétaire décidait de le démarrer... Je serais aspiré d'abord dans le puits d'aiguille, puis après un passage dans les transferts, me retrouver sur le dessus du piston et subir une combustion rapide... Je ne serais pas très beau à voir, ce n'est pas rassurant d'être aussi minuscule...

Roland contemple la Chantal, et s'imaginait lui conter fleurette, à ce blé en herbe... Johnny chante la face B du 45 tours : "Voyage au pays des vivants".

Le dénommé Thierry demande à la cantonade s'ils sont au courant pour les ossements de dinosaures trouvés du côté de Pont-Aven. Les autres acquiescent, la tévé, la radio en parlent, ajoute Chantal. Thierry demande pourquoi on en fait toute une histoire, des ossements de dinosaures, on en trouve un peu partout. Bernard lui précise que ce sont des os, et non de la pierre. Les dinosaures avaient des os en pierre ? demande en s'exclafant la fille en jeans, n'importe quoi ! Bernard, qui a l'air d'en connaitre un peu plus explique que jusqu'à présent, on n'avait trouvé que des ossements pétrifiés, et que là, c'était des os en os ! À ce moment, Thierry de sa main droite saisit le sein gauche de Françoise et lui demande si c'est de la pierre, il récolte le fruit de son geste : une bonne claque sur la joue, ce qui met Thierry en joie et le voici qui enlace Françoise, et l'entraine à se rouler dans l'herbe. Le Bernard profite de ce moment pour emballer Éliane, peu farouche non plus. La Chantal dit qu'elle n'était bonne qu'à tenir la chandelle, une fois de plus. Et qu'il n'y avait plus de Coca...

Nos amis miniatures profitent de ces amours d'adolescent pour rapatrier moult grains de gâteaux et d'autre reliefs du pique-nique champêtre. Chantal les aperçoit en disant :

— Oh ! Des petits bonshommes sur la nappe !

Mais les deux couples, tout à leur entreprise de pelotage réciproque ne l'entendent pas.

Et c'est la fuite de nos "au-un-quarante-troisième" vers leur véhicule stationné à l'écart...

mardi 21 mai 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (44)

Qui qui est tout riquiqui ? C'est le petit sous-marin et son petit équipage. Dans l'épisode précédent, voilà que tout notre petit monde est réduit à l'échelle d'un jouet pour gosse. Voilà bien un rebondissement auquel personne ne s'attendait.
Je prends la suite du feuilleton et puisque l'on est dans le domaine du petit, je vais faire long. Bon courage et bonne lecture !

Cataclysme dans le Nautilus. Le sous-marin s'est élevé dans les airs. Un sous-marin volant. Tout le monde est parti cul par dessus tête. On n'a rien vu venir. On n'a rien compris. Le Nautilus a bougé puis il s'est envolé. On n'a pas eu le temps et la présence d'esprit, le réflexe, de s'accrocher. On a valdingué, on s'est cogné, on s'est bousculé, on s'est télescopé, on s'est percuté, on s'est amoché. Plaies et bosses. Catastrophe.

Sous le bras de Pierre, le Nautilus. Sous l'autre bras, le Fantôme. Et Paul et sa bande qui arrivent. Pierre ne compte pas abandonner ses jouets. Il va les défendre, il va se battre. Il se sait moins fort que Paul, il sait qu'il va se prendre la raclée du siècle mais il va combattre. Il commence toutefois par prendre ses jambes à son cou et à s'enfuir vers la cabane de pêcheur toute proche. Il sait comment y entrer et il sait comment en interdire l'accès depuis l'intérieur. Il court à perdre haleine, Pierre. Paul et ses sbires sur ses talons.

A bord de l'insubmersible, c'est la Bérézina. Nos héros sont projetés comme des fétus de paille contre les parois. Gaëlle est assommée. Inconsciente. Etzelle a un œil au beurre noir. Les Chapraudt sont dans les vapes. Roland, Robert et Östäl tentent tant bien que mal de rester accrochés au périscope. Alice est coincée sous un siège, le docteur Gemenle s'agrippe comme il le peut à ses manettes. Colette et Gérard sont enlacés et crient leur peur. C'est la déroute, la rude épreuve.

Pierre n'est plus qu'à quelques enjambées de la cabane. Il a la planche disjointe en ligne de mire. Il calcule le temps qu'il va lui falloir pour la faire basculer, pour se laisser rouler à l'intérieur, se retourner et bloquer l'issue avec la barrique qu'il sait trouver là. Il court, il a le souffle court. Pour basculer la planche, il va avoir besoin d'une main libre. Cruel dilemme. Lâcher le Fantôme ou lâcher le Sultan ? Abandonner le voilier cadeau de son grand-père Maurice ou le sous-marin magnifique ? Ce sera le Fantôme qui fera les frais de la course-poursuite. Pierre est droitier, c'est par réflexe qu'il desserre son étreinte autour du Fantôme. La planche pivote, Pierre se laisse rouler en boule, il lâche le sous-marin, se redresse, attrape le tonneau et bloque l'accès à la cabane. Il s'arc-boute pour interdire l'intrusion des forces ennemies. Il reprend son souffle tandis que les coups de pieds et les injures pleuvent à l'extérieur.

— Sors d'ici, morveux ! Sors d'ici ou on détruit ton bateau pourri !

C'est la voix de Paul. Paul, le fils de la Marthe. Paul, le mauvais garçon du village, celui qui n'arrivera à rien, celui qui collectionne les heures de colle et les mauvaises notes. Paul et sa bande de fouteurs de merde. Cette bande qui n'a pour autre jeu que de faire les pires bêtises dans le voisinage. Saccages de poulaillers, vols et larcins à la boulangerie et à l'épicerie. Paul, violent et bagarreur mais aussi Paul pas aidé par dame nature pour ce qui est de l'intelligence. Paul, chef d'une bande de demeurés.

En raison des multiples coups d'éclat de la petite bande, les villageois gardent toujours un œil sur la mauvaise troupe. Et il se trouve que Hector, le garde-pêche, vient de boucler le tour de l'étang et s'approche de la fine équipe à grandes enjambées silencieuse. Il a tout vu. Il se réjouit par avance à l'idée d'attraper un ou deux garnements et de mettre la bande en fuite. Il sent sa main frétiller de la joie de balancer deux ou trois baffes bien méritées. Paul et ses comparses ne voient pas Hector débouler sur eux. C'est le gros Raymond qui est saisi au collet en premier. Un pied part s'écraser dans les fesses de Jean-Pierre, le fils du plombier-zingueur. Jean-Pierre, surpris, part culbuter Bébert qui s'écroule le nez dans la poussière. Paul se retourne juste à temps pour recevoir une mandale. Sentant que la tournure des événements ne va pas en leur faveur, on se carapate. Paul tente une dérobade mais il n'est pas assez rapide pour Hector qui le récupère par la ceinture du pantalon et le soulève. Paul fulmine et peste, il lance tout son vocabulaire en vrac, il profère les pires menaces. Tranquillement, lesté de ses proies, Hector marche vers le promontoire. Il élève Paul au-dessus de l'eau verte de l'étang, lui souhaite une bonne baignade et le lâche. Pour Raymond, le gros Raymond qui pleure et supplie que l'on ne le lance pas à l'eau, qui affirme ne pas savoir nager, qui jure qu'il ne le fera plus, qui ne peut se retenir de pisser de frousse, il faut que Hector s'y prenne à deux bras. Et une, et deux, et plouf ! Raymond bat des bras et des jambes, Raymond crie et pleure et avale de l'eau et crache et suffoque et patauge lamentablement. Il lui faut assez longtemps pour voir que Paul est debout dans la vase et comprendre qu'il lui suffit de se mettre sur ses pieds pour ne pas mourir par noyade.

— Allez, ouste ! Fichez-moi le camp d'ici immédiatement, imbéciles ! Je vous ai à l'œil. Ne vous avisez pas à revenir dans le coin.

Paul et Raymond rejoignent la berge herbue et s'éloignent penauds, la tête basse. Arrivés à bonne distance, Paul se retourne et, brandissant le poing en direction de Hector, il jure de représailles dantesques. Hector fait mine de se lancer à leur poursuite et les deux engeances s'enfuient à toutes jambes.

Pierre sort de la cabane par où il y était entré et s'occupe de son Fantôme après avoir remercié Hector. Pauvre voilier ! Le mat est cassé, la voile déchirée. Hector s'approche et prend le bateau. Il dit pouvoir le réparer. Si seulement Pierre voulait bien le suivre chez lui, il lui donnerait un bonbon et, à la condition que Pierre soit bien gentil, il réparerait certainement ce jouet. Pierre n'est pas bien chaud. C'est qu'il y a des bruits qui courent, dans le village, à propos de Hector. Des bruits que Pierre ne comprend pas bien. Ce qu'il sait, en revanche, c'est qu'on lui a bien dit de ne jamais accepter quoi que ce soit de Hector.

Pierre est un enfant obéissant. Il dit à Hector que son père saura sans doute réparer le bateau. Il reprend son Fantôme et, remerciant Hector une fois de plus, il s'en va chez lui sans oublier le Nautilus et en choisissant la route la plus fréquentée pour se prémunir d'une toujours possible attaque de Paul.

Dans le Nautilus, les valides ont mis à profit l'intermède de la cabane pour faire le point et prendre des mesures. Un rapide conciliabule a permis de conclure que l'on n'était à un époque et à un endroit où il y aurait des animaux ou des personnes gigantesques en mesure de transporter un engin de la taille du sous-marin. Bien que tout cela relève bien trop du domaine de la science-fiction pour les plus cartésiens du bord, bien qu'il ait été quasiment impossible de voir quoi que ce soit par les hublots ou par le truchement du périscope endommagé, bien que les Chapraudt aient suggéré l'idée que l'on pourrait finir la réserve de calvados et sortir du sous-marin pour aller aux nouvelles, bien que Gérard se soit souvenu d'un coup qu'il croyait en dieu et qu'il se soit lancé dans la récitation des quelques prières dont il se souvenait un peu, bien que, surtout, personne ne soit en mesure d'expliquer et comprendre quoi que ce soit à tout cela, il était convenu qu'il fallait faire preuve de prudence et de patience. Sûrement, bientôt ou à brève échéance, on arriverait à en savoir plus. Pour l'heure, l'urgence était donc de se protéger et d'éviter de nouvelles blessures. On avait solidement attaché les personnes inconscientes, on avait arraché les coussins des sièges et fauteuils pour en faire des protections et on s'était enfin arrimé aux parois après avoir fait le ménage parmi tous les objets qui pouvaient jouer au projectile contondant. Cela ne plaisait à personne mais il fallait attendre.

A la vérité, Pierre n'était pas pressé de rentrer chez lui et il n'avait pas du tout l'intention de donner son voilier à réparer à son père. Le pauvre enfant savait trop qu'il risquait une volée de coups si son père apprenait qu'il avait eu affaire à la bande de Paul. Il recevrait des coups aussi s'il venait aux oreilles paternelles que le bateau était cassé. Il était sage de ne rien dire de tout cela.

Pierre aimait son père parce que c'était son père. Il n'y avait pas d'autre raison rationnelle à cet amour filial. On lui avait appris qu'un enfant se devait d'aimer ses parents et Pierre était un enfant obéissant. Pourtant, lorsqu'il lui arrivait de se questionner au sujet de ces choses là, il n'avait objectivement aucune raison d'aimer père et mère. Son père était violent. Il ne l'avait pas toujours été. Ou du moins, pas toujours aussi régulièrement. Alcoolique notoire, il avait perdu son emploi de chauffeur-routier en même temps que son permis de conduire. Il faut dire qu'il y était allé un peu fort. Bourré comme un coing, il avait encastré son Berliet dans le cul d'une R16 bourrée elle aussi mais des membres d'une famille nombreuse, chargée jusqu'au toit de tout l'attirail nécessaire à une famille en transhumance estivale vers les côtes bretonnes. Tente, table pliante de camping, réchaud à gaz, petites laines, duvets, bateau et bouées gonflables, cirés imperméables, chauffage d'appoint, trousse de soin de première nécessité, autocuiseur, ménagère complète comprenant louche et pelle à tarte, seaux et cuvettes diverses, cannes à pêche et épuisettes, bonnets de nuit et bouchons d'oreille, slips de bains et crème solaire, paquets de nouilles et de biscuits secs. Le grand équipement au grand complet. Le père au volant, une Gitane maïs rivée au coin des lèvres, la mère à la place du mort, chargée de comprendre quelque chose à la carte Michelin, les enfants à l'arrière, deux filles et un garçon, occupés à se chamailler et à vomir à tour de rôle. Sans oublier le chien, Médor, et le poisson rouge qui avait tant envie de voir la mer.

Dans l'accident, toute la famille avait péri. Les enquêteurs ne retrouvèrent jamais Jules, le poisson rouge. Ils ne firent pas trop de zèle non plus, il faut le reconnaître. Au moment du choc fatal, le père de Pierre était endormi, vaincu par la fatigue de la route et le vin rouge. Il eut beau expliquer et expliquer encore, avec force et conviction, que la R16 avait surgi de nulle part, qu'elle n'était pas là l'instant d'avant, les gendarmes furent intraitables. Ils contrôlèrent le taux d'alcoolémie et furent tellement surpris par le résultat qu'ils crurent un instant à une défaillance de leur alcootest et demandèrent un deuxième essai.

Comme si cela ne suffisait pas, l'accident qui coûta la vie à toute la famille Ramirez provoqua l'incendie du camion qui était une citerne pleine à ras-bord d'essence. Dans l'explosion qui suivit, on déplora la mort de toute l'équipe de nuit de l'entreprise Charmiers & fils qui jouxtait la route. Vingt-trois hommes soufflés sur leur lieu de travail. Cette petite entreprise familiale était spécialisée dans l'épluchage de pommes de terre et tournait en trois-huit. Ce fut une grosse perte pour l'industrie locale. Envoyés sur les lieux pour circonscrire l'incendie et récupérer le maximum de pommes de terre épluchées, trois des dix pompiers périrent dans d'atroces souffrances qui leur valurent une décoration à titre posthume.

Gabriel, le père de Pierre fut légèrement blessé au coude. On lui ôta son permis de conduire, on le licencia, il but encore plus. Depuis, l'ambiance était assez morose chez Pierre et les baffes volaient bas. Du reste, pour ne rien arranger, il se trouve que Gabriel était copain comme cochon avec le père de Paul, le mari de la Marthe, une demeurée qui ne s'était jamais remise tout à fait de la mort de son grand garçon. Le père de Paul, Edouard, était garagiste. Pas un mauvais garagiste, Edouard. Pas un mauvais garagiste tant qu'il était à peu près à jeun. Au village, on ne comptait plus le nombre de réparations approximatives ou fantaisistes qui avaient occasionné tant d'accidents. Parce qu'il était conseiller municipal et qu'il était mal vu d'être mal vu d'un conseiller municipal, on continuait à apporter sa voiture ou son tracteur chez Edouard. On y allait pour des problèmes bénins mais même là, ça pouvait conduire à quelque catastrophe. C'est à l'occasion de l'une d'elles que la Marthe était devenue folle. Son fils, un bon à rien dont on ne savait que faire avait quitté l'école. Edouard l'avait pris comme arpète. Il ne valait pas grand chose comme mécanicien et on ne lui confiait que les tâches ingrates et peu techniques. Un jour, Léon-Aristide, le maire, avait conduit sa 504 break chez Edouard pour changer le pot d'échappement. Edouard avait levé le véhicule et envoyé son imbécile de fils débloquer les boulons de fixations. La matinée était déjà bien entamée et quelques litres de vin étaient déjà passés par le gosier du père. Il se sentait encore en état de travailler et il eut besoin du cric roulant pour lever l'avant d'une Volkswagen afin de déposer le démarreur. Par malheur, il avait oublié que son fils était sous la voiture du maire. Il baissa le cric et un cri étouffé se fit entendre. Il n'y prêta pas attention. Pas plus qu'aux gémissements plaintifs qui suivirent. Lui, son idée, c'était de lever l'avant de la Volkswagen, pas de s'occuper d'autre chose.

C'est vers midi, lorsqu'il rentra manger que la Marthe s'étonna de ne pas voir arriver son fils. Le père expliqua qu'il devait vouloir en terminer avec le pot de la Peugeot, se servit un verre de vin et mangea sa soupe. Après le fromage et le dernier verre de vin, il alla faire sa sieste sur le canapé du salon. A son réveil, le grand garçon n'était toujours pas venu manger. La Marthe dit alors à son époux qu'il était trop dur avec le fils et qu'il pouvait tout de même le laisser venir manger. Le père haussa les épaules, mis sa casquette et partit pour le garage.

Il ne comprit pas tout de suite ce que faisaient ces pieds sous la 504. Il finit par reconnaître les chaussures.

— Y a la mère qui te dit d'aller casser la croûte. Tu finiras après.

Pas de réponse. Et pour cause ! Mais ça, Edouard le comprendra plus tard. Pour le moment, il est reparti à l'attaque de la Volkswagen et il grommelle de rage de ne pas trouver ce fichu démarreur. Allongé sur le dos, il tripatouille dans les entrailles de la voiture allemande. A un moment, son regard se tourne vers la 504 et il ne comprend pas ce qu'est cette flaque qui s'échappe des dessous de la sochalienne. Voilà qu'il m'a pété une durite, ce con, lâche Edouard en colère. Il sort de sous la voiture boche et se prépare déjà à battre son imbécile de fils. Bon, là, forcément, il finit par comprendre.

A sa femme comme aux autorités, il tiendra le même discours. Regrettable accident. Son pauvre fils qui n'était pas bien malin a voulu enlever le cric roulant alors qu'il était encore dessous et il n'a pu retenir la voiture qui, comble de malchance, n'avait plus ses roues. Il a sottement été écrasé et, c'est bien un malheur, le père n'a rien pu faire pour le secourir bien qu'il soit intervenu illico.

Les gendarmes Chapraud et Chapraut détachés sur l'affaire pour mener l'enquête comprirent les explications, firent leur rapport en ce sens, plaignirent beaucoup Edouard et Marthe pour la perte de leur fils et acceptèrent le calvados du réconfort et celui de l'amitié et celui des jours tristes et celui de "à la santé des disparus" et celui "dont vous me direz des nouvelles" et celui du "vous allez pas partir sur une jambe" et celui du "remets-nous ça" et tous les autres. C'est tard dans la nuit qu'ils repartirent au volant de leur Renault 4 bleue.

Par la suite, Edouard fit sans qu'elle s'en rende bien compte, un nouveau garçon à la Marthe. C'est Paul. Un bon à rien de première qui, d'ici quelques années, fera sans doute un bon arpète. La Marthe n'est pas trop pour mais c'est pas elle qui commande.

Et donc, Pierre sait que s'il dit du mal de Paul à son père, son père le battra. Alors, Pierre cache le Fantôme et le Sultan dans la remise à bois avant d'entrer dans la cuisine où son père est en train de finir consciencieusement son cinquième litre de la journée. Dans son idée, il peut passer entre le mur et la table sans se faire repérer. C'est raté. Paf ! Une beigne.

— T'étais où, sale mioche !

— Je jouais à l'étang, p'pa.

Paf ! Nouvelle torgniole.

— J'croyais bien qu'j't'avais interdit d'y aller. Il y a l'Hector qui traîne par là-bas. J'veux pas qu'il s'enfile mon gamin, ce gros dégueulasse !

Et re-paf ! Une torgniole de ponctuation.

— Oui p'pa

Et pierre monte dans sa chambre.

A bord du Nautilus, on se pose des questions. Ça fait déjà un bon bout de temps que ça ne bouge plus, que tout est calme. On est plusieurs à dire que l'on pourrait tenter une sortie, histoire de se repérer, de voir ousqu'on est. On palabre, on argumente, on discute et on se décide. On va aller voir dehors, oui. On va y aller avec prudence. On ouvre l'écoutille, on jette un œil. On sort vraiment qu'après s'être assuré qu'il n'y a pas de risque.

C'est Roland et Östäl qui sont désignés pour les premiers travaux de reconnaissance. Ils mettent le nez dehors et ils regardent ce qui les entoure. Ils n'en reviennent pas et son vite de retour auprès de leurs camarades d'infortune.

— C'est pas croyable !

— C'est inconcevable !

— Il n'y a pas à tortiller !

— Ça sert à rien de se mentir !

Nos deux éclaireurs ne savent pas par quel bout prendre ce qu'ils ont à raconter.

— Tout est immense.

— On est tout petit.

Le docteur Gemenle va voir dehors. Il revient.

— Ja. Che crois Komprentre. Fous n'afez rien remarker de pissare depuis le téput de nos méssafentures ? Du chanchement dans nos corps ?

Tous restent interdits et c'est Gaëlle qui a repris conscience quelque temps auparavant qui se risque.

— Je me sens bien. Je me sens légère.

— Ja ! Ja ! Eguezactement !

Le docteur Gemenle explique alors sa vision des choses. Sans qu'il puisse expliquer encore comment et pourquoi, le Nautilus et ses occupants ont été rétrécis. Ce qu'il pense, c'est qu'ils sont toujours sur Terre et que le fait d'avoir une masse moindre fait qu'ils sont moins sujets à la pesanteur. Tant que le sous-marin était sous pression, ils ne pouvaient se rendre compte de rien ou presque. Il explique que, néanmoins, c'est grâce à cela qu'ils n'ont pas été plus blessés lors des soubresauts du Nautilus. Et maintenant que les pressions se sont équilibrés entre l'extérieur et l'intérieur, ils se retrouvent tous bien moins soumis aux forces gravitationnelles.

L'équipage écarquille les yeux en écoutant les savantes explications du scientifique. On va voir à l'extérieur pour mieux se rendre compte. A partir de là, on ferme l'écoutille et on commence à réfléchir. Sauf les Chapraudt, bien entendu, qui se demandent juste si leur nouvelle taille, semble-t-il fort petite aux dires de Gemenle, peut compromettre leur appartenance au corps prestigieux de la Gendarmerie Nationale.

D'après ce que l'on a vu dans la remise et en faisant des calculs sommaires, on admet que l'on est réduit à une échelle avoisinant le 1/43e. Reste la question que personne n'ose poser, celle du retour à la normale.

— Déjà, dit Roland, il faut savoir où et quand nous sommes. Pour cela, il va falloir se risquer à l'extérieur. Ce n'est pas sans risque. Docteur, pensez-vous que le Nautilus pourrait être remis en fonction ?

— Ach. Ce n'est pas zi zimple. Le U-Boot a pesoin d'eau et là, nous n'afons pas d'eau. Z'est un gross problème, ça !

— On pourrait peut-être le pousser jusqu'à une flaque ou une mare ? propose Gérard.

— Et si on redonne sa taille au Nautilus, on en fait quoi dans notre mare ou notre flaque ? ricane Colette.

— Il faudrait au minimum arriver à une rivière, c'est un problème, note Robert

— Et si nous arrivions à reprendre notre taille en laissant sa taille présente au sous-marin ? suggère Etzelle.

— Oui ! Quand bien même nous ne parviendrions pas à redonner sa taille au Nautilus, nous serions sauvés. Et tant pis pour cet engin de malheur ! s'exclame Robert.

— Il faut s'assurer de où nous sommes et à quelle époque, répond, pensive et inquiète, Alice.

— Il faudrait trouver du calvados. Le calvados, ça soigne tout, disent les deux gendarmes.

— Vous vous rendez compte, Chapraud ? Une bouteille de un litre, ça nous fait comme quarante-trois litres ! C'est magnifique !

— Vu comme ça, Chapraut, je suis partant pour conserver ma taille actuelle !

— Qui se risque à aller en reconnaissance ?

Roland, Robert et Östäl se proposent. On ouvre de nouveau l'écoutille et nos trois hommes sortent. La remise est sombre. Il leur faut un moment pour comprendre la situation. Le Nautilus est posé à même le sol de terre. Il est en appui sur un empilement de planches épaisses. La porte de la remise semble éloignée de deux cents mètres tout au plus. Il n'y aura aucune difficulté à se glisser sous elle. Ils descendent l'échelle et se laissent tomber au sol. Ils sont entourés de multiples rochers. Combien mesurent-ils par rapport à leur environnement ? Cinq, six centimètres au plus. Le monde qui les entoure n'a plus aucune commune mesure avec ce qu'ils connaissent. Ils s'approchent du pied d'une table remisée là. Il regarde en l'air, ils ont l'impression d'être au pied d'un gratte-ciel. Une allumette prend les proportions d'une belle poutre. En avant, direction la porte. Les trois hommes marchent rapidement. Ils se baissent et sortent. Les touffes d'herbe les dépassent de dix bonnes tailles. Il va falloir trouver un monticule pour voir au loin et observer. Robert fait signe en direction d'un parpaing contre lequel une branche coupée prend appui. L'escalade ne se fait pas sans peine. Arrivés en haut, les explorateurs ont une meilleure vision de la situation. Ils cherchent des indices. Tout leur semble correspondre avec leur époque. Rien ne choque vraiment si ce n'est qu'ils ne sont pas habitués à voir les objets, les plantes, les constructions, sous cet angle. L'épave de voiture qui est au fond de la cour correspond bien à ce qu'ils connaissent, le linge qui sèche au loin n'indique pas que l'on serait dans une autre époque. Par contre, il n'y a rien pour se repérer avec certitude. L'épave de la voiture est bien munie d'une plaque d'immatriculation tendant à prouver que l'on est dans le Finistère mais c'est bien mince.

Östäl s'exclame et montre quelque chose à ses compagnons. Là-bas, dans l'herbe, à quelques kilomètres, on dirait une feuille de journal !

Avant de partir, on cherche des points de repère. Une fois que l'on sera perdu dans la jungle de chiendent et de pissenlit, on ne pourra plus voir le papier. On se met d'accord sur des éléments de repérage et on part vers l'aventure.

La progression est lente. Il faut écarter des herbes, il faut faire avec des fourmis monstrueuses qui, heureusement, ne semblent pas être intéressées par la petite troupe. Il faut un peu plus d'une heure pour parvenir à la page du journal. On apprend beaucoup de choses. D'abord, on a une idée de la date approximative. Le journal n'est sans doute pas du jour mais il ne doit pas être trop ancien non plus. Ensuite, on comprend que l'on se trouve bien en Bretagne. Il s'agit d'un journal local qui ne doit pas être diffusé en dehors des limites du canton. Mais surtout, on apprend que l'on a retrouvé des ossements de dinosaures sur la plage toute proche et que le monde scientifique est sur les dents. Jamais on n'a trouvé des ossements de dinosaures qui ne soient pas des fossiles. Ces os là ne sont pas anciens. C'est un miracle pour la science ! Ça fait les gros titres et il y a des sceptiques. Il est impossible qu'il y ait encore des os faits d'os et pourtant, il faut se rendre à l'évidence, il y en a en Bretagne !

Roland, Robert et Östäl notent encore quelques informations qu'ils peuvent glaner et ils décident de revenir au Nautilus.

mardi 14 mai 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (43)

A la fin de l'épisode précédent, le Nautilus et ses occupants tentaient de s'échapper des temps préhistoriques. S'ils s'étaient bien éloignés de l'ère mésozoïque, ils ne pouvaient dire où ils étaient parvenus. Entre crainte et espoir, les passagers restaient dans le doute. Liaan nous dévoile la suite de ces aventures.

Tante Etzelle choisit ce moment pour réapparaître. Après le questionnement de Roland, elle demande à son tour quel était ce charivari, ce charleston qui l'avait mise sens dessus-dessous... Après explications, tante Etzelle déclare qu'elle était dans la salle de l'infirmerie, pièce que n'ont pas osé visiter les gendarmes, et où elle a trouvé une bonne réserve de bouteilles de calvados ! À peine a-t-elle annoncé cela que les deux gendarmes veulent se rendre à l'infirmerie, vite bloqués pas Roland. Les deux militaires reconnaissent que leur tempérance avait des limites et qu'ils avaient perdu jusqu'au goût du calvados. Mais rien n'y fait, la communauté déclare que ce serait peut-être plus utile pour la marche future du Nautilus. Le docteur Gemenle complète en précisant que cela permettrait sûrement de rejoindre le petit port du côté de Pont-Aven, si nous sommes bien à notre époque, précise-t-il, et au bon endroit ! Mais où était donc le Nautilus à ce moment de l'histoire ? Les dames, très pratiques, sauf Cousine Gaëlle qui restait, rêveuse, dans un coin du carré, ces dames s'étaient rendues dans la salle du dôme. Mais elles ne voient qu'avec désespérance qu'elles n'avaient pas quitté l'ère préhistorique : un énorme batracien observait le Nautilus avec ses yeux globuleux... À ce moment, Robert, toujours à observer depuis le périscope, s'écrie :

- Voile devant, à deux heures !

Roland, après avoir aussi regardé précise que c'est un cotre, un petit bateau de forme fine et élancé, avec un seul mât. La civilisation ! Nous ne sommes plus à l'ère mésozoïque ! C'est fantastique !

- Allons dans la salle d'observation, propose le docteur Gemenle, les femmes y sont, mais la vue y est limitée.

- Le Nautilus est mal orienté, précise Östäl, nous ne verrons que la rive...

Tante Etzelle, Alice et Colette, cette dernière pour l'instant moins vindicative devant la tournure des événements, étaient au bord des larmes, la manœuvre de tout à l'heure a échoué : nous avons toujours ces bestioles préhistoriques devant nous, déclare Alice. Östäl s'étonne de voir une bête qu'il ne peut reconnaître véritablement, quand un avertisseur se met à beugler.

- Le sas de secours, constate le docteur Gemenle, allons voir, peut-être une agression de l'extérieur ?

Laissant les femmes et Gérard, qui découvre que l'on en était toujours avant Noé, tous prostrés dans la salle du dôme, le docteur Gemenle et Östäl suivis de Roland et Robert se dirigent rapidement dans le couloir qui distribue toutes les salles du sous-marin. La porte d'accès du sas de secours est bloquée, blocage confirmé par une lampe rouge qui reste éclairée au-dessus.

- Qu'il y a-t-il là-dedans, s'inquiète Roland.

- Le canot de sauvetage, lui répond Östäl, le seul canot du bord.

Un hublot percé dans le couloir leur permet d'observer l'intérieur du sas de secours et de découvrir les gendarmes, aux gestes mal assurés, qui tentent de sortir le canot à l'extérieur. Opération réussie pour eux, d'ailleurs.

- Nom d'un pipe ! ils sont complètement ivres ces soulards de gendarmes ! constate Östäl. Regardez moi ces tordus. Ils ne sont pas montés dans le canot, et voilà, ça se referme ! Ah, les cons !

En effet, le mécanisme de mise à l'eau a effectué sa tâche, les systèmes automatiques referment l'ouverture devant nos pandores ahuris.

- Plus de canot de sauvetage... Pourvu que l'on n'ait pas de problème majeur conclut Östäl...

L'évacuation de l'embarcation de secours du Nautilus effectuée, la lampe rouge au-dessus de la porte d'accès s'éteint, les hommes peuvent entrer dans la salle et chapitrent, réprimandent sèchement les deux gendarmes, particulièrement le docteur Gemenle :

- Fous fous rentez compte ? Plus te bateau de sauvetage !

- Mais nous voulions sortir de cette boîte de conserve ! déclare, droit comme un I, le brigadier Chapraut.

- Le devoir d'un militaire est de s'échapper de son lieu de détention ! complète le brigadier Chapraud, oscillant assez gravement.

Un "bong", qui fait vibrer les superstructures du Nautilus interrompt leurs explications, laissant tout le monde sans voix.

Dans le carré, Cousine Gaëlle chantonne :

- Je suis une boule de flipper qui roule, qui roule, Capitaine d'un bateau vapeur qui coule, qui coule...

Les hommes arrivent, Östäl se précipite au périscope et déclare :

- Le voilier nous a heurté, il n'y a, à première vue, personne à bord. Mais ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est la simplicité de ce bateau ! On dirait que c'est un jouet d'enfant, mais agrandi de trente à quarante fois !

Les dames, restées dans la salle d'observation, poussent un cri d'effroi : le monstre antédiluvien a disparu en effectuant un grand saut, et une main gigantesque s'approche du Nautilus !

Un être énorme plonge ses yeux bleus vers le sous-marin et ses mains sortent le Nautilus de l'eau, le faisant flotter dans l'air.

C'est ainsi que Pierre, onze ans, alors qu'il faisait naviguer le "Fantôme", son petit voilier de soixante cinq centimètres de long, après avoir effrayé une grenouille, trouva ce merveilleux petit sous-marin, le Nautilus, au bord de l'étang, et s'en empara. Les bras chargés de son "Fantôme" et du Nautilus, il imagine déjà le devenir du sous-marin, je l'appellerai "Sultan", imaginant un compagnon à son voilier, capable de parcourir toutes les mers environnantes, et de conquérir toutes les terres étrangères.

Mais il y avait Paul et toute sa bande de son âge, dix-onze ans, qui observaient depuis ce matin, le gars Pierre, afin de lui voler son voilier, le "Fantôme", et projetant de le munir de pétards, lui faire faire son ultime voyage au milieu de l'étang... Et Paul, s'aperçoit que Pierre a trouvé un bateau extraordinaire : un sous-marin qui parait être de grande marque, avec un fini extraordinaire pour un jouet : une maquette solide et résistante, ce doit être du Maerklin, pense Paul, un sous-marin à vapeur !

- Vous laissez tomber le voilier, les gars, emparez vous du sous-marin qu'a trouvé le gars Pierre ! lance Paul à sa bande...

mardi 7 mai 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (42)

Je prends la suite du feuilleton tout en me disant que je ne comprends plus grand chose à l'histoire et en me demandant si histoire il y a, finalement. Peu importe, je me lance. J'attrape quelques bouts de l'épisode précédent et je me jette à l'eau. Toujours le Nautilus et une faille spatio-temporelle qui semble voir le jour. On va bien voir.

Ce que vient d'annoncer Alice paralyse une partie de l'équipage. La partie à même de comprendre les conséquences possibles de ce qu'il vient de se passer. Chapraud et Chapraut, eux, on s'y attendait, semblent plus préoccupés par la pénurie de calvados qui les rend un peu nerveux. Si Gaëlle semble, elle aussi, légèrement indifférente à tout cela, c'est juste parce qu'elle navigue déjà aux côtés de son Yannick, vers 1978. Elle est en train de virer brindezingue, la mère Gaëlle. Trop d'émotions, trop d'aventures, trop de rebondissements inattendus et incroyables. Elle a préféré se mettre aux abonnés absents. Elle s'est déconnecté de la réalité pour laisser son esprit vagabonder au royaume des souvenirs. Du coup, elle affiche un grand sourire et elle chante pour elle, à petite voix, en marmonnant. Ne pouvant s'échapper totalement de son rôle d'infirmière, Alice s'est assise à côté de Gaëlle et lui tapote la main pour la calmer.

Östäl et le docteur Gemenle sont en opposition frontale sur la marche à tenir face à cet événement imprévu. Si l'un est partisan de s'arracher de cette époque dare-dare sans plus s'occuper de l'avenir, l'autre est plus circonspect et argue de ce que l'avenir connu risque de ne rien à voir avec l'avenir réel que l'on trouvera. Technicien avant tout, Östäl compulse le volumineux manuel d'utilisateur du Nautilus lequel tient en quatre volumes reliés pleine peau et imprimé sur un velin de belle qualité. Il cherche dans les pages et entre les lignes la solution à leur problème. En bon scientifique, Gemenle explique que l'époque moderne d'où tous viennent est dépendante pour une bonne part de la disparition des animaux qui continuent à s'égayer en dehors du sous-marin. Qu'en sera-t-il des millénaires à venir si ces dinosaures ne disparaissent pas ? L'homme apparaîtra-t-il ? Toute la question est là. Revenir au 21e siècle n'est pas, n'est plus, la garantie d'un retour à la normale. Qui sait, d'ailleurs, si ce que nous appelons le 21e siècle existera dans le futur ? Pendant que Gemenle laisse libre cours à la métaphysique, Östäl se perd dans les abaques, reportent des données sur le tableau de bord, peaufine ses réglages, affine les curseurs avec méthode.

Pour faire écho à Östäl et Gemenle, Robert et Roland se lancent dans un débat houleux. Robert prétend qu'il ne sert à rien de rester ici plus longtemps d'autant que les réserves de puissance diminuent à chaque minute ; Roland parle d'une troisième voie qui consisterait à revenir dans le passé pour récupérer Lafleur. Si Robert persiste dans son idée en expliquant que ce n'est pas la disparition d'un Lafleur qui allait suffire à modifier la marche de la planète et de l'univers, Roland reste campé sur ses positions. Le risque de l'inconnu est bien trop grand.

Colette et Gérard que tous avaient oublié, saucissonnés qu'ils sont au fond du sous-marin, se font entendre en gémissant derrière leurs baillons. Robert s'approchent d'eux et attend l'assentiment de ses camarades pour enlever les torchons qui empêchent les malfaisants de s'exprimer clairement. Ils ont leur mot à dire à cet instant où personne ne sait vraiment quelle option choisir. Colette et Gérard sont d'accord. Lafleur n'a aucune importance. Il faut repartir et quitter la préhistoire au plus vite. Roland profite de cette prise de position pour proposer que l'on vote. Alice se lève pour affirmer que c'est bien ce qu'il faut faire. Östäl et Gemenle cessent leurs chamailleries et, en hésitant tout de même un peu, acceptent l'idée d'un vote. En peu de temps, pressés par le temps, tous à l'exception de Gaëlle prennent le parti de la voie démocratique. Il faut longuement expliquer aux gendarmes le choix qui leur est proposé. On n'est pas bien certain qu'ils aient fini par comprendre quelque chose mais ils se disent d'accord pour voter à la condition que l'on leur promette qu'il y a une chance pour qu'ils trouvent de quoi boire au bout du compte. On leur promet que c'est possible mais pas sûr. Ils se disent satisfaits de cette promesse.

On passe alors au vote à main levée. Qui est pour que l'on tente de repartir vers le 21e siècle ? Qui est pour que l'on retourne dans un passé proche ? Qui s'abstient ? La décision d'aller vers l'avenir quoi que l'on y puisse trouver est prise. Roland distribue les rôles. Östäl et Gemenle aux commandes du Nautilus. Gérard et Colette aux tâches ingrates de pompages et de pédalage. Alice Robert et lui-même pour aider partout où cela sera nécessaire. Gaëlle est exemptée de tout rôle. Et pour ce qui concerne les Chapraudt ? Les Chapraudt sont partis bouder dans leur coin. Ils viennent de comprendre que le calvados ne sera peut-être pas présent au terme de l'aventure et ils prétendent qu'ils se sont faits avoir. Ils menacent de faire un rapport carabiné très bientôt et tout le monde s'en fout.

Östäl annonce qu'il est prêt. Gemenle acquiesce et dit qu'il est prêt lui aussi. Il ordonne à Colette et à Gérard de pédaler et de pomper le plus fort qu'ils le peuvent pour économiser l'énergie comptée du Nautilus. Östäl bascule un grand levier, le tableau de bord s'illumine de tous ses feux. Sur un signe de Östäl, Gemenle actionne des manettes et des interrupteurs. De la main, il fait signe à Colette et Gérard d'accélérer la cadence. Et bientôt, le Nautilus entre en vibration. Roland annonce que la plongée a commencé. Robert, l'œil rivé au périscope assure que tout va bien. Alice rassure Gaëlle qui montre de sérieux signes d'inquiétude.

Les parois du Nautilus craquent. La pression est de plus en plus intense et c'est un silence de plomb qui se fait dans l'appareil. Le sous-marin s'enfonce de plus en plus. Plongé dans le manuel d'utilisation, Östäl veut être certain du moment où il devra agir pour lancer le voyage temporel. La fenêtre de lancement est diablement étroite. Trop tôt, il ne se passera rien et il faudra remonter à la surface. Trop tard, on ne sait ce qu'il pourra se passer mais, selon ce qu'il lit, il est possible que ça soit une désintégration moléculaire qui survienne. Quoi que ce ne soit pas sûr.

Dans dix secondes. Dans neuf secondes. Huit. Sept. Six. Cinq. Quatre. Trois. Deux. Une. Top ! Östäl bascule rapidement la commande qui va ouvrir le voyage dans le temps tout en pressant avec force et détermination sur la pédale de renversement du pied gauche. Le Nautilus se retourne cul par dessus tête, une alarme retentit, une lumière intense, presque douloureuse semble exploser dans le sous-marin qui est secoué de tremblements. On jurerait que le temps s'est arrêté. Plus personne ne parle, plus personne ne bouge. En quelques secondes, le silence complet gagne le Nautilus qui paraît immobile, inerte. Il ne se passe plus rien du tout. Les regards se croisent, inquiets et questionneurs. Gemenle est penché sur ses cadrans et écrans. Il prend des notes. Il pose des opérations et fait des calculs. Il consulte ses notes et pose son crayon avant de se tourner vers l'équipage.

— Ja. Normalement, nous zommes arrifés à pon port.

Robert lance un œil dans son périscope. Il regarde à droite, à gauche, devant, derrière.

— C'est bizarre. On dirait bien que ça ressemble à ce que l'on a connu mais pas tout à fait. Je ne sais pas où nous sommes arrivés et quand nous y sommes arrivés. Bizarre. Etrange, même. Déjà, bon, à mon avis, nous ne sommes pas à Pont-Aven. Je ne sais pas comment vous dire. Tout me semble plus grand, plus gros. Une végétation du genre tropicale mais une végétation tropicale peu commune. Là, je vois des arbres énormes qui portent des fruits qui me paraissent gigantesques. Attendez. Mais oui ! Des pommiers ! Des pommiers pleins de pommes géantes !

— Des pommes ? Des pommes ! Hourra ! explosent les Chapraudt.

mardi 30 avril 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (41)

C'est de l'acharnement thérapeutique. Le feuilleton est sous perfusion, alimenté par voie veineuse. Il est mis sous respiration artificielle, on le maintient en vie coûte que coûte. Il est mourant, moribond, il souffre, le feuilleton. On ne lui demande pas son avis, on ne veut pas entendre son désir de s'éteindre. On refuse de le laisser expirer dans la dignité. Et, somme toute, c'est bien fait pour sa gueule. C'est Liaan qui est à l'origine de la suite du jour.

“Nous voici transportés à l'ère mésozoïque, les enfants, comme dans le "continent perdu" d'Arthur Conan Doyle... Mais à part que eux, ils savaient que la civilisation n'étaient qu'à quelques centaines de kilomètres d'eux, mais nous, téléphone ou pas, nous ne pouvons nous attendre à un sauvetage par des hélicoptères, et hop ! Retour dans nos bonnes villes bien polluées et bien bruyante...“ Ainsi s'exprime Tante Etzelle devant l'assistance consternée de tous les voyageurs du Nautilus.

Gaëlle essaie de parler de 1978, année pour retrouver Yannick, son mari, disparu en mer, 1978... Peine perdue, Alice explique que le fait de s'être servi du système de secours du Nautilus a certes sauvé le sous-marin mais a considérablement modifié son cheminement... Mais, il ne pouvait pas voyager dans le temps ? demande angoissée Cousine Gaëlle... Alice explique : Le Nautilus est sorti de sa voie... Tout comme une locomotive qui quitterai sa voie lors d'un aiguillage vers une portion de voie, où il n'y aurait plus de rails... C'est la chute, et dans notre cas, la chute dans le temps... Nous sommes bien à l'ère Mésozoïque, soit il y a environ 200 millions d'années avant notre époque ! Mais, demande encore Cousine Gaëlle, si l'on pédalait en arrière ? Non, c'est une chute, nous sommes véritablement tombés dans le passé, nous n'avions pas de corde de rappel, nous sommes bien tombés à terre... dans le temps passé complète Alice.

Robert demande à Alice de remettre son masque, parce que, franchement, non pas qu'elle soit moche, bien au contraire,mais la vue d'Alice, avec son visage vert d'eau et ses écailles, lui rappelait trop les diplodonosaures au-dehors... Alice comprend et reprend son visage plus agréable, surtout avec ses beaux cheveux roux.

Et si l'on allait observer les environs, propose Östäl, il y a la salle panoramique... Et tous les voyageurs du Nautilus suivent Östäl et découvrent, vers la proue du Nautilus, une pièce surmontée d'un dôme de verre qui leur donne un spectacle surprenant.

Le sous-marin est échoué en bordure d'un marais. Le ciel s'assombrit... Bien éclairé devant eux, les passagers voient ce qui leurs semble des conifères, de nombreuses bêtes vaquant à leurs occupations : chasser des insectes, attraper des genres de lézards... Le ciel devient de plus en plus sombre au fond. Le Docteur Gemenle s'exclame. Gut ! Ein Gewitter, Glücklicherweisse ! Un Orache ! Enerchie de la Foutre !

Le brigadier Chapraud s'étouffe, et fait remarquer que nous sommes entre gens corrects et que l'on doit se parler poliment, et avec élégance... Alice reprit le Brigadier Chapraud en lui expliquant que le Docteur Gemenle ne veut que parler de l'énergie de la foudre, et de son potentiel énergétique que l'on pourrait récupérer pour le Nautilus...

1978... 1978... se lamentait Gaëlle, persuadée de son nouvel avenir, sans regarder la scène étonnante de l'extérieur : des éclairs fusent de partout, l'un d'entre eux a choisit le sommet d'un cycas, le seul genre d'arbre présent dans le paysage, un genre de conifère, précise Östäl... En effet, il n'y a pas d'arbres feuillus comme nous les connaissons à notre époque, rendez vous compte, il n'y a pas encore de fleurs, d'herbe, pas de buissons... Nous sommes sans doute au Trias, la toute première époque du Mésozoïque, celle d'avant le Jurassique et du Crétacé... Ce qui nous emmène bien, il y a 235 millions d'années... Dans la panique, nous autres avons cru voir des brontosaures ou autre tyrannosaures, nous n'avons pas à nous inquiéter : ils ne naitrons que dans quelques centaines de millions d'années ! Eh, oui, les amis, d'aucuns écrivains ou cinéastes mélangent allègrement les époques : mélanger les tyrannosaures avec les icarosaures serait comme faire circuler une Ford T dans la circulation actuelle en disant que c'est la dernière Ford du salon... En échelle comparée, bien sûr: le tyrannosaure n'est apparu que 75 millions d'années après le brontosaure ! Vous voyez les échelles de temps ! Vous ne devez pas vous inquiéter ! Bon, il est vrai que les bestioles que l'on voit ne sont pas des petits chatons de calendriers PTT, ce sont de sacrés prédateurs... Et ne vous attendez pas donc, à des "Mohwick, mohwick !", le cri des tyrannosaures si bien décrits par Pierre Devaux, dans son roman "L'exilé de l'espace", publié en 1948, la science et l'histoire ont fait de notables progrès depuis, pour les paléontologues... Et si vous cherchez l'Océan Atlantique, ben, il n'est pas né, nous sommes encore sur ce continent unique que l'on nomme "Pangée", un plat pays, où il n'y a pas de montagnes, c'est-à-dire que les Alpes, Rocheuses, Andes ou autre Himalaya ne sont pas encore arrivées... C'est bien dommage, parce que, mon épouse et moi, nous avons réservé en Savoie, pour cet hiver, un gentil chalet pour aller skier, précise le Brigadier Chapraud. Paroles, elles, tombées dans le vide devant le spectacle qui laisse nos compagnons médusés : la foudre est tombée sur une des cycas présent devant eux... L'éclair descend le long du tronc et l'arbre s'écroule, le vent envoie de petites boules de feu qui enflamment tout ce qui peut brûler. Dans le ciel, couleur de cendre, des lumineux éclairs zigzaguent entre les lourds nuages violets, mais pas de pluie. Certains animaux s'enfuient, d'autres hésitent, perturbés par le feu qui se propage, par la vue et l'odeur de la fumée. De grands animaux, des cœlorosaures précise Östäl, profitent du danger du feu pour attendre tranquillement que les fuyards se jettent dans leurs bras... Chose qui, bien sûr, se réalise, l'une de ces grande bête aux longues dents, qui doit avoir les yeux plus grands que son ventre attrape un petit lézard dans la gueule, tout en attrapant un autre avec ses bras...

"Les épais fourrés dégorgent des nuées de bêtes habituellement trop furtives pour être attrapées. Les cœlurosaures ramassent des vagabonds nocturne, qu'ils n'ont jamais l'occasion de voir. Ils saisissent en l'air ceux qui planent... Les lézard font barrage, au sol, à tout ce qui file ou se traîne. La manœuvre se répète : une bête à pelage fuit les flammes, voit foncer le cœlurosaure, fait volte-face, est arrêtée par l'écran de chaleur et de fumée, et court alors à la portée du prédateur qui n'a qu'a le cueillir. Sauf s'il est vraiment affamé, le cœlorosaure lâchera un lézard pour chasser une proie à la chair plus rouge et plus riche, au sang plus chaud, et il en est si gourmand qu'il ira jusqu'à affronter le rideau de chaleur et de fumée, jusqu'à poursuivre cette proie au plus près des flammes.

Voici qu'un cœlurosaure, clopinant comme un estropié, bat en retraite devant les nappes de flammes : de sa bouche pend un animal velu inerte; dans ses serres croisée devant lui il en emprisonne un autre qui se tord en cherchant à le mordre ; une de ses pattes postérieure est refermée sur un troisième. Propulsant son mince corps, le cœlurosaure est talonné par le feu ; puisque, chargé comme il l'est, il ne peut le distancer, il traîne, supportant tout ce qui précède la fournaise. Invisible derrière la fumée, un gros arbre fibreux au centre du brasier laisse échapper une vapeur sifflante, puis du gaz, qui s'enflamme avec un rugissement; il est à une certaine distance de la forêt. Surpris, le cœlurosaure bondit, stoppe, identifie le bruit, et revient chercher la bête morte qu'il avait lâchée."

Ainsi le racontait si bien William Service dans un ouvrage paru en 1981.

Les éclairs commencent a se faire plus rares. Donnerwetter s'exclame le Docteur Gemenle, quand soudain, celui que l'on attendait plus arrive. Un claquement sec fait frémir le Nautilus, tous les voyants, électriques ou électromécaniques se déclenchent et se mettent à illuminer le tableau de bord : les accumulateurs sont de nouveau chargés à bloc ! Le docteur, ainsi qu'Östäl sont heureux, nous allons pouvoir déplacer le Nautilus ! Dans l'espace, c'est sûr, mais dans le temps ? s'inquiète Robert. Sonnerie. C'est le téléphone modèle Marty 1910, Alice décroche, et l'on voit à sa mine réjouie que les choses vont sans doute s'arranger.

Mais un bruit mat interpelle tous les passagers du Nautilus : la trappe de sortie a été ouverte, Lafleur/Némo vient de s'enfuir !

N'écoutant que son courage, Alice s'élance à sa poursuite, une odeur de fumée envahit le sous-marin. Tout le monde peut suivre la poursuite depuis la salle au dôme de verre : rapidement, Alice plaque le fuyard, lui assène un direct du poing sur le menton, et va ramener le sinistre individu au Nautilus. Un cœlurosaure les observe... Devant ce nouveau danger, Roland s'empare d'un révolver et grimpe rapidement les échelons menant à la sortie, et aussitôt, il tire vers la tête de la bête, qui hébétée, tombe lourdement, assaillie par ses congénères qui déchiquètent qui le flanc, qui le cou, qui les jambes du mourant. Profitant du répit accordé, Alice traine le corps inerte de Lafleur/Némo et aidé de Roland, lui font regagner l'intérieur du sous-marin...

Des menottes ! Trouvez-nous des menottes pour ce triste sire, demande le Brigadier Chapraud. Aux fers ! Et à fond de cale ! À peine ces paroles vengeresses prononcées, tout le monde voit le corps de Lafleur/Némo se diluer dans l'air, ne laissant pour preuve de son existence que des vêtements de l'an 1890... Alice blanche, déclare d'un voix cassée, que la bête tuée par Roland, pour nous sauver la vie, était un lointain ancêtre de Lafleur/Némo ! Les Atlantes sont héritiers de ces animaux préhistoriques et nous avons modifié toute une descendance. C'est pourquoi nous devons dégager rapidement de cette époque, pour éviter de perturber encore plus l'avenir de la Terre.

mardi 23 avril 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (40)

Vous en voulez, de l'improbable, de l'incroyable, de l'incrédible ? En voilà !

A moins de trois minutes du port, le sous-marin donne des signes de faiblesses. La lumière fournie par les générateurs embarqués baisse d'intensité et les moteurs s'éteignent dans un ronronnement défaillant. Aux commandes, Östäl et le docteur Gemenle tentent d'agir sur les instruments, leviers, boutons, interrupteurs et manettes qu'ils ont à leur disposition, ils cherchent à puiser dans les dernières réserves d'énergie mais rien à faire, le sous-marin n'en peut plus. Il finit par s'éteindre complètement, entre deux eaux. Il commence à prendre du gîte. On ne peut plus jouer sur les ballasts et, plus grave, on ne peut plus jouer contre le courant. Dans le noir total, il y a d'abord des cris horrifiés. Rapidement, c'est un silence glacial qui prend le dessus.

Imperceptiblement, on sent le sous-marin descendre dans les profondeurs. Le chenal est peu profond à cet endroit. En moins de temps qu'il n'en faut pour que l'on puisse commencer à le craindre, le submersible cogne contre le fond de la mer. Il penche légèrement sur son flanc gauche.

Le docteur Gemenle fait un rapide tour d'horizon. Selon lui, c'est la panne sèche. Plus de carburant. Östäl fait remarquer que le plein de jus de moule et de calvados a été fait peu avant. C'est là que tous comprennent. Les gendarmes ! Les gendarmes qui ont bu la réserve de calvados ! Malédiction !

Chapraud et Chapraut arguent d'une seule voix qu'ils n'ont pas bu tant que ça et que, de surcroît, ils n'ont pas été les seuls à boire le calvados. Ils jurent leurs grands dieux qu'ils n'ont pas touché le jus de moule. Sur ce point, tout le monde semble d'accord pour les croire. Quoi qu'il en soit, si l'origine de la panne semble désormais connue, il n'en reste pas moins dramatiquement vrai que la panne est là et que le sous-marin gît sur le flanc et sur le fond sous-marin.

Gaëlle demande s'il n'est pas envisageable de sortir du sous-marin et de regagner la surface en apnée. Le docteur Gemenle explique que bien que la mer ne soit pas très profonde à cet endroit, il est illusoire de penser pouvoir rejoindre la surface de cette façon et surtout en restant en vie. Roland laisse la place au défaitisme et propose de se laisser mourir. Robert regimbe un peu et prétend qu'il vaut mieux chercher une solution pour s'en sortir. Il est suivi par Etzelle qui n'est pas intéressée par la perspective de mourir dans une boîte de conserve qui pue le jus de moule fermenté. Les gendarmes sont penauds et n'osent pas prendre part à la discussion. Östäl suggère que l'on utilise l'orgue du Nautilus pour s'accompagner dans un dernier "plus près de toi mon dieu" interprété par les occupants du sous-marin échoué. Il n'y a que Alice qui soit tranquille et sereine. Et pour cause ! En bonne Atlante, elle est pourvue de branchies qui lui permettent de respirer sous l'eau. Pour elle, la situation ne revêt aucune dimension dramatique. Elle sait qu'elle s'en tirera.

Cette certitude s'accompagne d'un cas de conscience. Il va lui falloir choisir entre l'attente de la mort de ses compagnons d'infortune pour sortir du sous-marin et un départ immédiat qui aura pour conséquence fâcheuse de provoquer la mort certaine de ces mêmes compagnons. Pour le moment, elle ne parle pas. Elle réfléchit, Alice.

Roland à un sursaut de volonté. Il propose que l'on cherche les bouteilles vidées par les Chapraudt et que l'on s'en servent comme réserves d'air pour accompagner la remontée vers la surface. Robert dit que c'est une bonne idée. Conforté par ce soutien, Roland explique que les bouteilles fixées à la ceinture agiraient aussi comme des bouées. Etzelle propose que l'on cherche le maximum de bouteilles vides en y allant à tâtons. C'est Östäl qui stoppe l'enthousiasme des naufragés en rappelant une évidence qui est qu'il faudra ouvrir les portes du Nautilus pour pouvoir sortir et que cela aura pour effet de créer une telle surpression que personne n'en réchappera. Le défaitisme renaît dans les rangs.

Gaëlle a une idée. Ne pourrait-on pas ouvrir les gendarmes et s'emparer de leurs viscères pour en exprimer par pressage suffisamment de calvados pour faire redémarrer la machine ? Un débat suit entre les pour et les contres. Si le Docteur Gemenle assure que c'est une bonne idée réjouissante qu'il faut tenter, ce n'est pas l'avis des gendarmes qui protestent avec véhémence. Ils se sont cachés quelque part vers l'arrière du Nautilus et espèrent que l'on ne mettra pas la main sur eux.

Gaëlle suggère que l'on pourrait demander aux pandores de pisser et que, avec un peu de chance, l'urine contiendrait encore assez de calvados pour remettre les machines en route. Deux voix venues du fond du Nautilus affirment que l'on n'a pas envie de pisser. On tente une négociation mais les gendarmes restent intraitables, effrayés à l'idée que l'on puisse porter atteinte à leur intégrité physique pour presser leurs viscères imprégnées de jus de pomme distillé et ne croyant pas un instant à cette histoire de prélèvement d'urine qu'ils prennent pour une ruse.

Brisant le silence pesant, une voix se fait entendre de là où l'on n'en attendait pas. C'est Colette qui parle. Elle dit qu'il faut pédaler. Pédaler ? L'exclamation interrogative s'élève de toutes les voix présentes ou peu s'en faut. Pédaler ? Comment cela, pédaler ? Colette explique que si on la détachait de ses liens qui la font atrocement souffrir, elle expliquerait comment utiliser le système de secours du Nautilus qui permet, à grands coups redoublés de mollets, de se sortir de cette inconfortable situation d'échouage au fond de la Manche. Les oreilles se font attentives et la décision de libérer Colette est vite prise. En se cognant, en trébuchant, en pestant, Roland et Robert se dirige vers la voix de Colette afin de la libérer. Ils lui font promettre de ne pas tenter un coup fourré. Colette ajoute qu'elle est dans la même situation que les autres naufragés et qu'elle ne souhaite pas mourir là non plus. L'argument porte. Les liens sautent.

Alors, Colette cherche son chemin vers le poste de pilotage et se lance dans la recherche du levier rouge qui permet de libérer les pédaliers de secours. Elle agit sur un levier qui provoque une sorte de borborygme. Elle s'excuse et le repousse avant de se saisir d'un autre levier qui refuse de bouger. Elle passe à une autre commande. Elle le pousse, elle le tire, il ne se passe rien. Les minutes passent. Colette jure et s'agace. Elle déclare ne pas comprendre que personne n'ait une allumette, un briquet, une lampe de poche, quelque chose qui fasse de la lumière. Du fond du Nautilus, les Chapraudt annoncent détenir par devant eux allumettes, briquets et lampes de poche. On leur demande pourquoi ils ne l'ont pas dit plus tôt ; ils répondent que l'on ne leur avait jamais demandé jusque là. Ils sont traités d'idiots et de crétins et on va jusqu'à eux pour leur prendre leurs lampes de poche. Enfin, on a de la lumière ! Les gendarmes demandent que l'on ne vide pas les piles qu'ils ont payé de leur poche. On les traite de crétins une fois encore.

Dans la lueur des lampes de poche, Colette s'y retrouve mieux dans la panoplie de commandes à sa disposition. Elle trouve rapidement le levier qu'elle cherchait. Elle le tire et le dispositif de secours apparaît dans une farandole d'engrenages et de chaînes. Dans un bel alignement, surgis du plancher du Nautilus, une succession de pédaliers et de selles. Six places. Il n'y a plus qu'à pédaler. Östäl annonce qu'il est le plus à même de tenir les commandes. Gaëlle et Etzelle prétendent qu'elles ont passé l'âge de la bicyclette. Alice, penaude, avoue ne pas savoir faire du vélo. Les gendarmes ne tiennent pas à pédaler non plus mais là, on ne leur demande pas leur avis. On va les chercher sans ménagement et on les installe sur les selles. Roland et Robert en prennent deux. Le docteur Gemenle et Colette s'installent sur les deux dernières. Et voilà notre petit mondre, la tête baissée, qui donne du mollet. Et ça pédale, et ça pédale ! Östäl les accompagne dans leur effort d'une chanson de chez lui qui raconte les héros revenus victorieux de la guerre.

On veut y croire, on veut s'en sortir, on ne veut pas mourir au fond de l'eau. On pédale de bon cœur et de toutes ses forces. Et peu à peu, on semble ressentir une légère et fugace vibration. Le Nautilus se réveille ! Ce frémissement subtil donne de l'allant et on pédale de plus belle. L'ascension du Ventoux, c'est de la gnognote à côté de ça. De la roupie de sansonnet, de la pure rigolade. Les gendarmes suent d'abondance et crachent leurs poumons. La tête dans le guidon, Colette, Robert, Roland et le docteur Gemenle soufflent en cadence. C'est beau comme un Paris-Roubaix. Il ne manque plus que le commentateur sportif pour que le tableau soit parfait.

Mais oui ! Le résultat est au rendez-vous et tous ses efforts réunis sont bientôt couronnés de succès. Déjà le Nautilus s'est redressé. Bientôt, on le sent flotter de nouveau. Östäl, la voix éperdue de remerciement et d'émotion annonce que l'on remonte vers la surface. La libération est pour dans pas longtemps. D'ici peu, on ouvrira les écoutilles et l'on prendra une bonne goulée d'air frais, parole d'Östäl. Sous les applaudissements de Gaëlle et Etzelle, nos compétiteurs ne rechignent pas à la tâche. Ils se sentent être les héros du jour. La vie de tous sont entre leurs cuisses.

En pleine extase, Östäl annonce que tout donne à penser que la fin du calvaire approche. Déjà, s'il en croit les instruments de bord, on se trouve juste à quelques mètres de la surface ! C'est la victoire à portée de main. Il jubile, Östäl, il exulte. Il encourage la troupe d'une nouvelle chanson entraînante glorifiant le héros et le courage. Si Chapraud ose se plaindre d'une douleur au fondement, c'est à voix basse et à destination de Chapraut qui répond qu'il a fichtrement mal au cul.

Un dernier effort et le Nautilus surgit des profondeurs humides et salines. D'un bond, le géant borgne tourne le volant de la trappe donnant sur l'extérieur. Il annonce que l'on peut arrêter de pédaler, que la situation est sous contrôle et que l'on ne risque plus rien. Il ajoute que l'on est sauvé. A bord du Nautilus, ce ne sont qu'embrassades et congratulations accompagnés de larmes de joie et de signes d'amitié. Seule Alice reste silencieuse à la liesse. Elle s'est calée dans le fond du sous-marin et attend. Elle sait ce qui attend ses compagnons, elle. Les autres ne vont pas tarder à le savoir à leur tour.

Östäl gravit les échelons et passe la tête à l'extérieur. Il se pétrifie. Il se met à trembler. Il prend peur, Östäl. Et alors, il redescend et il a pâli, Östäl. Une sueur froide et acide coule de son front. Les autres comprennent que quelque chose ne va pas comme on l'aurait souhaité. Roland se précipite sur l'échelle, grimpe et redescend à toute vitesse, blanc comme un linge. Il raconte ce qu'il vient de voir et ce qu'il vient de voir est confirmé par Östäl qui, l'œil fou, fait oui de la tête sans s'arrêter.

Là haut, dehors, il y a des animaux préhistoriques hauts d'au moins vingt mètres qui n'ont pas l'air faux et pas vraiment de bonne humeur. Des brontosaures, des diplodocus, des stégosaures et des tyrannosaures de chair et d'os. Et ça, c'est signe qu'il se passe des choses pas normales, ajoute Roland.

mardi 16 avril 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (39)

Mardi dernier, pas de feuilleton. Le rendez-vous a été raté. Incrédulité puis incompréhension. De par le monde, les manifestations populaires, les émeutes, les révoltes fusent. Les gouvernements vacillent, le peuple crie et réclame. Il veut son feuilleton hebdomadaire et il veut se faire entendre. On est à deux doigt du chaos mais, fort heureusement, le feuilleton est de retour avec Liaan qui propose une suite à sa suite ! Nous avons évité le pire et on pousse un grand "ouf" de soulagement !

Toujours à bord du Nautilus.

La situation va en s'aggravant...

Maurice prend la parole :

— Pas d'angoisses, Mesdames et Messieurs, nous allons prendre en main la situation !

Aidé du Docteur Gemenle, Östäl déplace Lafleur, qui d'abruti potentiel l'était devenu complètement désormais, et le grand gaillard d'Östäl ferme le couvercle de "l'Orgue du Nautilus" et prend les commandes du sous-marin. Les aiguilles se mettent à ralentir, se maintiennent, avant de retourner dans l'autre sens, au grand soulagement des pilotes. Les craquements continuent mais la situation est moins inquiétante.

— Béni soit le Très Puissant ! lance Gérard, Nous sommes sauvés ! Merci Seigneur !

— Si Lafleur s'est mis à débloquer, voilà désormais Gérard qui repart dans ses délires mystiques, constate Colette.

— Tais toi, femme ! reprend Gérard, comme le dit le Très Grand :

"Une femme vertueuse est la couronne de son mari,
mais celle qui fait honte est comme la carie de ses os."
(ancien Testament, proverbe XII, 4)

— Qu'est-ce que je vous disais !

— Silence ! Coupe Maurice, en tant que nouveau commandant du Nautilus, j'en reprends la direction !

— Pas mieux que Gérard, mon pauvre Maurice, reprend sobrement Colette, tu te mets toi aussi à déconner à plein tube, ce doit être l'ivresse des profondeurs, ou le jus de moule qui te monte à la tête ! Toi, en chef ! Jamais ! Une sonnerie l'interrompt.

— Ah ! Téléphone ! s'exclame Maurice et décroche un téléphone mural, Modèle Marty 1910.

— J'écoute...

— ...

— Je vous l'appelle ! Arthur Conan ?

L'air étonné, le facteur Arthur se dirige vers le téléphone et se met à écouter. Toujours l'air étonné, après avoir raccroché le combiné, il part vers le couloir à l'arrière, ouvre la porte marquée "privé" et avant de franchir le seuil, il se retourne et lance un "salut la compagnie" ! Il referme la porte métallique derrière lui. Un immense point d'interrogation se lit sur tous les visages des passagers du Nautilus, y compris celui de Maurice qui malgré tout, continue :

— Je disais, après Lafleur, je suis le seul maître à bord !

— Pas question, coupe Colette. De quel droit te nommes-tu capitaine ? Pourquoi toi ?

— Parce que je suis l'ami de Lafleur, voilà pourquoi… rétorque Maurice.

— Et moi, je compte pour des prunes, peut-être ? lui demande Colette, Moi aussi je suis l'amie de Lafleur !

— Mettons tout cela aux voix, propose Roland.

— Ce sera sans moi, dit Kermitt, vos histoires commencent à m'échauffer les oreilles, et je ne dois pas être le seul, d'ailleurs.

Sa phrase à peine terminée, Kermitt devient comme transparent, et, s'efface complètement !

Kermitt se retrouve, abasourdi, chancelant, assis sur le pas de la porte de sa maison, à Pont-Aven ! Une dame le regarde depuis la rue et maugrée :

— Si ce n'est pas une honte de se mettre dans des états pareils, à son âge !

Et la dame s'éloigne en haussant les épaule, devant Kermitt qui est stupéfait : sa maison, sa cuisine, il entre et sur la table, comme l'attendant, sa bouteille de calvados encore pleine.

— Ben ça ! Ben ça ! répète-t-il, Ben ça, quel rêve à la con, aussi tordu que l'autre que j'avais fait avec les gendarmes ! conclut Kermitt en se servant une bonne rasade de calvados.

Et le facteur Arthur ? Après avoir fermé la porte métallique du Nautilus, en quittant ses compagnons, il se trouve dans un couloir de béton, le sol est carrelé, l'éclairage avec des tubes fluorescents; Arthur reconnait son environnement familier : celui du bureau de poste de Pont-Aven ! Arthur décide de ré-ouvrir la porte qu'il vient de refermer : la porte est en bois ordinaire, peinte en blanc et, une fois ouverte, lui montre que c'est bien celle du "chauffoir", l'endroit où les facteur prennent leur café et se restaurent, vide à ce moment là… Le facteur s'en retourne et retrouve la salle de tri des facteurs, où l'attend le Receveur et deux types qu'il ne connait pas.

— Vous voilà revenu de votre stage de maîtrise de soi, M. Conan, lui dit le Receveur des Postes de Pont-Aven, il ne vous reste qu'à remplir le formulaire de fin de stage, avec vos impressions.

Très surpris, Arthur s'assoit à la table, où les deux personnages, qu'il ne connait vraiment pas, lui tendent l'un un stylo, l'autre une dizaine de feuillets… Arthur se met à lire et remplit consciencieusement son questionnaire, et pense qu'il avait plus de cent ans d'avance sur sa tournée, il n'y a pas dix minutes !

Dans le sous-marin, José le cafetier s'est endormi, malgré le brouhaha ambiant qui suivit la proposition de Maurice de prendre le commandement du Nautilus.

Le sommeil de José est interrompu par la voix de Kermitt qui lui demande s'il est en train de dormir. José ouvre grand ses yeux et voit qu'il est affalé à un table de son café, à Pont-Aven ! Et Kermitt qui le regarde dans les yeux et lui dit :

— Alors ? Il n'y a plus moyen ? Je me rends dans ton café, où il n'y a personne, et Môssieur José dort…

— Mais, dit José, Kermitt ! Tu n'es plus dans le sous-marin ,

— Quel sous-marin ? Mais... Comment qu'tu sais que j'ai rêvé de sous-marin ? Te v'là devenu devin à c't'heure, mon José ? C'est nouveau, ça !

— Tu as rêvé, Kermitt ? Tu as rêvé que tu étais dans un sous-marin ? J'ai l'impression que j'ai fait un rêve semblable !

Laissons là nos deux acolytes, le commerçant rêveur et son client assidu et assoiffé.

Dans le Nautilus, désintéressé de la guerre des chefs, (cela concerne des civils, moi, je suis militaire, tant que la Patrie n'est pas en danger concomitant et immédiat, je laisse faire), le Brigadier Chapraut est le seul qui vit la disparition de José. Hallucination due à la profondeur démesurée de l'océan, mais ? Au fait, nous sommes plongés dans la Manche, ce bras de mer ne fait que dans les quarante-cinq à cinquante mètres de profondeur, j'ai appris ça au certif' ! Comment ça se fait-il que le sous-marin ait plongé aussi profond que les quarante mille pieds annoncés par l'altimètre ? Faut que j'en cause à Chapraud… Le Brigadier Chapraut se lève et se rend dans la pièce où se trouvent Frédéric et Uma, enlacés, sous le regard du Brigadier Chapraud qui rigolait de voir les efforts vains de Frédéric essayant de se séparer de la mante que représente Uma. Le brigadier Chapraut s'approche, et voit le visage de son collègue déformé par la stupeur...

— Là, là ! montre le Brigadier Chapraud au Brigadier Chapraut, le pervers vient de disparaître avec le robot de type femelle !

Chapraut regarde, et voit qu'il n'y a plus personne dans la pièce, hormis eux-même, et déclare :

— Ben, y va en falloir des feuilles et des feuilles pour notre rapport, si rapport il y a…

Deux C.R.S. motocyclistes de la Compagnie du Mans (Sarthe) s'arrêtent à la hauteur d'un camion garé sur le bas-côté de la route nationale 157, en pleine campagne. Le camion, du type quinze tonnes, n'a pas d'inscription ou de raison sociale sur ses flancs, dont le conducteur n'a pas posé à la distance réglementaire son triangle rouge destiné à cet usage. L'un des motards descend de machine pour se hisser à la hauteur de la vitre de la cabine et est surpris du spectacle : son conducteur, Frédéric, pantalon sur les chevilles, en train de trousser une poupée gonflable.

Chapraut et Chapraud annoncent à l'assemblée des passagers, qu'après le facteur, Kermitt et José, Frédéric avait disparu sans laisser de trace… Uma aussi avait disparu.

Roland rappelle que cela ressemble furieusement à un roman de Philip K. Dick. Robert complète en citant le titre du roman qui est "Au bout du labyrinthe" : une équipe d'homme et de femmes, partis coloniser une planète, ne trouvent que des bizarreries et autres sortilèges, et à la fin, il s'aperçoivent qu'ils sont plongé dans un monde virtuel...

— Mais ce n'est qu'un roman, complète Roland.

— Nous, on est dans le vrai monde, un monde de dingues, d'ailleurs je m'en vas calmer tout cela, lance cousine Gaëlle.

Et la Labornez de sortir d'on ne sait où sa fidèle casserole toute cabossée. Elle entame sa mission salvatrice en envoyant tout d'abord Gérard au pays des songes.

— Les curetons et leurs bondieuseries, voilà ce que j'en fais, même si nous ne sommes qu'en 1892, j'anticipe la séparation de l'Église et de l'État ! Je reste laïque ! Toi aussi, la bécasse qui nous agace, Bing !

La Colette est assommée, prise par surprise pendant qu'elle rigolait de la mésaventure de Gérard. Maurice eut beau mettre ses mains sur sa tête, la cousine Gaëlle, vive comme l'éclair, lui donne tout d'abord un coup de casserole sur l'estomac qui surprend Maurice, et bing ! Sur la cafetière !

— Vous deux ! Elle s'adresse aux deux pilotes du Nautilus, Östäl et le docteur Gemenle, vous continuez à bien diriger le sous-marin. Il y va de notre intérêt, et vous allez nous ramener dans l'Océan Atlantique, à Pont-Aven ! Non mais…

Tante Etzelle, Roland et Robert, comme des enfants, applaudissent le fait d'arme de la cousine Gaëlle. Les brigadiers Chapraud et Chapraut félicitent de la promptitude la cousine, et admire ce que peut se permettre un civil en colère. Eux, dans la Gendarmerie, ils n'ont pas besoin d'être en colère pour semer les gnons, ordre ou pas ordre… À ce moment, Alice dit :

— Bravo, Madame Labornez, vous avez fait ce qu'il fallait faire en mettant hors de nuire ces individus, vous êtes la personne la plus courageuse de la troupe. Vous nous avez débarrassés du Faux Lafleur et de ses sbires !

— Comment ça, un "faux Lafleur" ? Il a vieilli, certes, depuis le temps que je ne l'avais pas vu, mais c'est bien lui, dit Gaëlle, tout en regardant Lafleur qui dormait tranquillement.

— Non, reprend Alice, c'est un Atlante déguisé en Lafleur !

Visages étonnés des compagnons de Gaëlle.

— Vous voulez dire que c'est une usurpation d'identité ? demande le Brigadier Chapraud à Alice.

— Que c'est un quoi ? J'ai cru comprendre un "Atlante" interroge le Brigadier Chapraut.

— Nous aussi, on a cru entendre un "Atlante", dirent d'une seule voix Tante Etzelle, Gaëlle, Roland et Robert.

— Oui, vous avez bien entendu. Je suis aussi une Atlante, répond Alice, tout en tirant la base de ses beaux cheveux roux à la hauteur du front, elle enlève un masque et laisse découvrir aux passagers médusés un visage tirant sur un beau vert clair, un vert d'eau pense Tante Etzelle, avec des milliers de fines écailles telle un poisson, un visage de forme humaine malgré un nez très court et des yeux un peu grands, plus immenses que ceux que l'on peut voir d'habitude chez nos contemporains.

— Ça alors ! Vous venez de l'Atlantide ? Ce fabuleux continent qui aurait disparu ? demande Roland.

— C'est tout à fait exact, lui répond Alice.

— Et ce n'est donc pas mon Lafleur ? interroge Gaëlle.

— Non, reprit Alice, c'est un très dangereux mythomane que notre pays cherche par tous les moyens à isoler. D'où mon arrivée dans votre histoire… Vous ne vous êtes pas étonnés qu'une simple infirmière vous suive comme ça, sans pratiquement pas une hésitation ?

— Oh pour ça, non ! lui dit la cousine Gaëlle, il y a tellement eu de trucs absurdes dans notre aventure, des trucs aussi farfelus que des maisons qui explosent et sont reconstruites aussitôt, des robots indestructibles qui se réparent eux-même, des garages de chez Joe, des inspecteurs François Toucourt, des postes de radio dans des 4L de postier, des invraisemblances comme un mur invisible, ce "Nautilus", alors, vous pensez, une infirmière aventureuse, c'est tout-à-fait normal !

— Maintenant que tu nous racontes cela, Alice, reprend Robert, tu es comme qui dirait une policière de l'Atlantide, une, oserai-je, une "espionne" au service de l'Atlantide ?

Les Brigadiers Chapraud et Chapraut se regardaient en chiens de faïence, tout en se grattant la tête tous les deux. Le Brigadier Chapraut dit :

— Punaise, le rapport se complique à l'envie, Brigadier Chapraud.

— C'est vous, Brigadier Chapraut, qui allez nous taper ce rapport. Vous tapez avec trois doigts, vos index et le pouce, tandis que moi, je ne tape qu'avec deux doigts.

— Bon, que fait-on maintenant , demande Tante Etzelle, nos lascars ne vont pas restés groggys comme ça longtemps.

— Nous allons les ficeler pour l'instant, ces malfaisants dit Robert.

— Et les Cyborgs ? s'inquiètent Roland.

— Déconnectés définitivement et renvoyés dans leur époque respective, précise Alice.

— Leur époque ? Nous somme en quelle année donc ? demande Gaëlle.

— En 1892, comme annoncé par Némo, lui répond Alice.

— Némo ? C'est Lafleur ? interroge à son tour Tante Etzelle.

Amusée par toutes ces questions, Alice reprit :

— Oui, ce nom a du lui monter à la tête, souvenez-vous de ses colères lorsque vous lui parliez du Capitaine Némo. Némo était devenu Lafleur, complètement, physiquement et mentalement Lafleur.

— Mais… Demande Gaëlle, Lafleur ? Je veux dire le "vrai" Lafleur, qu'est-il devenu ?

— Il travaille toujours à sa "Fabrique de bébés", rue du Général de Gaulle, et il fait toujours des "bébés" !

— Des bébés ? À son âge ?

— De simples poupées pour les petites filles bien sages, la Société Petit Colin ou les poupées Gégé, vous en avez entendu parler ? C'est Lafleur et sa Fabrique qui leur fournissent les trois quart de leur production.

— Oui, bien sûr… Lafleur qui me disait : je vais avoir plein d'enfants, tout plein…

— Nous arrifons devant l'endrée tu tunnel ! annonce le docteur Gemenle.

— Et eux, interroge Robert, ce sont des Atlantes ? En montrant du pouce retourné Östäl et le Docteur Gemenle, tout en saucissonnant Colette.

Alice répond que non, qu'ils ne sont que de bêtes Européens contemporains auquel Némo leur a promis je ne sais quelle puissance et richesses.

— Endrée du Kanal ! Continue le docteur Gemenle, la foie est lipre, dous les feux sont au fert !

Ce fameux canal qui relie la Manche à l'océan Atlantique pour éviter de passer au large de la pointe bretonne… songe Roland. Que de travaux grandioses. Et le A de l'Atlantique, pauvre Manu-manu, M. Barthélémy, Anatole et Philémon, merci Fred !

— Mais quand-est-ce que l'on revient à notre époque, s'inquiète Gaëlle…

— Justement, il faut que l'on reviennent au port, précise Alice, le port découvert par nos deux gendarmes? C'est le seul endroit du coin on l'on peut changer d'époque…

La cousine Gaëlle se et à réfléchir en fermant les yeux, et tout à coup, elle se lève, et s'approche d'Alice, lui chuchote à l'oreille…

— C'est tout bien réfléchi ? demande doucement Alice à Gaëlle qui lui répond :

— Oui ! C'est tout bien réfléchi !

Puis Gaëlle s'en retourne vers Tante Etzelle et lui chuchote aussi à l'oreille…Tante Etzelle se met à sourire et dit :

— Non, sans façon, je préfère encore vivre avec ce que j'ai, et mes souvenirs…

Devant le regard interrogatif des autres occupants, Alice déclare :

— Gaëlle Labornez m'a demandé si elle pouvait revenir en 1978, avant que Yannick ne disparaisse en mer. Elle veut revivre avec Yannick, et, elle l'empêchera de partir ainsi…La cousine Gaëlle avait les larmes aux yeux.

— Et vous autres, s'enquiert Alice, vous n'avez pas une période préférée ?

Les gendarmes, presque d'un seule voix :

— Nous sommes tranquilles à la Brigade de Pont-Aven, nous connaissons tout notre monde, changer d'époque serait comme qui dirait une mutation disciplinaire, on veut pas…L'aventure, nous en avons notre content, et, nous avons un rapport à effectuer sur toutes cette affaire ! Nous devons revenir à notre époque, afin de laver toutes ces souillures que nous avons reçues, rétablir la situation et retrouver nos uniformes !

Roland, en écoutant cela, se disait que ce n'était pas gagné.

— Et vous ? les garçons ? demande Alice à Roland et Robert, qu'en dîtes vous ?

Robert dit :

— Mouais, Chais pas trop. Revenir dans les années 1950/1960 ? Époque où l'on trouvait pour pas trop cher des Delage, Bugatti et autres Salmson à pas cher…C'est tentant… Mais si c'est pour faire fortune avec, faudra que j'attende 1984/1985, soit vingt à trente ans que je prendrais aussi dans la gueule… Non, je joue la prudence, je choisis mon époque, tant pis…

— Tu sais, Robert, tes bagnoles que tu cites, ce sont de belles bagnoles, mais à l'époque où elle ne sont pas chers, ce ne sont que de vieilles choses que seulement peu de personnes entretenaient dans les règles de l'art… Ces mêmes voitures sont maintenant, certes hors de prix, mais elles ont été bichonnées et fiabilisées…

— Tu as raison, Roland, tu as raison, dit, désabusé Robert.

— Mais, ceux qui ont disparus ? Le facteur, le Kermitt, José, le camionneur Frédéric ? demande Gaëlle, Ils sont où ?

— Ils n'avaient plus vraiment de rôle dans votre histoire, lui répond Alice. Il y avait trop de monde dans tout ça, rassurez vous, ils ont retrouvé leur époque et ont oublié ce qu'il leur était arrivé, comme un rêve disparait après le réveil…

— Mais nous, les gendarmes ? s'inquiètent le Brigadier Chapraud et le Brigadier Chapraut.

— Vous, vous êtes trop rigolos pour que l'on puisse se passer de vous, sourit Alice.

— Nous harrifons au port dans drois minutes ! annonce le docteur Gemenle.

— Mais, à l'arrivée, les flics, les Gardes Mobiles et l'Inspecteur Latulipe ? s'inquiète Tante Etzelle.

— Ça, dit évasivement Alice...

mardi 2 avril 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (38)

Le feuilleton est en pleine plongée. Il s'enfonce, il coule, il sombre. Pour autant, il n'est pas terminé et c'est Liaan qui nous propose une suite qu'il qualifie, lui aussi, de transition.

À bord du Nautilus

L'annonce de Lafleur provoque la stupeur générale dans le carré du sous-marin. Rendez vous compte : Lafleur annonce que nous allons au plus profond des mers, aux confins du centre de la Terre ! Seul Gérard, éternel crétin, s'enthousiasme devant la perspective de faire un beau voyage aux abysses, de pouvoir admirer la faune et la flore comme s'il s'agissait de faire un tour de manège au Carrousel des Mondes Marins à Nantes (Loire Inférieure, à cette époque).

— Mais, tu ne vois pas que c'est un voyage vers la mort que nous prépare Lafleur ? lui demande Colette, blanche d'angoisse.

Et l'on voit le Doktor Gemenle qui observe les différents cadrans, et montre d'un doigt tremblant l'altimètre dont l'aiguille tourne de plus en plus vite. Et lorsque son doigt se dirige vers le cadran du déconomètre à dépression, le Doktor Gemenle s'écrie :

— Lafleur ! Ne faites pas de pêtises, le déconomètre va sur la zone rouche !

Lafleur se tourne vers le Doktor Gemenle et dit, calmement :

— Herr Toktore ! Malgré toute l'estime que j'ai pour vous, je suis au regret de vous dire : Zut ! Zut aussi à vous tous, avec vos regards chafoins. Vous n'êtes tous que des immondes et putrides larves, dont je sature de voir vos piètres images, faits et gestes ! Vous ne méritez plus de vivre sur cette planète. Colette a raison, c'est un voyage vers la seule chose qui compte pour moi, désormais : le monde du silence, le monde du rien... Mais comme le disait Nietzche "sans la musique, la vie serait une erreur !"

Et Lafleur de soulever un panneau situé sous les cadrans qui tournent de plus en plus vite, les spectateurs découvrent un clavier.

— L'orgue du Nautilus ! croit bon de dire Roland.

Après s'être fait craquer les doigts, Lafleur se met à jouer "Au clair de la Lune" au piano ! Car en fait de la puissance attendue de grandes orgues, les auditeurs n'ont droit qu'à la modeste musique d'un piano jouet, des marteaux ne frappant que des tiges de métal...

— Ce type est complètement fou ! Déclare Tante Etzelle qui quitte son siège pour rejoindre Gaëlle qui, comme les autres, est complètement tétanisée. Seul, le Brigadier Chapraut déclare :

— C'est un illuminé ! Le Royaume des Cieux leur appartient ! J'ai soif, où qu'est-y la réserve de calvados ? En disant cela, il se lève et s'éloigne dans le couloir, à l'arrière du sous-marin, et ouvre toutes les portes qui se présentent.

Lafleur joue toujours, comme absent, et est passé à "Frère Jacques". D'un commun accord avec le Doktor Gemenle, Östäl et Maurice s'approchent de Lafleur, et pendant que Östäl ceinture de ses puissants bras Lafleur, Maurice appelle Alice :

— Vous êtes infirmière ?

— Oui, mais…

— Dans l'armoire sur votre gauche se trouve une pharmacie, trouvez nous un calmant pour ce pauvre Lafleur !

Lafleur essaie de se sortir de l'étreinte vigoureuse d'Östäl, mais la poigne du géant rend vaine toute tentative.

Alice trouve un dérivé de morphine et après avoir remonté la manche du bras droit de Lafleur, le garrotte et lui injecte une bonne dose. Le produit fait son effet très rapidement et c'est un Lafleur, apaisé, qui s'endort dans les bras d'Östäl.

— Nous voici dans le même bateau, enfin, je voulais dire dans le même bain, déclare Maurice, Lafleur est devenu fou, serait-ce le jus de moule qui s'avère toxique ? Il voulait nous faire, tous, mourir !

Le Brigadier Chapraut revient à ce moment dans le carré, et demande au Brigadier Chapraud :

— Dites-moi, Brigadier Chapraud, une atteinte aux bonnes mœurs est-elle possible en ce lieu ?

— Ma foi, Brigadier Chapraut, nous sommes qui comme qui dirait dans un lieu privé qui reçoit du public, nous en sommes la preuve vivante et sensée, enfin, je le présume... Qu'avez vous à me signaler ?

— Brigadier Chapraud, si nous sommes dans un lieu privé, recevant du public, nous avons à signaler une affaire de mœurs : une atteinte caractéristique à la pudeur !

Le Brigadier Chapraud reste avec les deux yeux en ronds de flan. Tout le monde s'était retourné vers les deux brigadiers.

— Venez voir, Brigadier Chapraud, vous allez pouvoir constater de visu, dit le Brigadier Chapraut, et juger de vous-même.

Curieux de voir cela, le Brigadier Chapraud suivit son collègue dans le couloir, et à la troisième porte que ce dernier ouvre, d'un geste auguste, le Brigadier Chapraut montre une scène au Brigadier Chapraud.

— Ah ça, pour un attentat à la pudeur, c'est un attentat à la pudeur !

À peine dit cela, Gérard qui voit aussi la scène, revient en rigolant et en criant presque :

— Un seau d'eau ! Vite !

Et se tourne vers Colette et lui annonce :

— Il y a que je suis pas le seul cocu de l'histoire, Femme !

Colette s'empresse de venir regarder ce qui se passe dans cette pièce de la troisième porte, non sans avoir giflé généreusement Gérard, ce qui ne l'empêche pas de continuer à rigoler :

— Cocue, la Colette, cocue ! Et pas par moi !

La scène dans la pièce était assez explicite : Frédéric, qui avait jusqu'ici, été très discret, au point que l'on le crut disparu, Frédéric, l'amant de Colette, pantalon encore aux chevilles ouvrait de grand yeux en regardant tout à tour les gendarmes (en civil, modèle 1890). Frédéric était resté accouplé avec Uma, qui le retenait de ses belles, longues, fuselées mais fermes jambes.

— Pris la main dans le pot de confiture, mon salaud ! dit Colette et gifle violemment Frédéric.

— M'est avis qu'il est resté "collé" avec l'humanoïde femelle, constate le Brigadier Chapraut.

— S'accoupler avec un robot, c'est bien un queutard, ce Frédéric, dit sobrement le Brigadier Chapraud.

Désintéressés de la scène cocasse, les autres occupant du Nautilus étaient sur un problème plus préoccupant : le sous-marin s'enfonçait vers les profondeurs abyssales, les aiguilles de l'altimètre tournaient de plus en plus vite, les indications du cadran étaient en pieds, mais qu'elle soient en pieds ou en mètres, le Nautilus s'enfonçait de plus en plus. Déjà, la structure du navire commence à craquer.

Le Nautilus est-il perdu et nos amis avec ? Frédéric réussira-t-il à s'extraire d'Uma ? Le Brigadier Chapraut trouverat-t-il sa bouteille de calva ? Nos lecteurs supporteront-ils ce feuilleton encore longtemps ? Prochainement, le numéro 39.

mardi 26 mars 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (37)

Et c'est reparti ! En viendrons-nous à bout de cette histoire qui n'a ni queue ni tête ? Aujourd'hui, pas grand chose à se mettre sous la dent. Un épisode de transition, dirons-nous.

Plus les barques approchent du port et plus leurs occupants distinguent nettement les mats et les navires. Dans la barque de tête, Chapraud et Chapraut sont à la manœuvre.

— Pourquoi c'est nous qu'on rame ?

— Il en faut bien ! estime Roland

— Oui mais pourquoi nous ?

— Parce que tant que vous avez les mains occupées, vous ne faites pas de bêtise, assène tante Etzelle. Contentez-vous de ramer dans la bonne direction. Souquez, moussaillons !

— Oui mais nous, on est gendarmes à pied, on n'est pas des gars de la marine.

— Ramez !

Poc.

La barque vient de toucher quelque chose. Elle n'avance plus. La deuxième barque rejoint la première et semble être arrêtée par un obstacle invisible elle aussi.

— Il doit y avoir une épave ou une branche d'arbre, dit Gaëlle. A marée basse, c'est souvent que ça arrive.

— Je ne vois rien, dit Robert.

— Moi non plus, dit Alice.

— Pas plus que moi, dit Arthur qui, du bout de sa rame fouille la surface. Non, il n'y a rien.

En voulant fouiller de l'autre côté de la barque, il soulève la rame dans les airs et la fait pivoter par-dessus les têtes.

Poc.

— J'ai touché quelque chose ! Annonce-t-il mi incrédule mi effrayé. J'ai touché quelque chose en l'air.

Poc. Poc.

— Là, juste là. Devant. Comme un mur invisible ! Je vous jure, regardez !

Poc. Poc. Poc.

Hormis les Chapraud-Chapraut qui ne semblent pas concernés par la stupéfiante découverte, tout le monde s'avance pour toucher l'incroyable du doigt. Ils tâtent, ils poussent.

— Nous voilà beaux, juge Arthur.

— Gardons notre calme et soyons rationnels. Cela n'est pas possible. Il doit y avoir quelque chose que nous ne comprenons pas. Dit doctement Robert.

— Tu l'as dit ! Pour quelque chose que l'on ne comprend pas, on ne comprend pas ! Ricane Arthur.

— Moi je sais ce que c'est, annonce calmement Kermitt.

— Ah ? Et c'est quoi, Monsieur Kermitt ? demande, narquois, le facteur.

— Un mur invisible.

— C'est bien, Kermitt, c'est bien.

Roland est pensif. Il a attrapé une rame et juge au toucher l'étendue du mur. Sous l'eau, il y a le mur. Au-dessus de l'eau et au moins jusqu'à hauteur de rame, il y a le mur.

— Mon avis, c'est que nous sommes prisonniers de Lafleur et du Nautilus. C'est comme son histoire de voyage dans le temps. Il a aussi le pouvoir de créer une sorte de champ de force qui nous empêche de nous éloigner trop du Nautilus. C'est pour ça que l'on ne nous a pas poursuivi dans notre fuite. C'était trop beau, on aurait dû se méfier.

— Oui ben nous, on en a marre de vos histoires. On arrête là. On descend. Tu viens, Chapraut ?

Chapraud a posé son aviron et s'est levé. Suivi de Chapraut, il enjambe la coque et pose un pied sur l'eau. Il hésite un instant et il pose un deuxième pied. Il se retourne vers Chapraut.

— Bon, vous venez, brigadier ?

Dire que la stupéfaction est à son comble est un doux euphémisme. Tous sont là, muets, à regarder les deux gendarmes se tenir sur leurs jambes à la surface de l'eau.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Vous avez jamais vu de gendarme ? Demande Chapraud, l'air en colère.

— Incroyable ! Vous marchez sur l'eau !

— Madre de dios ! Comme Jesus ! crie José qui est tombé à genoux et semble implorer dieu en joignant ses mains et en levant la tête vers le ciel. Un miracle ! Mon dieu ! Un miracle !

— Miracle ou pas, c'est assez... miraculeux, juge Arthur.

— Et alors ? On fait quoi ? demande Kermitt.

— On retourne au Nautilus ? propose Alice.

— On retourne au Nautilus. Dit tristement Roland. Récupérez les gendarmes si vous le pouvez.

Chapraud et Chapraut se font un peu tirer l'oreille mais se décide à revenir à leur barque et à reprendre les avirons lorsque l'on leur promet qu'ils auront sans doute du calvados en remerciement.

La mine basse, nos marins reviennent vers le quai d'où ils étaient partis.

Lafleur est là pour les accueillir. A ses côtés, le père Moulard continue de dégoutter. Gérard se tient un peu à l'écart. Visiblement, il a un peu forcé sur le jus de pomme.

— La croisière a été bonne ? s'amuse Lafleur. Je ne vous en veux pas d'avoir essayé. C'est tout à fait normal. A votre place, j'en aurais fait tout autant. Je vous ai observé. J'ai beaucoup apprécié le numéro des duettistes. Ils devraient penser à une reconversion professionnelle. Le monde du cirque leur est grand ouvert.

Le docteur Gemenle et Östäl attrapent les barques et les amarrent. Ils aident les fuyards à revenir auprès d'eux. Sur l'ordre de Lafleur, Colette est partie chercher une bouteille de calvados qu'elle propose aux marins dépités. Quelques bras se tendent et c'est celui de Kermitt qui est le plus rapide à s'emparer du flacon. Sous les regards envieux des gendarmes.

— Votre pouvoir est grand, Monsieur Lafleur, commence Roland. Nous avons été très impressionnés par votre démonstration. Honnêtement, le voyage dans le temps, nous étions quelques uns à ne pas y croire. Mais là, réussir à maîtriser la matière de la sorte, chapeau bas !

— Moui, moui, c'est pas mal, en effet, jubile Lafleur qui vient de se faire apporter un cocktail. Mais tout le mérite revient à mon bon ami Moulard. Sans lui, sans son jus de moule, rien de cela ne serait possible.

Le père Moulard ne semble pas bien comprendre. A tout hasard, il s'engage dans la discussion.

— C'est que le jus de moule, je nage dedans depuis que je suis petit. Petit à petit, dans mon laboratoire, je le perfectionne. J'ai comme dans l'idée que ça pourra servir à quelque chose. Ce qui est délicat, c'est l'odeur. Pour le moment, je n'ai pas trouvé comment développer encore un peu plus les arômes...

— C'est déjà très bien ainsi, le coupe Lafleur, au bord de la nausée.

— C'est que au port, on dirait qu'on m'évite, avoue le père Moulard, un peu triste.

— Que voulez-vous ? Vous êtes en avance sur votre temps, père Moulard !

Le docteur Gemenle s'approche de Lafleur et lui dit quelque chose à l'oreille. Lafleur opine du chef et donne quelques ordres au docteur qui va les donner aux autres membres d'équipage.

— On m'informe que le chargement est fait. Nous allons devoir laisser notre ami Moulard que nous reviendrons probablement visiter prochainement.

Lafleur fait un geste de la main pour dire au-revoir au père Moulard qui, lui, préfère une solide et cordiale embrassade. Il lance ses bras autour de Lafleur et le sert contre lui. On peut voir Lafleur changer de couleur en temps réel et passer au vert. Est-ce l'émotion ? Le voilà qui se sent mal, ses jambes se dérobent, deviennent molles, ne peuvent plus le soutenir. Le verre à cocktail est le premier à toucher le sol. Tout de suite après, Lafleur s'écrase à ses côtés. Colette et le docteur Gemenle accourent à son secours. Ils lui tapotent le visage, tentent de le faire revenir à lui. Il résiste, il préfère être dans les vapes plutôt que d'avoir à revivre cette putride étreinte, Lafleur. Il préfère encore être inconscient. Colette appelle Östäl et Gérard à la rescousse et à eux tous, ils soulèvent Lafleur pour l'amener à bord du Nautilus. Pendant ce temps, on s'occupe à guider la fine équipe constituée de Roland, Gaëlle, Alice et toute la clique vers le sous-marin. Personne ne fait d'histoire. Le petit clan formé par les gendarmes et Kermitt s'attache à bien vider la bouteille de calvados sans plus s'occuper d'autre chose.

Une fois tout le monde à bord, on s'occupe à réanimer et à laver Lafleur. Colette est équipé d'une bombe aérosol de désodorisant et tente de remplacer la puanteur du jus de moule fermenté par celle, pire peut-être, d'un sous-bois de résineux. Le mélange des deux parfums est d'une rare complexité olfactive qui a le pouvoir de révulser les estomacs. Les odeurs de bile et de calvados viennent se mêler aux effluves préexistantes et c'est la bouche serrée que les membres d'équipage font plonger le Nautilus. A bord, personne ne parle de peur qu'un malheur arrive si l'on doit ouvrir la bouche. Pendant que le Nautilus s'enfonce, Lafleur refait surface. Il rejoint le poste de commandement un peu chancelant. Il ne semble pas au mieux de sa forme. D'ailleurs, il refuse le cocktail que lui propose Colette. Il s'installe dans son fauteuil de capitaine et observe les instruments de bord, boussole, altimètre, baromètre, thermomètre, indicateur d'assiette, résolveur de soucoupe et déconomètre à dépression. En fonction de ses observations, il agit comme il se doit de le faire sur les manettes, leviers et boutons poussoir. A l'aide des palonniers et de la barre, il navigue au plus près des hauts fonds avec prudence. Il cherche le chenal qui lui permettra de rejoindre la haute mer. Lorsqu'il l'a trouvé, il appuie sur la pédale d'accélérateur, donne un petit coup d'avertisseur sonore et file en ligne droite. Alors, une fois qu'il a stabilisé sa vitesse et fixé son cap, il se munit du micro et annonce à l'équipage entier :

— Chers amis, à présent nous partons pour un voyage au plus profond des mers, aux confins du centre de la terre !

mardi 19 mars 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (36)

Improbable. C'est bien ce qui qualifie le mieux ce feuilleton. Aux dernières nouvelles et à bord du Nautilus, les protagonistes du récit à épisodes se retrouvent à voguer dans les eaux du dix-neuvième siècle et rencontrent un personnage malodorant. Le fidèle Liaan nous livre la suite...

À bord du Nautilus.

Lafleur accompagnant ses paroles d'un geste montrant la port d'entrée, dit :

— Kenavo, Père Moulard, sauf votre respect, si vous pouviez rester sur le pont, nous allons vous suivre, et nous pourrons discuter.

Le père Moulard sort, regrettant le côté cossu de l'habitacle du sous-marin.

— Il y a que nous sommes un peu pressés, et nous venons nous ravitailler en jus de moule et en calvados, reprit Lafleur.

— D'ailleurs, Colette, Maurice, Docteur Gemenle et toi Östäl, vous allez m'aider à charrier et les tonneaux, et les bouteilles de calvados...

— Je peux-ti aider ? demande Chapraut.

— Aider ces mercenaires, ces flibustiers, mais vous perdez la raison, Brigadier Chapraut ! s'insurge Chapraud.

— C'était surtout pour les bouteilles de calvados, répond Chapraut.

— Vous restez ici, vous autres, tonne Lafleur, interdiction formelle de quitter le Nautilus !

— On pourrait peut-être monter sur la passerelle, on étouffe, ici, interroge timidement Tante Etzelle.

— Accordé ! lui répond Lafleur, mais pas question de descendre sur le quai ! Tu les surveilles, Gérard !

Et notre petite troupe sort, toute heureuse de pouvoir se dégourdir les jambes.

— On s'habitue à l'odeur... remarque José, le cafetier, ...et ben merde ! Il ne pleut pas, alors qu'à la radio, ils annonçaient de la flotte, et pas qu'un peu sur tout l'Ouest !

— Si j'en crois Lafleur, il a fait grand beau temps ce jour de 1892, en Bretagne, dit Gaëlle.

— Parce que vous n'êtes pas sûre que nous sommes bien en 1892 ? s'enquiert Robert.

— On a du mal à le croire, lui répond Roland.

— De mon côté, c'est plutôt rassurant, remarque Arthur.

Têtes étonnées du groupe qui se tournent vers le facteur;

— Ben oui, pour une fois, je ne serai pas en retard sur ma tournée, pensez, plus de cent ans d'avance !

— C'est ma foi vrai, constate Chapraut.

Le Nautilus est amarré à un quai sommaire, tout en bois, avec sur le côté nord deux barques de bois et un canot à vapeur. Roland chuchote à l'oreille de Robert :

— Et si on mettait les voiles ? tout en montrant d'un geste discret le canot à vapeur.

Alice l'entend et se met à rire :

— Ça, vous devez connaître, la voile et la vapeur !

Et elle se retourne pour voir les Lafleur, Colette, Östäl et le Docteur Gemenle qui suivent le Père Moulard, curieuse statue d'algues, de moules qui avance comme en glissant sur le quai, laissant une trace humide, tel un escargot. La troupe se dirige vers un hangar de bois, assez grand, au toit de plaques goudronnées, d'où une cheminée lance une fumée qui monte droit dans le ciel bleu.

— Signe de beau temps, juge Kermitt.

Tante Etzelle regarde vers le large et dit :

— Je vois le Mont St Michel vers l'Est, nous sommes bien en Bretagne Nord !

— Et je vois le phare de la Pointe du Grouin, ajoute Gaëlle.

— Où ça ? interroge Alice, ah oui, je vois un phare !

— Nous savons où nous sommes, déjà un point important, nous sommes pas loin de Cancale.

Pendant que ces dames discutent géographie, les deux Brigadiers, José, Kermitt et le facteur sont mis au courant par gestes discrets qu'ils pourraient se faire la belle…

— Laquelle ? demande Chapraud

Éclatant de rire, Chapraut lui précise que c'est une expression !

Alice sort son téléphone portable et découvre qu'il n'y a pas de réseau.

— Ça, en 1892, je serais étonné que tu trouves quelque chose, lui fait remarquer Gaëlle.

— Ben, j'essayais... C'est machinal, lui répond Alice.

— C'est bien un truc de jeunesse, ça ! conclut Tante Etzelle.

Et Gérard, le gardien ? Il est revenu à l'intérieur du sous-marin pour boire, enfin, un peu de calvados (il est vrai que l'on avait peu bu de calvados dans ces derniers instants, au grand dam de la Maison qui sponsorise ce feuilleton ô combien haletant, et suivi par des milliers et des milliers de lecteurs...(N.d.C.).

Le Père Moulard avait fait entrer Lafleur et ses complices dans la bâtisse en bois.

— C'est le moment, on se casse ! lance Roland.

Toute la troupe comprend immédiatement et se lance sur la passerelle qui les mène sur le quai. Ils négligent le canot à vapeur dont la chaudière est froide. Les barques ! Il y a des rames, allez hop ! dit joyeusement Roland. D'un même élan, Arthur et Roland détachent prestement les amarres, et retenant les esquifs, font embarquer d'abord les femmes, puis les hommes.

— Comme sur le Titanic ! dit Chapraud, les femmes d'abord !

— Anachronisme, Brigadier Chapraud, nous sommes en 1892 et le Titanic ne prendra pas l'eau avant 1912 ! lui lance Chapraut.

— Ça pour prendre l'eau, il l'a prise ! dit Kermitt.

Arthur et Roland jettent leurs forces pour lancer les deux barques et sautent rapidement à bord, pour s'emparer des rames et de nager vigoureusement.

— C'est la marée basse qui nous aidera à s'éloigner du port, dit Gaëlle.

— C'est marée basse pour nous aussi, rajoute Chapraud, nous n'avons pas embarqué de litres de calvados…

— Suffit, espèce de soiffard ! lui complète Chapraud.

Et Gérard, le gardien ? Il sort de l'intérieur du Nautilus, cligne des yeux et constate que les prisonniers dont il avait la charge se sont échappés !

— Malheur de malheur ! Je suis fichu ! Lafleur va me tuer !

Et Gérard rentre dans le sous-marin et attrape une nouvelle bouteille de calvados.

— Et bien ! Tant pis ! Je vais boire la bouteille du condamné !

Colette regarde à ce moment par la fenêtre et crie presque :

— Lafleur, les autres fichent le camp avec des barques !

Lafleur, étrangement calme, lui répond :

— C'est prévu dans mon plan ! C'est pour cela que j'ai laissé ton imbécile de mari pour "garder" les prisonniers. Je voulais qu'ils s'échappent, nous en voici débarrassés, bon vent, Mesdames et Messieurs ! Bienvenus en Bretagne, en 1892 !

La mer est d'huile, et les deux barques s'éloignent de concert du petit port et soudain, Gaëlle s'écrit :

— Nous étions sur une île !

— L'île mystérieuse, Gaëlle, dit tranquillement Tante Etzelle, cela cadre bien avec Jules Verne.

— Ce doit être l'île des Rimains, d'ailleurs, on voit Cancale devant nous.

— Nous allons jouer les touristes et visiter Cancale, et ainsi vérifier que nous sommes bien en 1892... dit Alice.

Un immense voilier les croise, toutes voiles dehors, pour bénéficier du peu de vent du moment.

Les passagers des barques se taisent, chacun pense que c'est une coïncidence, que c'est un voilier-école qui sort du port de Cancale.

— On va manger des huîtres, je commence à avoir l'estomac dans les talons, dit José, 1892 ou pas, il y a des huîtres à Cancale que c'en est réputé.

— Que vous allez payer en euros, remarque moqueur Robert, il nous faudra trouver un bureau de change en ville. Ça, pour faire les touristes à Cancale, on va se poser là ! Pauvre Bretons du 19e siècle, voilà une monnaie qui ne va pas leur dire grand chose, pourtant ce sont de sacrés marins et qui connaissent le monde. Ils vont chercher "l'Eurosie" !

Les deux barques s'approchent du port de Cancale, et nos marins d'occasion aperçoivent de nombreux mâts de bateaux, et ils ne sont pas en métal, ils sont en bois, ce n'est pas encore la plaisance.

mardi 12 mars 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (35)

Franchement, vous y croyez, vous, aux histoires de voyage dans le temps ? Et aux histoires de sous-marins venus de l'univers de Jules Verne ? Et aux histoires de gendarmes alcooliques ? Non ? Je me disais aussi... Il n'empêche que dans l'épisode précédent, que vous y croyez ou pas, nous nous retrouvions au 19e siècle. Et oui, mesdames et messieurs les incrédules. C'est comme ça.

Les bouches béent d'incrédulité. Elles n'en croient par leurs oreilles. Sont-elles victimes d'une défaillance du système cognitif ? Lafleur s'est-il mal exprimé ? Y a-t-il eu lapsus ? 1892 ? Ce n'est pas possible ! 1892 ? Ils auraient fait un voyage dans le temps ? Ils se retrouveraient l'année de la décapitation de Ravachol, en pleine Troisième République ? L'indécision et le flottement menace la cohésion du groupe qui chancelle sur ses bases. Les yeux sont ronds d'étonnement, les membres sont flasques, les fronts sont en sueur et les pieds se crispent dans les souliers. Lafleur s'attendait à cette réaction et il n'est pas mécontent de son petit effet. Il sourit, Lafleur. Il tient à goûter son plaisir jusqu'à la dernière goutte. Il jubile et ça lui donne soif. Il fait claquer les doigts et on lui amène un nouveau cocktail.

— Oui, mesdames et messieurs. 1892, vous m'avez bien entendu. Ça vous coupe la chique, hein ?

Silence abasourdi dans les rangs. On ne pipe mot. On se tait. On n'émet pas le moindre son. La stupeur paralyse la troupe. Cela dure quelques minutes et c'est avec lenteur, circonspection et prudence que les yeux commencent à scruter l'environnement. Les têtes se mettent à suivre le mouvement. Tous cherchent la preuve de la mystification. Les apparences sont pourtant formelles. Les signes sont là. L'époque a changé. Les becs de gaz ont remplacé les ampoules électriques, le matériel électronique a laissé la place à des machines à vapeur qui suintent de graisse épaisse en s'époumonant à cracher des jets sporadiques de vapeur malodorante. Restent le Nautilus, les êtres humains et les armes et vêtements qu'ils portent.

C'est le brigadier Chapraud qui rompt le silence.

— Non, non, c'est pas possible. On peut pas être dans le passé. C'est pas possible. C'est simple, ça se peut pas. Il y a un truc.

Et il commence à courir dans la pièce à la recherche d'un indice, d'un élément qui démolira la fumisterie, la plaisanterie au goût douteux.

— Et comment je vais distribuer mon courrier, moi ? se lamente Arthur.

— On faisait du calva, au 19e siècle ? s'enquit Chapraut.

— Chapraut ! Ce n'est pas le moment ! L'heure est grave ! le morigène Chapraud.

— J'aurais bien besoin d'un peu de remontant, plaide Chapraut.

Lafleur fait un signe à Östäl qui entre dans le sous-marin et en ressort avec une bouteille de calvados et quelques verres. Il demande qui en veut à la cantonade et quelques mains se lèvent dont celles des gendarmes qui sont les premiers à accourir. Chapraut se penche sur l'étiquette.

— Mazette ! 1890 ! Voilà un bel âge pour ce calva !

— Notez... Il n'a que deux ans, modère Kermitt.

— C'est pourtant vrai, répond Chapraud.

Robert, Roland et Gaëlle sont restés à l'écart. Arthur s'est rapproché du docteur Gemenle pour savoir quand il pourrait rentrer chez lui. Il explique qu'avec toutes ces affaires, il a prit du retard dans la distribution du courrier et que ça peut avoir un effet négatif sur son avancement. Après un peu d'hésitation, Alice a fini par accepter un verre de calvados. Elle commence à se demander pourquoi elle s'est lancée dans cette histoire, Alice. Etzelle contemple le Nautilus. Gérard qui voulait goûter le calvados a reçu une gifle de Colette et est parti bouder dans un coin. Les esprits semblent avoir admis l'idée selon laquelle il y aurait bien eu voyage dans le temps et que nous nous retrouvons en 1892. Tout le monde aurait des questions à poser à Lafleur mais aucune de ces questions ne sort. On sent qu'il faut accepter l'inacceptable et que l'on n'est pas en mesure de changer le sens de l'histoire. Les plus rationnels tentent en vain de se persuader d'une supercherie et d'une mise en scène mais sans trop d'éléments pour étayer leur doute. C'est incroyable et incompréhensible mais il faut se rendre à l'évidence. Lafleur a le pouvoir de changer d'époque. Les plus rationnels finissent par se ranger aux côtés de la bouteille de calvados. Lafleur attend que celle-ci soit vide pour reprendre la parole.

— Mesdames et messieurs, chers amis. Après ces quelques agapes, nous allons partir pour un voyage à bord de ce sous-marin. Je vais vous demander de ne toucher à rien une fois que vous serez à l'intérieur. Le maniement de cet appareil est assez complexe et il serait dommage que nous ayons à mourir à cause de la maladresse ou de la malveillance de l'un d'entre vous. Rappelez-vous qu'une fois en plongée, nous serons tous dans le même bateau. De même, et je pense que ce n'est pas utile de le préciser, je vous recommande de ne rien tenter pour prendre le contrôle du Nautilus. Mes amis, je vous demande de vous installer à l'intérieur sur les banquettes disposées de part et d'autre de la salle principale. Le temps de remplir les ballasts et de fermer les écoutilles et nous plongerons dans quelques dizaines de minutes.

Sous la surveillance armée des hommes de main de Lafleur, tout le monde pénètre dans le Nautilus. Hormis les gendarmes, tous s'extasient malgré eux face à l'exubérant luxe qui règne à bord. Tout est laiton et cuivre, velours et bois verni, moulure et arabesques.

— On jurerait être dans une gravure d'un roman de Jules Verne ! s'exclame Etzelle.

— Mouais... C'est un peu chargé, juge Chapraud.

— J'en voudrais pas chez moi, ajoute Chapraut.

— C'est un peu tape-à-l'œil, confirme Arthur.

— Moi j'aime plutôt bien, se permet Kermitt.

— Conforme au plan, apprécie Roland.

— Le Nautilus existe donc bien ? Questionne Robert.

— Incroyable ! se contente de dire Alice.

— Si je m'en sors, je décore mon bar comme ça, affirme José.

Conformément aux ordres de Lafleur, tout le monde s'installe sur les banquettes. Colette tient Gérard à l'œil et Maurice va prendre son poste devant un enchevêtrement de manettes et de leviers à cadran. Les cyborgs sont rangés dans des armoires en acajou et sanglés. Östäl ferme la porte étanche et se place sur le siège qui permet d'utiliser le périscope. Tout l'équipage prend ses positions et une légère vibration commence à se faire sentir.

— C'est le moteur qui se met en marche, explique Östäl.

Un grondement sourd se fait entendre et est bientôt accompagné par des bruits de succion et d'expulsion.

— Les ballasts, dit Östäl.

Le Nautilus prend un peu de gîte. Il se balance lentement de gauche à droite et semble piquer du nez. Il commence à plonger. Les passagers involontaires s'agrippent aux banquettes. On ressent une tension nerveuse presque palpable.

— Maman, les p'tits bateaux, comme tout est beau, quel renouveau... ne peut s'empêcher Gaëlle.

— J'ai comme qui dirait une petite soif, chuchote Chapraut.

— A qui vous le dites ! murmure Chapraud.

Les sons se montrent de plus en plus sourds. On perçoit une sorte de martèlement incessant venu des entrailles de l'appareil. Les parois de la coque font entendre des craquements continus.

— Vous sentez ? Demande Arthur à Alice.

— Quoi ?

— Comme une odeur... Comme une odeur... Bizarre.

— C'est vrai, dit Kermitt. Comme une odeur de mer, on dirait.

— De moule ! Une odeur de moule ! Affirme Chapraud.

— De moule ! Oui ! C'est ça ! Je savais que je connaissais cette odeur. Rapport à quand j'étais basé à Lille, ajoute Chapraut.

— Je ne vois pas le rapport, râle Chapraud en haussant les épaules.

— Rapport à la braderie, Môssieur Je-Sais-Tout.

— Ne le prenez pas sur ce ton, brigadier !

— Il a pourtant raison, intervient Kermitt pour défendre le brigadier Chapraut.

— Vous, le civil, on ne vous a rien demandé.

— Oh ! Si vous le prenez ainsi, je me tais. De toutes les façons, les gendarmes, je n'ai jamais trop aimé leur parler.

— Outrage à agent de la force publique, Kermitt ! Attention !

— Hi, hi, hi... Mais vous n'existez même pas, mon pauvre Chapraud !

— De quoi ? S'étouffe le gendarme, rouge d'apoplexie.

— Vous n'êtes même pas né.

— Exact, Chapraud. Vous êtes comme le poisson, confirme Robert.

— Comme le poisson ? Vous vous foutez de moi ?

— Pané. Vous êtes pané, comme le poisson, pouffe Robert.

Un fou rire gagne le groupe.

— C'est malin ! grogne Chapraud.

— N'empêche que ça sent bien la moule, confirme Gaëlle.

— Maintenant que vous le dites, accepte Robert. C'est vrai que ça sent la moule.

Nos amis en sont là de leur discussion lorsque réapparaît Lafleur, son immuable cocktail à la main.

— La moule ! Oui ! Bravo ! Vous avez raison. Le principal défaut du Nautilus tient dans son mode de propulsion, en effet. Nous voguons actuellement par une trentaine de mètres de fond grâce à notre moteur à régurgitation indirecte de jus de moule. Moteur breveté par Etienne Moulard plus communément appelé Père Moulard.

— Un moteur à moule ? N'importe quoi ! s'exclame Kermitt. Un moteur à moule ! Ah, ah, ah !

— A moule et à calvados, précise Lafleur. Je ne vais pas vous expliquer le principe. Vous ne comprendriez sans doute pas et puis, je le reconnais, je n'en ai pas trop envie. Quoi qu'il en soit, ce moteur fonctionne grâce à un savant mélange de jus de moule et de calvados. Que vous le croyez ou pas, c'est ainsi. Et c'est en raison de ceci que nous sommes en 1892 et que nous naviguons vers la Bretagne.

— On retourne à Pont-Aven ? exulte le facteur.

— Pas bien loin, pas bien loin.

— Père Moulard ? Ça me fait penser à quelque chose... questionne Roland.

— La mère Poulard ! s'exclame Etzelle. La mère Poulard et son omelette ! Le Mont-Saint-Michel !

— Bien ! Bravo ! En effet, le père Moulard et la mère Poulard sont parents. Vaguement cousins, à ce que je sais. Une délicate et compliquée histoire de famille. L'un est Breton, l'autre est Normande. Mais il y a polémique...

— Sur le cousinage ? demande Alice.

— Non. Sur le fait que le Mont-Saint-Michel soit normand.

— Il l'est ! Affirme Arthur. 50170. Manche. C'est la Normandie. Je suis postier, ce genre de choses, on le sait.

— Tsss ! Le Mont-Saint-Michel est breton ! conteste Gaëlle, un peu agressive.

— Le fait est que le postier a raison, se contente d'ajouter Chapraud. Je le sais parce que j'ai reçu une carte postale avec le cachet de la Poste qui fait foi.

— Qui fait foi dans le dos, oui ! Siffle Gaëlle.

— Oui, bon... Normand ou breton, peu importe. Toujours est-il que nous devons venir en cette fin de 19e siècle pour faire le plein de jus de moule et que le seul producteur de jus de moule est son inventeur, le père Moulard. Il est mort en emportant son secret dans la tombe. De temps en temps, nous devons aller le visiter et lui acheter son produit. Evidemment, nous nous sommes arrangés pour trouver l'époque à laquelle il ne savait pas encore le potentiel incroyable que recèle son jus de moule. Quelques années avant qu'il ne mette au point son moteur. Sinon, nous devrions le payer au prix fort.

— C'est parfaitement idiot, votre histoire, maugrée Roland.

— Je ne vous permets pas, vous ! Espèce de raté ! s'emporte Lafleur. Qu'on m'amène un autre cocktail ! Vite !

— Ja, ja, mein Herr, s'exécute Gemenle.

— Pourquoi n'avez-vous pas volé son invention ? S'étonne Robert.

— A cause de l'odeur. Vous ne pouvez pas avoir l'idée de la pestilence de ce jus de moule lors de l'étape de la fermentation. Une vraie infection. Mais vous vous rendrez compte par vous-même. Nous arriverons au large de la Bretagne d'ici une heure. D'ailleurs, vous avez juste le temps de passer des vêtements plus en accord avec cette époque. Il convient de ne pas éveiller les soupçons du père Moulard, vous comprenez ?

— Je comprends que votre histoire est totalement absurde, explose Roland qui s'est dressé d'un coup. Vous prétendez que nous nous trouvons actuellement en 1892 dans le Nautilus. Il se trouve que j'ai lu "2OOOO lieues sous les mers" écrit par mon aïeul. Il se trouve qu'il n'y est jamais fait allusion à un moteur à jus de moule. C'est parfaitement ridicule et je refuse de continuer à écouter votre histoire !

— Silence ! Votre Jules Verne est un escroc qui n'a jamais rien compris à rien et qui a volé l'idée du Nautilus au père Moulard à l'époque où il convoitait la vertu de la mère Poulard ! Votre Jules Verne est un être abject, un imbécile fini. Il n'a jamais rien fait de sa vie à part d'écrire ses histoires gnangnantes. Que l'on ne me parle plus jamais de ce personnage et que l'on ne me parle jamais de son capitaine Némo !

Lafleur était entré dans une colère noire. Il avait envoyé son verre à cocktail exploser contre la paroi du Nautilus. Ses yeux étaient devenus sombres et donnaient à craindre qu'un crime allait se produire. Roland était debout face à lui et semblait prêt à mener un combat. Östäl et quelques hommes avaient acouru aux cris de leur maître et tenait Roland en ligne de mire de leur pistolet.

— Qu'on m'amène un cocktail ! Et vite !

— Je pourrais avoir un calva ? risqua Chapraut.

— ... et un calva ! Beugla Lafleur

— Deux ! commanda Chapraud.

Bougon, Roland était parti se rasseoir à côté de Robert.

— Vous changez vos habits contre ceux que Östäl va vous donner et vous vous taisez !

Sur ces mots, Lafleur retourne au poste de pilotage. Östäl sort des vêtements de malles en ébène. Si les filles se prêtent au jeu avec un plaisir visible, il n'en est pas de même pour les hommes et, particulièrement, pour les gendarmes et Roland. Sur l'insistance pressante du géant noir, borgne mais grand, ils acceptent de passer une veste et un pantalon.

— Ach ! Attenzion ! On arrife dans moins de 20 minutes ! Prévient Gemenle.

Quelques minutes plus tard, le Nautilus fait surface dans une petite crique bretonne où a été aménagé une sorte de port sommaire. Östäl ouvre la porte et une puissante puanteur envahit l'intérieur du sous-marin.

— Salut la compagnie ! Kenavo ! Crie joyeusement le père Moulard en entrant.

Le spectacle qu'il offre aux passagers du submersible a de quoi les laisser sans voix.

Un effroyable bonhomme couvert de pied en cap d'un fatras d'algues, de byssus et de colonies de moules. Une pipe de terre semble plonger dans ce qui pourrait ressembler à une bouche pourvu que l'on ait assez d'imagination. La pipe crache une fumée grise parfaitement nauséabonde. Ceci et l'odeur de moule faisandée fait son effet. Alice, Etzelle, Gaëlle, Roland et Robert vomissent. Les autres semblent plus ou moins indisposés. Il n'y a guère que Arthur, le facteur, pour trouver qu'il y a là un parfum des plus intéressants.

En faisant beaucoup de flics, de flocs et de flaques, le père Moulard finit d'entrer et se laisse s'égoutter sur le précieux parquet ciré en attendant l'arrivée de Lafleur, lequel ne tarde pas à faire son entrée, son sempiternel verre à cocktail en main, l'autre main tenant un mouchoir finement brodé devant son nez.

mardi 5 mars 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (34)

Et que va-t-il donc se passer, maintenant que l'ensemble des protagonistes semblent être réunis autour du Nautilus ? C'est Liaan qui prend la relève et nous propose une suite.

Pendant que Lafleur descend de la passerelle...

— Lafleur ! s'exclame Gaëlle.

— Ah, c'est ce personnage qui nous fait autant de misères ? demande Robert,

Mais il n'a pas l'occasion de continuer, il se trouve tordu par une douleur intérieure pendant que siffle un appareil que tient Östäl, pointé dans la direction de Robert. Maurice prend la parole :

— Voilà ce qui arrivera à chacun d'entre vous si vous émettez, ne serait-ce la moindre, si vous émettez une critique à l'attention de M.Lafleur ! C'est un dispositif mis au point par le Docteur Gemenle. Le Docteur Gemenle acquiesce d'un hochement de la tête. Robert était tout chose. Lafleur reprend :

— Oui, Chère Gaëlle, c'est bien moi. Moi que tu as refusé, refusé un jour, refusé toujours. Je t'avais dit que j'aurais des tas d'enfants... Certes ils sont parfois turbulents, mais tu en as une partie devant toi, grâce à l'aide du Docteur Gemenle.

Le Docteur Gemenle acquiesce encore en hochant la tête.

— Lafleur, tu es un fumier ! Lance, excédée Gaëlle.

D'un geste de sa main libre, l'autre étant prise par son cocktail, Lafleur intima Östäl à ne pas actionner son dispositif d'intimidation à l'égard de Gaëlle. Lafleur reprend :

— Tu as toujours influé sur moi, Gaëlle Labornez… Souviens-toi, j'étais un des rares à te respecter à l'école en ne t'appelant pas Bécassine.

— Je t'en remercie, Lafleur, mais il n'empêche pas que tu es un fumier !

— Tss tss... fait Lafleur en regardant fixement Gaëlle qui reprend :

— Pourquoi avoir ennuyé tous ces garçons et ces dames avec tes trucs à la con ? Si tu dis que tu maîtrises le temps, pourquoi toutes ces simagrées avec nous ? Tu prenais "ton" Nautilus et tu nous fichais une paix royale ! Et pourquoi mettre dans tes embrouilles ces deux pandores et le cafetier ? T'es vraiment un fumier, Lafleur !

Lafleur regarde ailleurs pendant que Gaëlle lui explique tout cela.

Soudain, une voix amplifiée par un mégaphone, rebondit dans le tunnel :

— C'est l'inspecteur Latulipe du SRPJ qui vous parle ! Jetez vos armes, l'endroit est cerné par trois Compagnies de Gardes Mobiles qui n'hésiteront pas à ouvrir le feu ! Rendez vous !

Du côté des prisonniers, c'est comme un rayon de soleil qui illumine leurs regards.

Lafleur lance :

— Hé bien, Maurice, Docteur Gemenle, Östâl ? Qu'est-ce que c'est que cette passoire ? On laisse passer les flics ?

Maurice répond :

— Mais nous étions occupés à accueillir Colette et Fréd...

Lafleur coupe brutalement la parole de Maurice :

— Il suffit ! Vous n'êtes qu'un bande d'incapables, de bons à rien, de...

— Nous vous donnons trois minutes pour la rédition, reprend la voix de l'Inspecteur Latulipe du SRPJ.

Lafleur, machinalement, s'était retourné vers l'endroit d'où paraissait venir la voix amplifiée. Lafleur reprend sa position initiale, but un peu de son cocktail qu'il n'avait pas quitté et dit :

— Plan RT !

Les yeux du Docteur Gemenle s'agrandissent, et il dit :

— Aber, c'est très tanchereux, le plan RT !

— Notre situation actuelle est aussi très dangereuse, Docteur Gemenle ! J'exige le plan RT !

— Ja, ja, aber…

Le Brigadier Chapraut en civil (le technicien), malgré la situation, ne put s'empêcher de penser : RT, c'est un plan Béhême, ça…

— Exécution ! Lance Lafleur.

— Une minute ! Complète la voix amplifiée de l'Inspecteur Latulipe dans le mégaphone.

Le Docteur Gemenle retourne aux commande de son étrange machine et sort une clef, qui est accrochée par une chaîne en or, au bouton inférieur de sa blouse blanche, et glisse cette clef dans une sorte de serrure, dégagée après avoir levé un volet de métal poli. Les prisonniers observent la scène dans un silence respectueux, de la sueur perle sur leurs fronts... Quand, soudain un pet sonore déchire le silence : le Brigadier en civil Chapraud vient de lâcher une perle, chose qui aurait bien fait rire tout le monde, mais on n'est pas là pour rigoler. Un son strident suivit le pet, la lumière ambiante passa du jaunâtre à un blanc éblouissant comme si les lampes d'éclairage subissaient une surcharge de courant électrique. Puis ce fut la nuit, et plus un son, le silence encore une fois brisé par un second pet du Brigadier en civil Chapraud qui tente de s'excuser :

— Quand j'ai peur, c'est toujours comme ça…

— Cela prouve que nous sommes vivants, dit Gaëlle. Et punaise, cette odeur, vous êtes nourris aux surgelés Findus à la Gendarmerie, ou vous avez bouffé un cimetière pour que cela coince autant ?

Le Brigadier en civil Chapraud n'ose pas répondre. La lumière revient tout doucement dans le tunnel. Les gens, les choses, rien ne parait avoir bougé, le canal est plein d'eau, le Nautilus est toujours là... Lafleur parle :

— Vous voyez, Docteur Gemenle, tout a très bien marché ! Nous ne pouvons plus craindre tous ces services de police, Gardes Mobiles, et cætera... Ils ont disparu !

— Malheureux ! Qu'as tu encore fait ? demande Gaëlle, non seulement d'être un fumier, tu es aussi un assassin, Lafleur !

— Rassure-toi, Chère Gaëlle, disons qu'ils existent toujours, mais que c'est nous qui avons disparus... Vous ne remarquez rien ?

Personne n'ose prendre la parole, jusqu'à ce que le Brigadier en civil Chapraut (le technicien) remarque :

— Nous sommes éclairés par des becs de gaz, des becs Auer ! Alors qu'auparavant, il y avait un éclairage électrique !

— Bien observé, dit Lafleur, je comprends que vous soyez gendarme, l'œil à tout ! Nous vous avons expliqué tout à l'heure que nous maîtrisions le temps : eh, bien, nous sommes désormais en 1892 !

mardi 26 février 2013

Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (33)

Retour à Pont-Aven sur un fond de brouillage de temps. Retour à Pont-Aven ? Oui, sans doute pour le moment ! Gageons que cela ne sera qu'une péripétie de plus pour les personnages de cet incroyable feuilleton que le monde entier nous envie. Mettant à mal les règles inexistantes établies par moi-même en plein exercice dictatorial et en plein accord avec moi-même, je décide de prendre la suite. Une envie, des idées. C'est comme ça.

Une veste « pied de poule » pour l’un, « prince de Galles  » pour l’autre, les Chapraudt descendent la rue principale de Pont-Aven. Depuis qu’ils ont été mis à pied, ils ont l’interdiction de porter l’uniforme.

— Ça te fait pas bizarre d’être habillé comme ça, toi ?

— C’est qu’on a plus l’habitude. Reconnais que c’est tout de même plus seyant que l’uniforme.

— Seyant, je sais pas. J’ai l’impression qu’on nous regarde.

— C’est parce qu’on est chics.

— T’as peut-être bien raison.

La clochette du café à José tinte. Chapraud et Chapraut s’installent à leur table, dans le fond de l’établissement. C’est l’heure creuse, ils sont seuls. José vient avec sa lavette et en passe un coup sur la table avant de demander ce que les deux gendarmes souhaitent consommer.

— Deux limonades, s’il te plaît, José.

— Limonade ? Vous êtes malades ?

— Faut qu’on soit sérieux. C’est notre carrière qui est en jeu. Comme nous a dit le chef, faut qu’on se ressaisisse et qu’on redore nos blasons.

— C’est qu’on a joué avec l’honneur de la gendarmerie nationale ! C’est mal. Deux limonades, José.

— Deux limonades ! Ça roule !

José revient avec deux hauts verres qu’il pose sur la table.

— Je peux m’asseoir un instant pour vous parler de quelque chose dont on parle en ce moment ?

— Nous ne sommes pas en service. Si tu as quelque chose à dire d’officiel, il faut aller à la brigade.

— Non, juste pour discuter d’un truc... En toute amitié, quoi.

— D’accord.

— Vous êtes au courant pour la maison Labornez ?

— On ne veut plus en entendre parler ! Hein Chapraut, qu’on veut plus rien avoir à faire avec cette maison Labornez ?

— Affirmatif !

— Vous savez pas, alors ?

— Quoi ?

— Elle n’est plus détruite.

— Comment ça, elle n’est plus « détruite » ?

— Bah... Elle est comme elle était avant qu’elle soit détruite, quoi. Comme avant et même mieux. On dirait presque qu’elle est neuve. Etrange, non ?

— Il y a moins d’une semaine, c’était rien qu’un tas de pierres et de poutres. Etrange.

— Tu dis pas ça pour te moquer de nous, José ?

— Non ! Ecoutez, j’y ai pas cru non plus quand Kermitt est venu nous raconter ça, l’autre soir. Tout excité qu’il était, le père Kermitt. Vous le connaissez ? Toujours à raconter des trucs incroyables. Surtout quand il en a un coup derrière la cravate. Bref, l’autre soir, le voilà qu’il débarque avec l’une de ses pétoires. Il avait l’air complètement halluciné.

— Ça, c’est le LSD à la Labornez, on connaît.

— Hein ? Le quoi à la Labornez ?

— Chut. Secret défense.

— Vous en avez déjà trop dit. C’est quoi cette affaire ?

— Tu dis rien, Chapraud !

— Je dis rien.

— Alors, vous saurez rien pour Kermitt. Tant pis.

José se lève et retourne derrière son comptoir.

— Allez ! Fais pas gueule José ! Raconte-nous !

— Secret défense, messieurs. Motus et bouche cousue.

— José ! Sois pas vache.

— Non, non et non. J’ai rien à dire à des gendarmes mis à pied qui n’ont pas confiance en moi.

— José. Si on veut, on va demander directement à Kermitt.

— Ça m’étonnerait.

— Et pourquoi ça ?

— Parce que Kermitt, il est plus là. Disparu, le Kermitt. Pfiout ! Effacé, vaporisé, le Kermitt. Plus de trace.

— José ?

— Quoi encore ?

— Et si on te dit ?

— Chapraud ! Voyons !

— On peut tout de même y dire un peu, Chapraut ! Vous avez pas envie de savoir pour Kermitt et la maison Labornez ?

— Ça nous regarde plus, tout ça. Et puis, je préfère pas savoir. Regardez où on en est réduit à boire de la limonade à cause de ces affaires. Non. Je préfère pas en savoir plus. Pour moi, c’est entendu. Après la mise à pied, je reprends le service et j’attends la retraite sans faire de vagues.

— Pfff... Vous êtes pas marrant, Chapraut. Vous allez tout de même pas me dire que vous allez rester à la limonade jusqu’à la fin de vos jours ? Ce serait trop triste ! Et puis, vous me laisserez pas boire du calva tout seul en buvant votre eau gazeuse sucrée ? Ce serait trop cruel !

— Je ne vous interdit pas de partager l’eau gazeuse sucrée avec moi, Chapraud. Je pensais que tout ça vous aurait mis un peu de plomb dans la cervelle mais je vois que vous êtes prêt à recommencer à boire et à salir le corps de la gendarmerie. Je ne vous dis pas bravo. Vous me dégoûtez, Chapraud ! Je suis très déçu.

Les regards de Chapraud et José se croisent subrepticement. Ils se portent alors sur Chapraut qui, se sentant observé, lève la tête vers les deux hommes avant de s’effondrer en larmes.

— Pardon, Chapraud. Pardon, mon frère ! Je ne pensais pas ce que j’ai dit. C’est que j’ai peur, Chapraud ! J’ai les foies, les chocottes. Je flippe, comme disent les jeunes. J’ai la trouille d’être viré de la gendarmerie, de ne plus être rien, d’être un civil. C’est terrifiant. Je n’en dors plus. Je fais des cauchemars horribles, la nuit. Si je vous disais que j’ai été prêt à tout vous mettre sur le dos pour m’éviter la honte, Chapraud ? J’ai honte de moi. Je ne me reconnais plus. Pardon, Chapraud ! Pardon !

Chapraud semble marquer le coup. Il se redresse et se laisse aller contre le dossier de sa chaise. Il tord sa moustache, signe de contrariété.

— Vous seriez allé jusque là, Chapraut ? Je vous croyais mon ami.

— Je ne l’ai pas fait ! se défend Chapraut, reniflant.

— Vous avez songé à le faire, rétorque Chapraud, agitant un index réprobateur.

— Mais je ne l’ai pas fait.

— C’est vrai, Chapraud, il ne l’a pas fait. Vous allez pas casser une pareille amitié pour cette pécadille, tente José depuis son comptoir.

— Pardon, Chapraud ! Mille pardons ! Si vous saviez combien j’ai honte !

— Chapraut, vous êtes mon meilleur ami sinon le seul que j’ai au monde. Vous et moi, c’est comme qui dirait les deux pouces d’une même main. Nous deux, c’est comme les Dupondt de Tintin et Milou ; comme Blèque et Mortimère ; comme Satanas et Diabolo ; comme la peste et le choléra ! Je vous pardonne, Chapraut.

Chapraud tend son mouchoir de percale à Chapraut.

— Essuyez vos larmes, Chapraut. Tenez.

— Merci, Chapraud. Chapraud ! Mon ami, mon moi-même, mon double ! Dans mes bras, Chapraud !

Et les deux gendarmes laissent exploser les larmes en se serrant dans les bras mutuellement sous le regard émotionné de José qui, pour sauver les apparences, plonge les avant-bras dans le bac à vaisselle. Quelques larmes viennent s’ajouter au mélange d’eau tiède et de produit détergent.

— Les gars ?

— Oui, José ?

— Pour Kermitt, je vais vous dire...

— On va te dire aussi pour le LSD à la Labornez. Hein, Chapraut ?

— Oui, on va te dire.

José s’essuie les mains à son torchon et sert deux limonades qu’il apporte à la table. Il s’assied.

— C’est pour moi, les gars.

— Merci, José. Quand nous reprendrons nos fonctions, nous n’oublierons pas ce geste.

— Je le fais pas pour ça. C’est au nom de l’amitié, mes amis.

— Bon. Je commence. Donc, l’autre soir, Kermitt débarque au guidon de sa pétrolette. Je sais pas laquelle. Il s’installe au comptoir et il a l’air plus que nerveux. Il a une cigarette aux lèvres et je lui dis, gentiment, qu’on n’a pas le droit de fumer ici. La loi c’est la loi, que je lui dis. Bon. Je le fais pas méchamment. Juste que je n’ai pas envie d’écoper d’une amende. Et le voilà qu’il commence à m’injurier et à me dire qu’après ce qu’il a vu, rien ne peut plus lui donner d’ordre. Au début, je crois qu’il est bien beurré.

— Connaissant le personnage, ce n’est pas du domaine de l’impossible, juge Chapraud. Il avait un casque quand il est arrivé ?

— Chapraud ! Sermonne Chapraut. Nous ne sommes pas en service !

— Pardon. La force de l’habitude. Continuez, José.

— Donc, je pense qu’il est bourré mais non. Enfin pas trop. Je lui demande ce qu’il veut boire et il me répond pas. Je comprends qu’il y a malaise.

— Sûr !

— Il jette des coups d’œil furtifs partout. A droite, à gauche, derrière. Au moins deux fois, il sort regarder ce qu’il se passe dehors. Et puis, il revient au comptoir et il me demande, comme ça, si je suis au courant pour la maison de la Labornez. « Si elle a explosé ? », que je lui demande. Bien sûr que je suis au courant ! Tout le pays est au courant, je lui dis. « Non ! », il me répond. « Pas ça ! Qu’elle est reconstruite. », qu’il me répond.

— C’est le calva à la Labornez, ça !

— Chut, Chapraud !

— Alors vous pensez bien, tout le monde a rigolé de cette bonne blaque, dans le bar. Et voilà que Kermitt monte sur ses grands chevaux et qu’il dit qu’il sait ce qu’il dit sur ce qu’il a vu et que si on le croit pas, on a qu’à y aller voir, chez la Labornez. Là-dessus, il demande un calva. Je lui sers, il le boit et il en redemande un aussi sec. Il le boit aussi et là, il s’arrête sur la pendule. « Elle marche pas, ta pendule ! » qu’il me dit. Je me retourne et je lui réponds « bien sûr que si, qu’elle marche ». « Pas la même heure qu’à la mienne », qu’il répond. Il commande un autre calva qu’il boit peut-être encore plus vite que les précédents et il me dit de marquer ça sur sa note. Après, il sort et le voilà parti comme une fusée sur sa bécane. Depuis, plus eu de ses nouvelles. Personne l’a vu. Il est pas chez lui, il est nulle part. Et sa note, je sens qu’elle va me passer sous le nez.

— Etrange.

— Et attendez. Parce que ça se termine pas là. Il y en a qui sont allés voir chez la Labornez, en allant voir s’ils trouvaient Kermitt. Et bien tenez-vous bien... La maison est debout. Comme neuve ! Je l’ai vue de mes yeux vue. Oui messieurs, comme je vous vois.

— Bizarre.

— Je ne vous le fais pas dire.

— Et plus de Kermitt ? Et toujours pas de Labornez ?

— D’ici qu’ils seraient ensemble...

— Non Chapraud. Ils pouvaient pas se sentir, ces deux là. Rapport à la Résistance.

— Vrai.

— Bon. Vous savez tout. Et l’affaire du LSD de la Labornez ?

— Vous promettez de rien dire ?

— Juré !

— Bon. Chapraud et moi, à fins d’enquêter sur l’affaire, nous nous sommes rendus chez la Labornez. Nous avons vu la maison en ruine et en fouillant on a trouvé la cave. Dans la cave, on a trouvé des bouteilles qu’il nous a fallu analyser.

— Conscience professionnelle ! précise Chapraud.

— Donc, on ouvre une bouteille et on goûte vu qu’on n’avait pas notre matériel de chimie sur nous. Et là, paf ! On trouve un tunnel avec un train électrique, des rails, des vieux téléphones, une barque en cuivre et tout le tintouin. Finalement, sans savoir ni quoi ni qu’est-ce, on se retrouve la 4L dans l’étang et avec une mise à pied au cul.

— Rapport à ce que l’analyse des pontes de la gendarmerie, ils ont trouvé une substance illicite proche du LSD dans les bouteilles de la Labornez. Et m’est avis que la Labornez, elle tremperait dans du trafic de drogue que ça m’étonnerait pas.

— Même avis que Chapraut pour moi. Du trafic de drogue et de produits stupéfiants, j’ajouterais bien.

— Ben dites donc ! La mère Labornez ? J’y crois pas !

— Il faut pas croire que les criminels ont des figures de criminels.

— Oui mais tout de même ! La mère Labornez ? Non !

— Et si !

— Vous avez l’heure, José ? J’ai l’impression que ma montre déconne.

— Dix heures trois. J’ai l’impression que le temps passe pas vite, en ce moment.

— Midi moins douze pour moi, José.

— J’ai que neuf heures et demi, moi, semble se plaindre Chapraud.

— On est quel jour, déjà ?

— Mardi !

— Non voyons ! Nous sommes jeudi !

— Bien étrange tout ça.

— Et si l’on allait voir cette maison de la Labornez ? Hum ? Chapraud ?

— J’osais pas le proposer.

— Je viens avec vous ! Il n’y a pas un chat depuis quelques jours, de toutes les façons. J’enfile une veste et j’arrive.

En chemin, nos trois comparses notent qu’effectivement, il n’y a pas foule dans Pont-Aven. Ils ne croisent quasiment aucun véhicule sur la route qui les mène au chemin qui conduit vers chez Kermitt puis, un peu plus loin, chez la Labornez. Il fait plutôt doux pour la saison et les nuages présents n’annoncent rien de bien fâcheux.

— Il fait meilleur qu’hier, philosophe Chapraud.

— Ah non ! Hier, il faisait plus chaud, assure José. J’ai même sorti la terrasse.

— Il ne pleuvait pas ? s’étonne Chapraut.

— Je sais plus. Depuis quelques jours, j’ai comme le sentiment que le temps est très changeant. Très inexistant. Je pourrais pas dire ce que j’ai fait avant-hier.

— Possible que ça soit le contre-coup du calva frelaté ?

— Bien possible.

En un temps qui semble assez long pour Chapraud, plutôt court pour José et «normal» pour Chapraut, voilà nos trois hommes devant la maison de Kermitt.

— On va voir ?

— On va voir !

— Oui !

Ils frappent à la porte. Pas de réponse. Ils regardent par la fenêtre, ils ne voient rien. Ils font le tour de la maison, rien de suspect. Ils entrent dans la grange, les motos sont là. Ils retournent tambouriner à la porte d’entrée. Aucun signe de vie.

— Faudrait pas qu’il soit mort !

— On ne peut rien faire, Chapraud. Nous sommes mis à pied.

— Bon. On va chez la Labornez ?

— On y va.

En un temps toujours assez relatif, ils parviennent à proximité de la maison de Gaëlle. Ils s’arrêtent. La maison est bien là. Entière. Il y a des voitures. Une Mercedes noire, une ambulance et une Peugeot columbesque.

— On dirait qu’il y a du monde.

— Et la maison est bien entière, comme je vous l’ai dit, messieurs.

— On dirait bien ! Incroyable !

Ils s’approchent et observent à distance. Rien ne donne à penser qu’il y a quelqu’un. Pourtant, les véhicules ne sont pas arrivés seuls et leurs occupants n’ont pas de raison, a priori, de partir en les laissant là.

— Peut-être ces gens sont-ils allés se promener à pied ?

— Eventualité intéressante, Chapraud. Approchons-nous encore !

Ils regardent dans les automobiles. Elles sont vides et les portes sont fermées. A pas mesurés, ils font le tour de la maison. Aucun bruit. Courbé en avant, sur la pointe des pieds, Chapraud avance vers la porte d’entrée. Il baisse la poignée, la porte s’ouvre. Il se retourne en ayant l’air de demander à ses deux amis ce qu’il convient de faire.

— On entre ! décide Chapraut.

— Vous croyez ? dit José, peu assuré.

— On entre ! confirme Chapraud qui pousse l’huis et pénètre dans la maison.

Tout y est à sa place, comme si rien ne s’était jamais passé ici. Les chaises, la cuisinière, un « Nous-Deux » posé sur la table de la cuisine. Après une rapide inspection de la salle-à-manger et de la chambre à coucher, Chapraud décide de chercher l’entrée de la cave. Il la trouve au bout du couloir. Il hisse la trappe et bascule l’interrupteur. Il fait signe de le suivre.

— Il n’y a plus de bouteilles, note tristement Chapraut.

— Elles ont été prises par le chef, sûrement, propose Chapraud.

— Là ! Le foudre dont vous parliez ! montre du doigt José.

Chapraud s’approche et cherche le mécanisme d’ouverture. L’avant du foudre bascule sur ses gonds laissant apparaître un nouvel escalier en béton. L’interrupteur est à sa place. Il l’actionne, la lumière se fait. Ils descendent.

A peine ont-ils descendu quelques marches que le foudre se referme derrière eux. Ils s’immobilisent. Les Chapraudt ont le réflexe de porter leur main à l’emplacement réglementaire de l’étui à pistolet automatique affecté à chaque gendarme. En pure perte. Ils sont désarmés.

— On aurait pas dû, murmure José d’une voix peu assurée.

— On y est, maintenant. On ne peut plus sortir, annonce Chapraud qui tente d’ouvrir le foudre. C’est bel et bien fermé. Il faut descendre ces marches avant que l’électricité soit coupée.

Ils descendent donc et les Chapraudt se font la réflexion mutuelle que ces lieux sont bien ceux qu’ils ont déjà visité précédemment.

— Il y a du mystère derrière tout ça, note Chapraud.

Ils avancent et arrivent au train électrique. Chapraut prend les commandes et le train se met en branle. Ils arrivent ainsi au quai où se trouvait la barque. Elle n’est plus là. Les téléphones et autres dispositifs sont absents également. Il ne leur reste plus pour seule perspective que d’emprunter la mince corniche bordant le canal. A la queue leu leu, ils progressent lentement, le dos plaqué à la paroi humide, en direction de la lumière qui laisse présager la présence d’une pièce ou, tout du moins, d’un endroit large. Leurs pieds doivent parfois pousser des rats qui s’écartent en poussant de petits cris de mécontentement.

— Je ne sais pas où on va mais j’aimerais mieux être ailleurs, avoue José.

— Surtout que nous ne sommes pas armés, confirme Chapraud.

— Chut ! J’entends du bruit ! Nous arrivons !

En effet, ils arrivent. Et ils sont accueillis. Il y a là quelques uns des principaux protagonistes de l’histoire. Ficelés, menottés, entravés, on trouve Gaëlle, Kermitt, Etzelle, Alice, Roland, Robert et Arthur. Ils ont le regard éteint et halluciné. Pour les surveiller, Maurice, Uma et Günther ainsi qu’un grand noir borgne et ce que l’on pourrait prendre pour un hybride entre le docteur Strangelove et le le professeur Frankenstein. Ce dernier est installé à un pupitre généreusement garni en boutons, interrupteurs, potentiomètres, cadrans, manettes, rhéostats, écrans de contrôle, vumètres, fiches, câbles et chevillettes divers et variés. Il s’active et converse avec une personne à l’aide d’un microphone et d’un casque d’écoute qui peine à couvrir ses oreilles étonnamment grandes. Il se retourne et note la présence des visiteurs.

— Ja ! Ils sont arrifés. Jawohl mein Herr ! Danke.

Déjà, Maurice à l’arme au poing et désigne un banc scellé dans la paroi aux arrivants.

— Prenez place, chers amis !

Chapraud, Chapraut et José n’ont pas l’intention de jouer les héros et vont s’asseoir. Silencieux, le grand noir borgne vient les attacher.

— Avez-vous fait bon voyage jusqu’à nous, Messieurs ? Puis-je vous proposez un rafraîchissement ? Calva ? Ça ira ?

— Plus de calva ! disent les Chapraudt d’une seule voix.

— Pour moi non plus, dit José.

— Bien. Il ne manque plus grand monde. Nous allons les attendre bien sagement. Ils ne devraient pas mettre bien longtemps avant de se joindre à nous. N’est-ce pas, docteur Gemenle ? Où sont-ils ?

— Ils approchent, ils approchent. Le Land Rover vient vers nous comme prévu, Herr Maurice !

— Bien !

— Je ne me suis pas présenté. Monsieur Maurice. Je vous présente le docteur Gemenle, de Guntzbourg, en Allemagne. Je vous présente également Günther et Uma, deux androïdes particulièrement bien dressés. Et bien sûr, notre brave Östäl. Je vous conseille de ne pas même penser à vous détacher et vous évader. Assis en face de vous, je ne vous présente pas monsieur Kermitt et madame Labornez que vous connaissez déjà. A côté d’eux, je vous présente mademoiselle Alice et madame Etzelle ainsi que messieurs Arthur, Roland et Robert. Je ne pense pas que vous vous connaissiez. Sauf sans doute le facteur, bien sûr. Pour ainsi dire, vous êtes étrangers à cette affaire dont vous ne devez connaître ni les tenants ni les aboutissants. Vous n’êtes là que parce que vous avez été trop curieux et parce que, en découvrant ces lieux, vous en savez déjà beaucoup trop même si vous pensez ne rien savoir du tout. Ou ne rien comprendre à rien, devrais-je dire. Mais passons. Il ne me revient pas de savoir ce que nous allons faire de vous. J’aurais bien ma petite idée mais ce n’est pas à moi de décider de cela. Vous nous êtes inutiles et ne représentez qu’un poids mort. Je pense que nous devrions vous liquider. Toujours pas de petit calva pour vous remonter le moral ?

— C’est que vu comme cela et à la réflexion, cède Chapraut.

— Sûr que si c’est notre dernier, ça ne nous tuera pas, juge Chapraud.

— Il faut bien mourir de quelque chose, conclut José.

Maurice sert trois bonnes doses de calvados dans des timbales métalliques dans lesquelles il plante des pailles. Il dispose le tout sur un petit chariot qu’il approche des prisonniers afin qu’ils puissent boire. Chapraud tire le cou pour s’approcher de la paille et la repousse en arrière subitement.

— C’est du calva empoisonné ? On ne me la fait pas !

— Non, pas empoisonné. C’est même du très bon.

Maurice boit une lampée de calvados à même la bouteille.

— Vous voyez, vous pouvez y aller. Je vous le conseille vivement, vraiment excellent.

Chapraut se penche et aspire le calvados.

— Vrai qu’il est bon.

— Excellent, oui ! Confirme Chapraud.

— C’est pas le meilleur que j’ai pu boire mais il est très correct, modère José.

Pendant ce temps, le docteur Gemenle s’affaire devant ses appareils d’une haute technicité. Des sons sinusoïdaux chuintent du haut-parleur. Il abaisse le correcteur épiloïdique à découplage de phase de sa main gauche tandis que, du bout du pied droit, il agit avec mesure sur la pédale du variateur de voltage. La main gauche vole d’un potentiomètre à l’autre comme un bourdon le ferait de fleur en fleur dans une prairie printannière. Le pied gauche, lui, reste simplement posé au sol.

— Docteur, vous vous amuserez avec vos appareils plus tard. Il faut changer la jambe de Günther avant notre départ.

— Was ? M’amusser ? Fous en afez de ponnes ! Zi fous kroyez que che m’amusse ! Fous, fous pufez du kalvados et moi, tintin !

— Docteur ! Günther ! Vous avez compris ?

— Ja, ja. Ch’ai kompris. Chancher la champe de Günther. Ach ! Mein Günther ! Ja.

Le docteur Gemenle va chercher sa boîte à outils et en maugréant, il va s’occuper du cyborg. Le grand noir borgne est là pour lui prêter main-forte.

— Recartez ce qu’ils ont fait de mein cyborque ! Tout kassé. Kaputt. Ah les saufaches ! Ou ai-che mis la klé de dreizhen ? Scheiße de scheiße ! Rekardez ! La champe est toute foutue ! Il faut tout chancher. Scheiße.

Alors que le docteur s’affaire, court de place en place pour chercher outils et pièces détachées, Maurice s’approche de Uma qu’il commence à caresser lascivement.

— Epargnez-nous vos dégoûtantes perversions ! s’exclame Chapraud.

— C’est dégueulasse, ajoute José.

— Elle est plutôt jolie, remarquez, juge Chapraut, quelque peu émoustillé.

— Chapraut ! C’est un robot ! C’est contre nature !

— Rhôôô... Me faites pas croire que vous seriez insensible à ses charmes si jamais ce « robot » était dans votre lit, Chapraud.

— Je préfère encore une poupée gonflable. C’est tout de même plus naturel !

— Je ne vois pas la différence.

— Tout de même ! Là, c’est un robot, Chapraut !

— Un cyborg, messieurs. Un cyborg. Voyez-vous, Uma est en partie humaine. Vous ne connaissez donc vraiment rien à la science-fiction ? Que vous apprend-on dans les écoles de gendarmerie ?

— N’empêche que c’est une... une... une vulgaire machine ! crache Chapraud en tournant la tête de dégoût.

— Non. Ce n’est pas une vulgaire machine. C’est même une partenaire très agréable. Quel dommage qu’il ne vous soit pas offert de l’essayer par vous-même.

Avec un sourire sadique, Maurice entreprend le déshabillage de Uma. Les prisonniers découvrent une plastique irréprochable, une poitrine au-dessus de tous soupçons, des hanches hautes et bien dessinées.

— Arrêtez ! C’est insupportable ! crie Chapraut qui ne peut cacher son trouble. Arrêtez ! Arrêtez ou détachez-moi !

— Chapraut ! Un peu de tenue ! Calmez-vous ! Pensez à autre chose. Pensez à votre mère.

Dans un rire que l’on qualifierait volontiers de démoniaque, Maurice rhabille Uma et s’adresse aux prisonniers.

— Un autre petit calvados pour vous remettre de vos émotions, messieurs ?

— C’est pas de refus.

— Au point où on en est.

— Juste un petit alors...

— Messieurs. Je vais vous expliquer la suite du programme. Nous attendons quelques personnes et puis nous allons partir d’ici. Ces personnes devraient arriver d’ici quelques minutes. Après... Nous allons faire un petit voyage et vous rencontrerez le patron. C’est lui qui décidera de votre avenir. Avenir qui promet d’être assez bref....

Un hurlement de sirène se fait entendre.

— Docteur ! Je crois que nos hôtes arrivent.

— Ch’ai pas fini.

— Docteur, vous finirez plus tard.

En râlant, le docteur lâche ses outils et s’approche de son pupitre. Il bascule un interrupteur, tourne une molette, baisse un levier et une image s’affiche sur l’écran de contrôle. Un Land Rover apparaît. Des personnes en sortent. Elles s’approchent de la caméra et font un signe de la main. Le docteur baisse un autre levier, l’image montre les personnes dans la maison de Gaëlle Labornez. Un autre levier, elles sont dans la cave. Encore un autre et elles sont sur la mince corniche. Quelques minutes plus tard, Colette fait son entrée suivie de Frédéric et Pédro qui portent le corps évanoui de Gérard.

— Mais qu’est-ce qu’il fout là, lui ? s’exclame Maurice.

— On ne pouvait pas le laisser derrière nous, se justifie Colette.

— Il fallait le supprimer.

— J’ai pas pu. Il est bête mais c’est tout de même mon mari !

— Ach ! L’amour ! ricane le docteur Gemenle.

Colette lui lance un regard mauvais.

Frédéric et Pédro posent Gérard à même le sol.

— Pfiou, pas léger, le Gérard.

— Il y a rien à boire ?

— La bouteille de calva est sur la tablette.

— Merci.

— Proposez-en aux gendarmes et au bistrotier. Ils aiment ça.

Frédéric a attrapé la bouteille et va en verser dans les gobelets.

— Merci, m’sieur, remercie Chapraut

— Pas de quoi.

Frédéric avale une gorgée de calva et passe la bouteille à Pédro. Il se tourne vers Maurice.

— Bon. Nous sommes tous là ? On attend quoi ?

— On ne va plus tarder à venir nous chercher, maintenant. Docteur, veuillez prévenir que nous sommes au complet. Et vous finissez Günther rapidement. Après, vous mettez en route les cyborgs et vous réveillez les prisonniers.

— Che dois tout faire ici ! Che kommence à en afoir marre !

— Je vais vous aider, dit Colette en s’approchant.

— Danke.

Colette va chercher une malette, l’ouvre et sort des seringues, des aiguilles et des flacons. Elle s’approche de Gaëlle, Etzelle, Alice, Robert, Roland, Kermitt et Arthur, et, après s’être assurée qu’ils sont bien attachés, elle commence à leur injecter un produit rose fluo à la douce odeur de vanille de Tahiti.

Les malheureux se réveillent. Ils semblent étonnés d’être là. D’ailleurs, ils ne semblent pas comprendre où ils se trouvent. Ce qui est, admettons-le, logique. Le contraire serait pour le moins étonnant.

— Où qu’on est ? Qu’est-ce qu’on fait là ? questionne Robert.

— On dirait un bunker, tente Etzelle.

— Ou un blockhaus ? essaie Gaëlle.

— Peut-être une casemate, avance Roland.

— C’est quoi, la différence entre tout ça ? demande, ingénue, Alice.

— C’est tout des synonymes, explique Robert.

— On est dans un synonyme ? s’étonne Kermitt.

— On est plutôt dans la merde, répond Arthur.

— Tiens, il y a les Chapraudt et le José, reconnaît Kermitt.

— Ah oui, ce sont bien eux, confirme Gaëlle.

Alors que le docteur Gemenle peste et maugrée dans son coin en tapant sur la tête de Östäl, Maurice se place au milieu de la pièce et, ménageant son effet théâtral, reste fixe et silencieux pour faire comprendre qu’il va s’exprimer. Tous les yeux se tournent vers lui. Le silence se fait.

— Mesdames, messieurs, bonjour. Comme je l’ai précédemment expliqué à messieurs Chapraud, Chapraut et José (dont je ne connais pas le patronyme), nous allons faire un petit voyage dès que le bon docteur Gemenle aura fini de réparer les cyborgs. Pour ce voyage, nous allons être obligés de vous enlever vos entraves. Je vous recommande de ne pas essayer de vous échapper ou de tenter quoi que ce soit d’autre. Nous avons la faculté de vous supprimer sur l’instant. Grâce à notre matériel très haut de gamme de fabrication germanique...

Le docteur Gemenle se redresse et acquiesce d’un hochement de tête.

— Ja !

-... grâce à notre matériel, donc, disais-je, nous maîtrisons le temps. Nous pouvons vous arrêter dans votre mouvement. Il va sans dire que les ondes de ce matériel ne nous atteignent ni nous ni nos cyborgs. Bref. Nous vous libèreront et nous pourrons prendre place dans notre «véhicule» qui, je le pressens, va vous intéresser au plus haut point ! D’ailleurs, il apparaîtra d’ici peu. Je l’entends déjà faire surface.

Et en effet, précédé de son télescope de cuivre somptueusement ouvragé apparaît dans toute sa splendeur le Nautilus issu des profondeurs abyssales du canal que l’on n’aurait pas cru si insondable. Il accoste et Maurice s’approche du sous-marin qu’il amarre à l’aide d’un solide filin. La porte de l’appareil s’ouvre à l’instant ou le docteur Gemenle met en marche les cyborgs qui se mettent aussitôt au garde à vous. Un escalier escamotable se déploie et vient se poser sur le quai. Lafleur apparaît alors, un verre à cocktail à la main.

— Mesdames, messieurs, bonsoir ! s’exclame-t-il, légèrement titubant, un étrange sourire éclairant un visage aux yeux rieurs.

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