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vendredi 22 avril 2016

Lemaitre joue contre la montre

Voilà bien un livre que j'espérais. Comme beaucoup, j'ai découvert Pierre Lemaitre avec le prix Goncourt 2013 attribué à Au revoir là-haut, un livre haletant, beau et fort, terrible et fascinant. Je suis tombé amoureux de l'écriture de l'écrivain et ai lu tout ce que j'ai pu trouvé dans la foulée. Du coup, il ne me restait plus qu'à attendre que le monsieur daigne sortir un nouveau livre. C'est que l'on devient vite accro à sa prose. Une vraie drogue dure.
J'entends sur France Inter, dans la Librairie francophone de Emmanuel Khérad, il y a de cela quelques semaines, que ça y est, un nouveau roman est sorti en librairies ! Je ne me précipite pas et attends de passer par la ville pour aller acheter un exemplaire. Il est là, à ma disposition, bien en vue. Je fais durer le plaisir, je fais monter le désir. Et puis, je me plonge dans la lecture. Environ 250 pages. J'espère le faire durer un peu. Peine perdue, je lis facilement un bon tiers dès le premier soir. Le lendemain, j'en engloutis un nouveau tiers. Le troisième soir, je triche. Je m'arrête au dernier chapitre, juste histoire de ne pas le terminer, ce bouquin trop court.

Trois jours et une vie
L'histoire ? Je ne vais rien en révéler de trop. Je vais juste en dire que c'est l'histoire d'un enfant de douze ans qui en tue un de six. C'est un regrettable accident, c'est l'histoire de la culpabilité, de la crainte de se faire prendre, d'être démasqué. C'est aussi continuer à vivre dans un petit village où tout le monde connaît tout le monde, où les plus proches voisins sont les parents et la sœur de l'enfant mort, un village qui sera touché par une grosse tempête. C'est l'histoire d'une vie qui s'est arrêtée et d'une autre qui continue malgré tout et aussi d'une tentative de rédemption. Et c'est surtout une fin à laquelle on ne s'attend pas et qui n'apporte ni réponse ni réparation.
Pierre lemaitre pose le principe de l'irréparable. On ne peut rien ni contre le temps ni contre la mort. Lorsque c'est passé, on ne revient pas en arrière. Antoine, le personnage principal du roman découvre cela en quelques secondes. Il ne s'en remettra jamais. Le lecteur que je suis a dévoré ce bouquin avec un léger malaise. J'ai eu de la compassion pour le jeune meurtrier devenu adulte, j'ai espéré qu'il s'en sorte. Pire, je n'ai pas eu de sentiment particulier pour le jeune Rémi, la victime. J'en ai eu, par contre, pour ses parents.
Une fois le livre refermé, je me suis dit que ce n'était pas là le meilleur livre de Pierre Lemaitre. Il reste d'une lecture captivante et d'une langue fluide et agréable. Ce qui manque peut-être, c'est le suspense. Il se limite grosso-modo à savoir si Antoine sera confondu ou pas. Cependant, ce n'est pas l'objet du roman. Ce n'est pas à proprement parler un polar, pas même un roman noir, à mon sens. Il est peut-être un peu trop rapide et peut-être que l'on aimerait seulement qu'il dure plus longtemps. Quoi qu'il en soit, il est bien efficace et sa lecture est fortement recommandée par moi-même.

jeudi 1 mai 2014

Trilogie Verhoeven

Pierre Lemaitre, suite et fin. Je viens de terminer la lecture du dernier roman de la trilogie Verhoeven. Une trilogie qu'il me plairait voir se transformer, au moins, en tétralogie.

Comme je l'ai précédemment expliqué ici même, j'ai découvert Pierre Lemaitre avec "Au revoir là-haut". J'ai tellement aimé ce Goncourt 2013 que je me suis mis en tête de lire l'intégralité (ou presque) de l'œuvre de l'auteur. Tâche d'autant moins insurmontable que l'œuvre n'est pas pléthorique. En tout et pour tout, elle peut se résumer à cinq thrillers et au Goncourt. A cela, selon wikipedia, on peut trouver un roman qui aurait été d'abord publié sous forme numérique et qui serait désormais édité sous une forme plus claissique. Celui-ci, je ne l'ai pas trouvé et ne l'ai donc pas lu.
Nous avons donc "Robe de marié", "Cadres noirs" et la trilogie Verhoeven dont je vous ai déjà entretenu avec le premier roman de la série, "Travail soigné". Cinq romans que j'ai avalés avec gourmandise. Pierre Lemaitre parvient à construire des histoires prenantes et angoissantes mais surtout extraordinairement efficaces, superbement bien construites et magnifiquement bien écrites. En fait, mais vous l'aurez sans doute compris, je suis devenu à une vitesse record un inconditionnel de Pierre Lemaitre.

La trilogie Verhoeven

Nous rencontrons le commandant Verhoeven dans "Travail soigné". Il est policier à la brigade criminelle. Sa taille ne va pas lui permettre de jouer les gros bras. On le comprend vite. Donc, ce sera avec la tête qu'il résoudra les affaires auxquelles il va être confronté. Et justement, dès le premier épisode, des affaires, il en a plein les bras. Il faut dire qu'il y a un serial killer qui s'est mis en tête de tuer des femmes en s'inspirant de romans du style thriller d'auteurs qui font référence dans le domaine. Une idée qui peut paraître bien saugrenue mais qui va avoir des conséquences importantes sur la vie du commandant Verhoeven. Je n'explique pas l'histoire parce que je présume que vous ne tarderez pas à vouloir la découvrir par vous même si ce n'est pas déjà fait.

Avec "Alex", deuxième épisode de la trilogie, nous sommes en présence d'une jeune femme, Alex. La construction du roman est remarquable. Dans la première partie, Alex est clairement présentée comme une victime. Elle est enlevée puis séquestrée dans une cage de taille réduite pendue au plafond. Si Pierre Lemaitre suggère que ces cages rappellent les "fillettes" de Louis le onzième, il semble que ce ne soit pas une vérité puisque ces "fillettes" seraient plus probablement un ensemble de lourdes chaînes lestées de masses de fer dont on recouvrait certains prisonniers. Mais passons.
Dans la deuxième partie, après que Alex ait réussi à s'extraire de sa prison inconfortable, elle se découvre sous un autre jour puisque nous la suivons dans ses pérégrinations durant lesquelles elle fait passer de vie à trépas tout un tas de personnes en usant de méthodes peu charitables et, n'ayons pas peur des mots, carrément cruelles. De victime, elle apparaît donc comme coupable et le lecteur ne sait plus vraiment que penser de cette femme jeune et visiblement jolie. La troisième et dernière partie offre un éclairage sur la situation réelle et permet de comprendre l'incroyable esprit de vengeance qui meut Alex. On ne comprend que dans les dernières pages les tenants et les aboutissants et on parvient enfin à tirer le fil de l'écheveau qui dénoue toute l'intrigue. Ce roman est haletant et terriblement prenant.

Dans "Sacrifices", nous retrouvons le commandant Verhoeven quelques mois après qu'il ait réussi à reconstruire sa vie. Il a une nouvelle compagne, il nage de nouveau dans un semblant de bonheur domestique et, si l'un de ses principaux collaborateurs vient de mourir d'un cancer, l'avenir peut paraître promis à la plénitude et à la joie de vivre. Hélas, comme souvent dans la vie, rien ne va tout à fait comme c'était prévu ou attendu. Ne voilà t'il pas que Anne, le nouvel amour du commandant Verhoeven, est passée à tabac dans un passage parisien, à proximité d'une bijouterie qui est en train de se faire braquée par une bande de malfaisants particulièrement violents. Dents cassées, profondes blessures au visage et au corps, doigts brisés, Anne se retrouve aux urgences et le commandant Camille Verhoeven, au mépris de sa direction et au risque de se voir démettre de ses fonctions et de se voir mis au ban de la société va chercher à retrouver les coupables en faisant de cette histoire une affaire personnelle. Il ne voit pas venir le piège qui, peu à peu, se referme sur lui. Des trois romans de la série, c'est peut-être le plus psychologique et le plus noir. On suit avec douleur le parcours de Verhoeven dans un sac de nœud auquel on peine à trouver quelque chose à quoi se raccrocher. On perd pied comme le policier, on ne comprend pas tout, on imagine des choses et enfin vient le dénouement. Magistral !

Trilogie Verhoeven - Pierre Lemaitre

lundi 21 avril 2014

Ça ne cadre pas

Avec "Cadres noirs", Pierre Lemaitre nous donne une vision noire et cruelle du monde de l'entreprise à travers l'incroyable aventure d'un cadre au chômage de cinquante-sept ans qui se lance dans une action désespérée pour se révolter.

Alain Delambre est un cadre au chômage. Il a 57 ans, une femme, deux filles et un moral dans les chaussettes. Depuis quatre ans, depuis son licenciement, il va de désillusion en désillusion. Au début de l'histoire que nous raconte Pierre Lemaitre, il travaille dans un centre de logistique de produits pharmaceutiques. A la marge de la dépression, il pose sa candidature pour un poste de cadre dans une importante entreprise pétrolière.
Le recrutement se fait bizarrement. Dans un premier temps, tout semble parfaitement normal mais, bien vite, ça prend une tournure peu banale. L'idée de la direction est de faire d'une pierre deux coups. D'un côté, on recrute le meilleur candidat pour un poste, de l'autre on évalue des cadres installés dans l'entreprise. Pour cela, on va simuler une prise d'otage durant laquelle l'intégrité et la fidélité de ces cadres seront mises à l'épreuve. Alain Delambre est retenu parmi tous les candidats au poste avec quelques autres personnes. Seulement, à quelques jours de l'ultime épreuve durant laquelle il doit participer au simulacre de prise d'otage et juger les cadres, il apprend quelque chose qui lui fait péter les plombs. Il parvient à se procurer arme et munitions et se lance dans une vraie prise d'otages. La police intervient, il se rend et est envoyé en prison dans l'attente de son jugement. Il risque trente ans de détention.
Seulement, Alain Delambre a réussi à l'occasion de sa prise d'otages à avoir accès au réseau intranet de l'entreprise et à dérober quelques millions d'euros. Le PD-G de l'entreprise tient à récupérer la somme détournée et Alain doit faire face à des menaces et des actes de torture dans l'enceinte de la prison. Pour sa défense, il demande l'aide de l'une de ses filles avocates. En silence, dans le plus grand secret, sans rien dire ni à ses enfants ni à sa femme, il élabore un plan.
Finalement, le procès se déroule plutôt très bien et Alain Delambre est libéré bien vite. Mais alors que l'on pense l'histoire terminée, on constate qu'il reste encore bien des pages à lire. En fait, le roman ne se termine pas là. On exige du quinquagénaire qu'il rende l'argent. C'est bien normal. Moi, ça me dérangerait un peu que l'on me prenne plusieurs millions d'euros. Et même si l'on peut imaginer que pour une multinationale ce n'est qu'une peccadille, on comprend que ça ne fait pas plaisir. Alain Delambre a plus d'un tour dans son sac et réussit le tour de force de rencontrer le PD-G et de le faire chanter avec une histoire de ministre qui aurait touché des pots-de-vin[1]. Mais c'est sans compter avec une sorte de mercenaire patibulaire et vénal qui veut récupérer les millions pour lui ! La vie de Niicole, l'épouse de Alain, est en danger. Elle est menacée par ces méchants et elle a peur. Alain a peur pour son épouse aussi et s'engage une tentative désespérée pour échapper aux malfaisants au cours de laquelle on assiste à une course poursuite dans les rues de Paris.
Heureusement, par bonheur, il y a Charles. Charles, c'est un semi-clodo alcoolique qui travaille dans l'entreprise de logistique de produits pharmaceutiques où travaillait Alain. Ils sont devenus amis. Charles vit dans la rue, dans sa Renault 25 V6 Turbo qui a un joint de culasse défaillant. C'est lui qui va faire don de sa vie pour sauver celles de Alain et Nicole. Un saint, ce Charles. Du coup, plus de méchants. Alain a une grosse somme d'argent. Il en donne à ses filles et à sa femme. Mais l'argent ne fait pas le bonheur, on le sait. Si l'une des filles accepte l'argent et trouve comment l'utiliser, il n'en va pas de même pour l'autre fille (l'avocate pleine de principes) et de Nicole qui en profite pour quitter Alain et s'en aller vivre seule dans un modeste appartement de banlieue.

Pierre Lemaitre - Cadres noirs
Je n'ai pas aimé ce roman de Pierre Lemaitre. Il est très largement en dessous de ceux que j'ai pu lire précédemment. Où est le problème ? La trame aurait pu être intéressante. Un cadre dépressif qui réalise une prise d'otage parce qu'il sent qu'il n'aura pas le poste pour lequel il est candidat aurait pu donner un roman haletant. Là, on a un roman un peu poussif émaillé de ficelles un peu grosses et de rebondissements auxquels on peine à donner crédit. Je suis peut-être un peu chiant mais moi, les histoires de petit génie de l'informatique qui parvient à s'infiltrer dans un système informatique et à trouver en un temps record exactement ce que l'on cherche avec une facilité déconcertante, ça a tendance à m'agacer. Pour moi, ça tient du deux ex machina grossier. Peut-être que ça en épate encore certains mais moi, ça m'agace. C'est trop facile. Dans cette histoire, Alain Delambre, cadre quinquagénaire au chômage, parvient à faire virer une somme conséquente d'un compte secret (il s'agit d'une caisse noire) jusqu'à des comptes situés dans des paradis fiscaux, comme ça, en quelques minutes, juste depuis un vulgaire PC portable connecté à l'intranet d'un grand groupe industriel. Je dis chapeau. Réussir à s'infiltrer dans l'intranet, passe encore. Admettons. Mais pour le reste, rien que l'histoire de tomber sur les comptes, sur les numéros et mot de passe, tout ça. Non, vraiment, très fort cet Alain Delambre. Sur le fond, l'idée aurait pu être bonne. Il s'agit d'un roman psychologique et Pierre Lemaitre aurait pu donner plus de corps à son personnage. Là, on comprend qu'il est dépressif, on le comprend, on se prend un peu de pitié pour lui et on finit par ne plus le trouver si sympathique. On ne le comprend simplement plus. En fait, il me semble que soit la première partie est trop longue, soit la seconde est trop bâclée. Mais surtout, j'ai le sentiment que le roman a pu débuter d'un simple entrefilet dans la rubrique des faits-divers d'un journal. Un cadre au chômage prend en otages son futur employeur et ses futurs collègues. Après, on brode, on se rend compte que l'on ne parvient pas à faire une histoire assez longue et on ajoute des éléments d'intrigue comme ils viennent.
Pour moi, ce roman est globalement peu crédible et c'est bien dommage. J'aurais vraiment aimé me conforter dans l'idée que Pierre Lemaitre est le meilleur auteur du moment. Pour tout dire, il ne m'avait pas déçu jusque là et j'espère juste que je retrouverai cet écrivain au meilleur de sa forme dans le roman que je m'apprête à débuter.

Note

[1] Franchement, ces écrivains imaginent de ces choses !

samedi 19 avril 2014

Robe de marié ou les malheurs de Sophie

Pierre Lemaitre, je vous en ai déjà parlé. Il y a eu le prix Goncourt qui me l'a fait rencontrer et m'a donné l'envie d'en lire plus. Hier soir, je terminais la lecture de "Robe de marié", sans faute d'orthographe.

Pierre Lemaitre est un génie. Un écrivain génial. Après "Travail soigné", son premier roman paru en 2006, je me suis plongé dans son deuxième avec "Robe de marié" datant de 2009. Comment et pourquoi ne l'ai-je pas découvert à l'époque ? Mystère. Pourquoi a-t-il fallu attendre ce prix Goncourt pour "Au revoir là-haut" ? Re-mystère. Et dire que sans ce prix et sans la couverture médiatique qui l'a accompagné, je ne connaîtrais sans doute toujours pas cet auteur qui, pour le moment, est celui que j'ai le plus envie de suivre.
Dans ce thriller diablement efficace, nous rencontrons une jeune trentenaire, Sophie, à un moment de sa vie où tout ne va pas vraiment pour le mieux. Elle est folle. Elle se bat contre sa folie à laquelle elle ne comprend rien. Elle ne se souvient de rien, Sophie. Elle oublie tout et surtout le plus grave. Elle égare des objets, rend des livres à la bibliothèque avant de les avoir lus et ceci sans en avoir le moindre souvenir, elle perd sa voiture, elle ne retrouve pas les cadeaux d'anniversaire, elle perd son travail, sa belle-mère, son mari, sa tête, sa santé. Elle est folle, elle perd pied, elle fuit, change de vie, de nom, de ville.
Le roman est découpé en parties. La première se focalise sur Sophie, meurtrière inconsciente et perturbée. Les autres parties, je ne vous en parle pas. Il vous faudra lire le roman pour savoir.
C'est facile mais voilà. Je ne peux pas éviter d'affirmer que Pierre Lemaitre est un maître. J'ai un peu honte de ne pas avoir résisté à cela mais il n'avait qu'à prendre un pseudonyme. Je n'y suis pour rien. Ce serait-il appelé Pierre Tartempion, ça serait passé comme une lettre à la poste. Ce roman est ce que l'on peut appeler un modèle du genre en matière de thriller psychologique. On entre dès les premières pages dans la tête perturbée, dans le cerveau tourmenté de cette pauvre Sophie qui a bien des malheurs. Elle oublie tout, sent qu'elle devient folle. On compatit et on tourne les pages sans pouvoir lâcher le morceau. On veut savoir où cela va la mener. On se retrouve à avoir un sentiment très mitigé sur sa personne. On la pense folle à lier, dangereuse, bonne à enfermer mais il y a un petit quelque chose qui fait que l'on est tout de même de son côté. Il faut dire qu'elle est attachante, Sophie. Vraisemblablement jolie, visiblement intelligente, elle ne semble pas pleinement responsable de ses actes. Vraiment, on est pris d'une sorte d'empathie pour cette jeune femme et on voudrait pouvoir l'aider.
L'autre personnage clé de l'histoire se prénomme Frantz. Ce n'est pas tout à fait comme Kafka mais on a peine à ne pas y penser. Il me semble impossible de parler plus avant de ce type sans trop en dévoiler sur l'histoire. Ce serait dommage de vendre la mèche. Ceci dit, je peux tout de même vous apprendre qu'il a un rôle primordial dans le roman. Avec lui, on tombe dans le sadisme le mieux étudié. En tant que lecteur, j'ai navigué continuellement dans un mélange de fascination et d'exécration à son sujet. Mais je n'en dis pas plus.
Le roman est écrit dans un style très factuel. C'est l'une des forces de Pierre Lemaitre. Il écrit ce qui est utile à l'histoire, il ne se perd pas dans l'évocation de détails sans importance. Chaque mot est pesé, présent parce que parfaitement nécessaire. C'est un style d'apparence simple, clair et précis mais il est aussi d'une intensité et d'une profondeur remarquables. Pierre Lemaitre est, à mon sens, un écrivain majeur de ces dernières années. Une fois encore, je regrette de ne le découvrir que maintenant. Sitôt ce roman terminé, j'en ai ouvert un autre. Je pense sincèrement que je n'en ai pas fini avec Pierre Lemaitre !

Robe de marié - Pierre Lemaitre

mardi 25 mars 2014

Sur un air connu de Michel, fils de Jacques

En débutant la lecture de "Travail soigné" de Pierre Lemaitre, la question est arrivée. Mais où diable avais-je bien pu déjà rencontrer ce commandant Verhœven ? Une sensation vraiment troublante qui ne me quittera pas après avoir refermé ce roman.

Serge Gainsbourg prétendait que la chanson est un art mineur. Oui, comme la peinture, la musique, la sculpture, l'architecture, le théâtre, le cinéma, la littérature, le dessin, la gravure et j'en oublie. Oui. Tout cela est mineur. L'art majeur, le seul, le vrai, c'est le mime.
Cette réflexion est venue en lisant "Travail soigné" de Pierre Lemaitre dont j'ai dévoré son récent "Au revoir là-haut". Je me suis dit que ce roman pourrait faire l'objet d'un scenario de film. Et puis, je me suis dit que je n'avais pas besoin d'un film pour vivre ce roman prenant. Un thriller comme on en lit rarement. Bien sûr, un bon réalisateur qui s'attacherait à ce roman en sortirait sans doute un équivalent du "Silence des agneaux" ou de quelque chose du genre et ce serait sans doute un bon film de genre. Mais voilà, à la lecture de ce thriller, je me dis qu'il n'y a pas besoin d'images qui bougent et de détonations tonitruantes d'armes à feu ou de personnages de chair et d'os et de musique d'ambiance pour être à fond dans l'histoire. Je suis allongé sur mon lit, les yeux à quelques centimètres de la page, et je suis ailleurs, transporté dans le roman, en immersion plus certaine que toutes les technologies pourraient tenter d'apporter, 3D incluse.
Et alors, je relève le nez et je poursuis ma réflexion. Je me dis alors que si le cinéma n'est pas nécessaire, peut-être le roman gagnerait à conter ? Et je me dis que le conte est l'art ultime, celui qui permet de faire passer des émotions avec le minimum de moyens. L'art du conte est très ancien. Possible qu'il existe depuis que la parole est apparue. Ça doit faire un bail. De purement utilitaire, la parole a dû rapidement devenir un instrument pratique pour raconter des histoires imaginaires. L'invention de la parole, du vocabulaire, a certainement été très pratique pour nommer des objets, des lieux, des animaux, des personnes, des plantes ou des entités mystérieuses. "Au début était le verbe...". Sans la parole, il me semble presque certain qu'il n'y aurait jamais eu de religion avec des histoires improbables et des croyances incroyables. La parole a donné le conte. Le conte a donné l'histoire qui a donné le roman. Quoi que là, il aura tout de même fallu attendre l'invention de l'écriture et ça a dû être une autre paire de manches.
Mais avant la parole, on ne racontait donc pas d'histoire ? Je me suis posé la question et j'ai compris que je faisais fausse route. Bien sûr que si que l'on racontait des histoires ! Et pour ce faire, on n'avait guère qu'une arme : le mime. Le mime est donc plus ancien, plus authentique, que la parole. C'est le langage du corps. Un langage plus ou moins universel qui nous permet encore aujourd'hui de comprendre les attitudes animales. Et donc, je le dis, l'art majeur est le mime.

Travail soigné - Pierre Lemaitre
Mais quel rapport avec le roman de Pierre Lemaitre que je vous conseille de découvrir si ce n'est déjà fait ? Aucun. Véritablement aucun rapport. D'ailleurs, ça n'a même pas le moindre rapport avec le sujet dont je souhaitais vous entretenir aujourd'hui qui est le roman de Pierre Lemaitre, roman que j'ai beaucoup aimé et qui me pousse à découvrir les autres de la même série, celle des aventures du commandant Camille Verhœven.
Le commandant Camille Verhœven exerce dans la police criminelle. Il a pour particularité d'être petit. Vraiment petit. Il mesure, c'est précisé, un mètre et quarante-cinq centimètres. C'est peu. Pour autant, mais on peut s'en douter, il s'agit d'un grand enquêteur, très intelligent. Il est marié à une femme que l'on peut penser jolie. Elle attend un enfant et le roman s'ouvre un peu là-dessus mais pas tout à fait non plus puisque, en fait, ça s'ouvre sur l'interrogatoire d'une fille puis sur la découverte d'un double meurtre particulièrement horrible et sanglant. Mais peu importe.
Donc, le commandant Verhœven (que l'on aurait appelé inspecteur en d'autres temps) est appelé sur une scène de crime. Ce n'est pas beau à voir. Du beau travail de malade. On ne met pas bien longtemps à découvrir de troublants indices et le commandant Verhœven, l'esprit vif, ne tarde pas non plus à faire le lien avec un roman de Bret Easton Ellis. De même, un peu plus tard, il fera le lien entre un autre meurtre plus ancien et non élucidé et un roman de James Ellroy, "le dalhia noir". Plus loin encore, d'autres crimes et d'autres romans seront mis en relation.
Mais au-delà de l'histoire, de l'intrigue, du suspense, il y a la construction du roman et la manière qu'à l'auteur de vous mener par le bout du nez là où il veut comme il le souhaite. C'est assez magistral. Il y a des moments où l'on ne sait plus où l'on est dans le roman ou dans le roman dans le roman. C'est assez jouissif.
Pierre Lemaitre s'amuse. Il s'amuse déjà à écrire pour des lecteurs qu'il espère intelligents. C'est comme s'il se tenait la réflexion suivante : les lecteurs de romans policiers aiment lire des romans policiers. Je vais donc faire un roman policier qui parle de roman policier. Un délice d'intelligence et de connivence avec le lecteur qui peut jouer à dénouer l'intrigue.

En refermant ce livre, il existe toujours cette question qui me tarabuste bien un peu. Où ai-je bien pu rencontrer ce Camille Verhœven ? Je suis quasiment certain de ne pas avoir lu les autres livres de la série et je ne pense pas que l'un d'eux ait été porté à l'écran. Alors quoi ? Je n'en sais fichtrement rien et ça m'agace un tantinet. Comment peut-il se faire que j'ai le sentiment de connaître ce personnage sans avoir rien lu auparavant qui le mette en scène ? C'est un mystère qui, je le crains, restera entier.
Quoi qu'il en soit, je vous conseille la lecture de ce roman si vous êtes amateur du genre et je m'en vais me mettre sur la piste des autres livres de la série.

samedi 25 janvier 2014

Escroqueries bien tranchées

On me l'avait présenté sur le ton de la théorie du complot. A la veille de l'anniversaire du début de la guerre de 14-18, un écrivain et son éditeur faisaient un coup marketing en publiant un roman qui avait la Grande Guerre comme toile de fond. Comme par hasard ! Et puis, j'ai entendu des critiques, j'ai écouté d'autres personnes. Et puis, j'ai lu "Au revoir là-haut" de Pierre Lemaitre, Goncourt 2013. J'ai aimé.

Je ne vais pas vous raconter le livre. Il est nettement préférable que vous fassiez l'effort de le trouver et de le lire. Tout de même, je peux vous expliquer que ce roman à la fois drôle et cruel se déroule en deux temps. Le premier a pour décor le front, les tranchées, la guerre, ses horreurs et sa bêtise, aux derniers jours de la guerre, en novembre 1918. Le second se situe dans les années d'après guerre, alors que les soldats sont démobilisés et que la société n'a rien prévu pour eux et que le pays peine à se reconstruire. Les personnages principaux sont présentés dès les premières pages. Nous avons deux soldats, Albert et Edouard, et un gradé à particule, le lieutenant d'Aulnay-Pradelle. Un beau salopard, celui-là.
Pour gagner du galon, le lieutenant n'hésite pas à commettre une vraie belle saloperie afin de se trouver une raison de lancer une offensive. Au cours de celle-ci, Albert se retrouve enterré vivant après l'explosion d'un obus et il est sauvé par Edouard qui n'en sortira pas indemne. Il y gagne une patte folle et le statut de "gueule cassée".
La guerre est terminée. Les Boches ont capitulé, l'armistice est signée. Albert et Edouard se retrouvent à vivre ensemble. Albert se sent redevable vis-à-vis de Edouard ; Edouard a besoin de Albert. Les temps sont durs pour ces deux démobilisés. Edouard va avoir l'idée d'une arnaque à grande échelle, une arnaque amorale. De son côté, Henri d'Aulnay-Pradelle a fait un beau mariage d'argent. Il a de l'ambition, le lieutenant devenu capitaine ! Il veut de l'argent et vite et à n'importe quel prix. Lui aussi va imaginer une arnaque. Tout aussi amorale. Elle est belle la France d'après-guerre !

Au revoir là-haut — Pierre Lemaitre
Sur fond de détresse, de misère, de tristesse et de désespoir, Pierre Lemaitre propose un roman plein d'humour noir. L'histoire a pour toile de fond cette grande guerre que l'on va commémorer cette année mais l'auteur ne procède pas spécialement à une dénonciation de cette guerre et de ses atrocités. C'est un roman humain qui s'attarde sur quelques personnages exceptionnellement bien croqués, presque à la limite de la caricature, parfois. Je n'ai pas de conseil à donner à Jacques Tardi[1] mais je serais lui, j'engagerais des pourparlers avec Pierre Lemaitre pour une adaptation en bande dessinée. De l'humour, il y en a et pas qu'un peu. De l'humour noir, je l'ai dit. De l'humour un peu cynique, aussi. Ce n'est définitivement pas un roman triste.
"Au revoir là-haut" est de ces romans que l'on ne peut pas lâcher lorsque l'on les a commencé. On veut savoir. On veut connaître la suite. On veut comprendre comment les personnages vont se sortir de la situation. On espère que ça va aller dans le sens que l'on souhaiterait. On veut que le personnage détestable parmi tous, d'Aulnay-Pradelle, paie cher la conséquence de ses saloperies, de son appât du gain, de son avidité, de son désir de réussite sociale. Qu'il crève ! Et puis non. Pierre Lemaitre a raison. Qu'il vive, plutôt ! C'est encore plus cruel.
Edouard, dans son personnage de gueule cassée accro aux opiacés, est sans doute un peu trop dans la caricature. C'est à la fois le personnage le plus important du roman et celui qui a le moins d'importance. C'est le pivot. C'est le lien entre Albert et d'Aulnay-Pradelle. C'est aussi le cerveau de l'affaire.
Albert, c'est le pleutre, le craintif, celui qui ne ferait rien si les événements ne l'obligeaient pas à agir. Ce n'est pas un héros. Il subit, il suit, il obéit. Et comme par hasard, c'est aussi celui qui tirera son épingle du jeu. Malgré lui et malgré tout. Sans Edouard, il serait mort à quelques jours de la fin de la guerre. Sans Edouard, il aurait eu une vie médiocre d'employé de bureau. Dans le meilleur des cas. Il va rencontrer l'amour. Il va lutter contre son manque de courage et il va s'en sortir. Et c'est très bien ainsi. Pierre Lemaitre nous indique clairement quel est le personnage détestable du roman mais il nous laisse libre de penser ce que l'on veut des autres personnages. Pour ma part, j'aime beaucoup Joseph Merlin[2].
Si ce n'est pas déjà fait, je vous conseille la lecture de ce roman. Lisez-le et conseillez-le à votre tour à d'autres personnes. Il mérite son succès, il mérite d'être lu. En plus, on y prend un réel plaisir.
"Au revoir là-haut" — Pierre Lemaitre - Albin Michel

Notes

[1] Qui a montré son intérêt pour la guerre de 14-18 à maintes reprises.

[2] qui est un personnage "à la Tardi", c'est certain.

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