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mercredi 3 septembre 2014

Moto rouge et musicale

Ce matin, j'ai commis deux dessins. Pour les réaliser, comme je le fais parfois, pour me couper du monde extérieur, du monde réel, j'ai mis de la musique et j'ai réglé le volume à un niveau assez conséquent.

Deux dessins. Le premier, c'est une commande. Je vous le présenterai demain. Hier, j'avais fait un crayonné rapide pour la validation et ce matin, après le litre de café bien fort, j'ai dessiné au crayon avant d'encrer au pinceau et à l'encre de chine. Pour ce dessin, j'ai écouté deux albums de Kraftwerk, Radio Activity et Autobahn. Cela ne nous rajeunit pas. Les deux albums ont pratiquement quarante ans. Je ne sais pas ce qui a guidé mon choix. Mon dessin n'était pas spécialement à la gloire du parti nazional zocialiste. Enfin passons.
J'ai eu l'idée d'un deuxième dessin et je suppose que le choix musical du premier dessin n'a pas été étranger à cette idée de dessin. Pour commencer, j'ai mis la bande originale du meilleur de tous les films du monde de tous les temps dans l'univers et au delà. Vous aurez bien entendu compris qu'il s'agissait de la bande originale de "Il était une fois dans l'ouest"[1] de Sergio Leone. Là encore je ne sais pas pourquoi j'ai mis ce disque dans la platine CD. J'ai un peu l'impression que le hasard y est pour beaucoup.
Le tournant, ça a été lorsque j'ai mis "Dernières balises (avant mutation)" de Hubert-Félix Thiéfaine. Pour le coup, j'ai encore monté le volume. Je ne sais pas vraiment ce qui me plaît tant chez Hubert-Félix Thiéfaine. C'est un mélange de diverses choses mais il y a très certainement le côté dépressif qui joue un grand rôle. Chez Hubert-Félix Thiéfaine, il est très souvent question de drogue, de misère, de suicide. Et moi, je ne sais pas pourquoi, j'aime ça. Ça me file une pêche incroyable, ses chansons violentes, poétiques, cruelles et désespérées.
Il se trouve que j'ai décidé de passer tous les albums de Thiéfaine à ma disposition, de me faire une sorte de cure. Mon intérêt pour l'œuvre du chanteur jurassien ne date pas d'hier. Il a accompagné mon adolescence et ma (un peu) tumultueuse jeunesse. On a parfois accusé Thiéfaine de faire dans l'apologie de la drogue et des paradis artificiels. Je ne suis pas d'accord ou pas tout à fait. S'il est vrai que dans "la fille du coupeur de joint" l'usage des stupéfiants revêt un aspect primesautier et que l'on peut se dire que, finalement, si c'est ça la drogue, ça vaut peut-être le coup d'essayer, il ne faut pas écarter toutes les autres chansons dans lesquelles la drogue (et plutôt les drogues dites dures) ne sont pas présentées comme un simple parcours de santé jonché de petites fleurs des champs. Il met en garde, Thiéfaine. Il dit bien la déchéance, les squats, la mort et la dépression. Mais putain ! Qu'est-ce que c'est beau ! Le problème est là. Pour les personnes qui aiment le triste, pour les romantiques, il y a comme un appel à la destruction, à l'autolyse, à l'abandon. Lorsque Thiéfaine se laisse aller à la mélancolie (et il le fait souvent) je suis sous le charme. Je rajeunis de facile trente ans.
Dangereux pour la jeunesse ? Possible. J'ai passé l'âge. Dorénavant, ça ne me concerne plus. Je ne crèverai jamais jeune. "Vivre vite, mourir jeune et faire un beau cadavre", a dit James Dean. Trop pleutre ou trop plein d'instinct de survie, je ne me suis jamais trop approché des drogues dures et me contente désormais de cultiver le cancer du fumeur[2].
Thiéfaine, c'est tout un tas de souvenirs qui s'échappent de mon cerveau et remontent à la surface en laissant un goût de mélancolie et de nostalgie. Ce sont des filles que j'ai follement aimées, une époque d'expériences diverses et de douce insouciance. Tout ça, c'est loin, c'est du temps d'avant que je devienne ce bon con de bourgeois que je suis devenu. Et merde, tiens !

Et voilà que ces disques de Thiéfaine me font tâter du doigt ce que j'aurais voulu être, ce que j'aurais voulu devenir. Moi, le truc, c'est la liberté. Une liberté libertaire, l'anarchie. J'aurais voulu vivre dans un monde où l'on aurait au le droit et le devoir de vivre sans contraintes, en faisant ce que l'on veut faire quand on en aurait eu envie. Un monde qui n'aurait pas été dirigé par le fric et les flics de toutes espèces.
Hier, j'ai fait une sorte de petit travail d'introspection sur moi en personne et je me suis demandé si, au fond et malgré mes dénégations fatigantes, je n'étais pas finalement un putain d'artiste de merde. Après tout ? Hein ?
J'ai toujours plus ou moins refusé ce statut pour plein de raisons à mon avis valables mais dans le fond, je finis par me demander si je ne ferais pas mieux d'accepter d'endosser ce costume qui en vaut bien un autre. Comme je l'ai déjà expliqué, à mon avis est artiste qui veut. Seul l'artiste peut se dire artiste. Du moins de son vivant. Pour moi, ça ne changerait rien. Sauf que, bon, ça me permettrait de me donner une sorte de statut social. Lorsque l'on me demande ce que je fais, la première chose qui me vient à l'esprit, c'est de dire que je dessine, que je fais du dessin humoristique. La question de la qualité de ma production n'a aucune importance. Ce qui reste, c'est que je dessine. Et ça, c'est une vérité. Je dessine mes trucs issus de mon univers construit de bric et de broc, de chansons de Thiéfaine, de chansons des Sex Pistols, d'un imaginaire fait des films de Terry Gilliam et de Sergio Leone, des bouquins de Cavanna et de Arto Paasilinna, des BD de Goscinny-Uderzo ou de Margerin, de Boucq ou de Ptiluc. Un imaginaire plein de motos et de voitures loufoques, un imaginaire rempli du capharnaüm qui est dans ma maison comme dans ma tête. Un bordel immense avec de l'humour parce qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer, finalement.
Alors, aujourd'hui, mercredi 3 septembre 2014, lendemain du mardi 2 septembre de la même année, lequel mardi j'ai oublié de sortir ma poubelle, au risque assumé que l'on se foute de ma gueule ou que l'on critique ma décision, je l'affirme haut et fort : je suis un artiste. Un dessinateur humoristique foutraque, anarchiste, bordélique, inconstant et artiste. Et ça sera comme ça jusqu'à ce que je change d'avis sur la question.
Je termine ce billet sur "le Chant du fou" de l'album "... tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s'émouvoir..." de Hubert-Félix Thiéfaine, je vais me faire du café, numériser le dessin de moto rouge et musicale et ce sera tout pour aujourd'hui.

Moto rouge et musicale

Notes

[1] C'era una volta il West — Once Upon a Time in the West

[2] Je bois aussi de l'alcool mais pas avec assez de constance

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