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lundi 26 novembre 2018

Hipophraste Dressingstone

Tout jeune déjà, le petit Hipophraste Dressingstone forçait l'admiration de ses parents. Il n'avait pas encore six ans — puisqu'il n'en avait que quatre — lorsqu'il montra les premiers signes de son intérêt pour les techniques mécaniques en démontant le réveille-matin de ses parents. Bien sûr, un enfant si jeune n'était pas en mesure de le remonter convenablement et il se contenta de replacer l'horloge vide de ses éléments constitutifs sur la table de chevet. Cet épisode fut à l'origine du blâme que reçut M. Dressingstone pour "retard intolérable" dès le lendemain.
Bien plus tard, très exactement presque une semaine après, c'est aux pneumatiques de l'automobile familiale que le petit diable s'intéressait. Nouveau blâme pour raison similaire pour le parent, fessée pour le gamin. Cette brimade allait éloigner Hipophraste de la science à tout jamais au presque. En effet, alors qu'il allait fêter son dixième anniversaire dans les années suivantes, il n'avait alors que sept ans et demi, Hipophraste prouvait au monde qu'il n'avait pas perdu son âme de petit garnement et de génie de la mécanique. Il allait démonter le vélo du petit Thomas, camarade de classe, à l'aide d'une scie à métaux et d'un gros marteau. Le vélo ne roulera plus jamais mais la vocation était née, Hipophraste deviendra cadre ou rien !
Et de fait, il faut le reconnaître, il ne devint jamais cadre. Pourtant, il ne se découragea pas le moins du monde et, honoré par un diplôme tout neuf délivré le jour de son vingtième anniversaire par ses parents le reconnaissant désormais comme Grand Ingénieur en Chef de l'école Polie-comique (il ne s'agissait en fait que d'un diplôme humoristique, vous l'aurez compris, vous…), Hipophraste décida de consacrer le plus clair de son temps libre (et il en avait, le bougre !) à la réalisation de son grand projet, une motocyclette novatrice de grand luxe et de grande puissance. Il puisa tout l'enseignement nécessaire à la réussite de ce projet dantesque dans les exemplaires des revues "Système D" et "Science & Vie Junior" ainsi que dans le "Manuel des Castors Juniors" qui ne le quittait jamais. Avant de passer à l'établi et aux outils, il prit une feuille de papier et un stylo pour rédiger un cahier des charges.
La motocyclette de ses rêves devait avoir une roue devant et une autre derrière. Pour s'asseoir, une selle était prévue et celle-ci devait pouvoir se positionner légèrement sur l'arrière et devant un guidon chargé de diriger la machine en un mouvement oscillant vers la droite et la gauche selon la configuration du terrain. Un moteur d'une cylindrée comprise entre 350 et 500cc allait avoir la mission de fournir le mouvement et la puissance à l'une des deux roues. Entre roue et moteur, Hipophraste jugea intéressant de placer deux dispositifs, une boîte à vitesses (deux pour aller en avant et une pour aller en arrière) et un embrayage à deux disques dont l'un serait plutôt en forme de cercle. Pour s'assurer de ne jamais dépasser les limitations de vitesse, il fut décider de placer un tachymètre visible depuis le poste de pilotage. Plusieurs croquis furent exécutés et servirent à la constitution de plans cotés d'une précision remarquable.
Les roues, les pneumatiques, divers accessoires et organes furent récupérés sur des motocyclettes mises au rebut. Le moteur fut remonté à partir de quelques modèles disparates modifiés, améliorés et adaptés par ce constructeur de génie. S'il avait hésité un moment entre le moteur à deux et à quatre temps, il se décida pour un cycle à trois temps de son invention qu'il serait bien trop long de décrire ici et qui, de toutes façons, est protégé par tout un tas de brevets. On peut juste en dire que le système fait appel à une chambre de condensation-répulsion commandée par clapets automatiques à bi-révolution opposée.
Une fois le moteur mis au point et placé dans le morceau de cadre découpé juste là où il était le plus intéressant de le faire, Hipophraste nota que l'idéal était bien entendu d'opter pour une roue avant motrice. L'entraînement de la turbine hydraulique étant assuré par un engrenage pris sur un arbre à cames furtif placé en tête. L'entraînement de la pompe du liquide hydraulique serait, quant à lui, assuré par une autre turbine mue par la puissance des gaz d'échappement. Un système somme toute élémentaire auquel, cependant, il fallait penser.
Au terme de quinze années de travail laborieux, la motocyclette était fin prête pour parcourir ses premiers kilomètres. Au guidon de sa machine, Hipophraste réalisa un premier tour de France à une moyenne très constante qui le ramena juste à la porte du garage qu'il avait quitté douze jours auparavant. L'essai était des plus prometteurs. Aucune panne n'était venue ternir ce galop d'essai mais ceci n'empêchait pas de revenir avec un carnet empli de notes qui allaient bien servir pour encore améliorer ce prototype.
Après avoir gravi le Kilimandjaro, s'être rendu en Terre de Feu et au Cap Nord, à Kyoto et à Tokyo, à Mexico et à Anchorage, la preuve était faite que sa motocyclette était la meilleure, la plus fiable, la plus économique, la plus confortable et la plus pratique de toutes les motocyclettes jamais conçues par l'Homme. On peut, sur le document iconographique suivant, voir Hipophraste Dressingstone sur la route qui le mène au village proche où il va acheter son pain quotidien.

Photo d'époque

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