Le petit camion rouge

Nous sommes allés le voir, le petit camion rouge ! Et nous l'avons vu, le petit camion rouge ! Et même, nous l'avons essayé, le petit camion rouge !

C'est comme un vieux rêve qui se réalise. Je suis à côté du camion rouge. Les odeurs caractéristiques de cet engin réveillent des souvenirs. C'est étonnant, la mémoire des odeurs. Je reconnais la Goëlette Renault comme on reconnaît une vieille deux-chevaux à son parfum. Les véhicules récents n'ont plus cela. Le choix des matériaux faisaient que certains véhicules avaient leur odeur caractéristique. Je suis à côté du R 2067 de 1957 et il me fait bonne impression. Pendant que j'en fais le tour, le propriétaire le démarre sans même que j'y fasse attention. J'aurais aimé le faire moi-même. Il tourne bien. Mélange un peu trop riche mais le starter est mis. Je pense qu'il faudra lui offrir un réglage de carburation si jamais je le prends. J'arrive à hauteur de la porte conducteur. Je passe la tête dans la cabine. Je suis en terrain connu. Mes repères sont pris.
J'agrippe la poignée accrochée au montant de pare-brise, je pose la jambe sur le haut marche-pied et je monte dans la cabine. Je m'assieds et constate que, contre toute attente, l'assise est souple et confortable. Les avant-bras viennent se poser naturellement sur le grand volant noir. Devant moi, l'octogone regroupant les instruments de bord. Compteur de vitesse, jauge à essence, ampèremètre plus quelques voyants. Sur la planche de bord, des interrupteurs. Je saisis le levier de vitesses, le frein à main, le levier d'enclenchement de la boîte de transfert. Je redescends pour poursuivre la visite.
Le propriétaire baisse la ridelle arrière. Il me montre un plancher en très bon état (il n'y a presque plus qu'à le cirer) et m'explique deux ou trois choses. Sur le côté gauche, il me révèle le coffre à batterie et son astucieux système de tiroir coulissant. Je regarde les pneus. Des "Military" à l'aspect rustique. La face avant, avec ses phares globuleux placés haut me plaît. Sous le pare-chocs, les deux "queues de cochons" qui apportent une note sauvage à l'engin. Le côté droit montre le coffre à outils en bon état lui aussi.
Je me penche pour observer les dessous du Renault. Bon. Il semble y avoir une fuite d'huile en sortie d'arbre de boîte de vitesses. Je l'avais vue sur les photos. Le reste est conforme à ce que j'attendais. Tout va bien. Globalement, et pour un camion de bientôt cinquante ans, l'état général est plus que convenable. Deux ou trois questions plus tard, le propriétaire propose d'aller l'essayer "en situation", sur les chemins sableux dans la forêt toute proche. Mon frère et moi prenons la BMW et suivons le camion rouge. Grosse fumée noire à l'accélération au début qui disparaît rapidement. Carburation trop riche sans aucun doute. Il faudra penser à vérifier le filtre à air.
r2067
Nous sommes sur un chemin. Le Renault ronronne. On me propose de prendre le volant. Je préfère, dans un premier temps, me faire conduire. Je vais apprendre en regardant. "La deuxième craque un peu", m'avertit le propriétaire. Le fait est. On roule à un bon 20 km/h. Le confort est... spartiate. J'ai laissé mon frère avec l'appareil-photo à côté de la voiture. Je me dis que c'est pas sympa pour lui. Bon. Coup de volant à droite, on rentre dans un fossé peu profond, juste histoire d'élargir le virage et de s'engager dans un chemin transversal plus cahoteux et plus étroit. Ça secoue, ça remue, on y est. Petit coup d'accélérateur, on passe quelques bosses gentilles.
Une bosse suivie d'un trou boueux suivi d'une autre bosse. Près d'un mètre de dénivelé. En première réduite (nous sommes en quatre roues motrices), le petit 2 litres du Renault monte à l'assaut de la montagne sans peine, avale la bosse, plonge dans la rivière en crue et remonte de l'autre côté. Presque trop facile. Pour la démonstration, un petit coup de dévers, quelques franchissements. On met au point mort, on tire le frein à main et on me propose de prendre le volant. Je ne me fais pas prier.

Quand faut y aller...

Bon. Nous y sommes donc. Le pied gauche teste la pédale d'embrayage. Tant que j'ai le pied sur cette pédale, je passe les vitesses. Ça marche. Le levier de la boîte de transfert, à présent. On a beau me dire qu'il n'est pas nécessaire de débrayer pour l'actionner (à l'arrêt, tout de même), je garde le pied appuyé sur la pédale. Trois positions : pont arrière seul, prise de force et ponts avant et arrière enclenchés. OK. Je teste le jeu de la direction. Il y en a un peu mais c'est naturel... Première en bas à droite, je desserre le frein à main et d'un pied léger, sur un filet de gaz, je lève le pied de l'embrayage. Le camion manque caler, j'accélère un peu plus, il roule ! Le moteur n'est pas un monstre de puissance, on le sent. Cependant, il semble être assez souple. D'après ce que j'ai compris, pour ces engins, la Régie Nationale des Usines Renault avait choisi un carburateur Solex spécial. Sans doute pour favoriser la souplesse. Je me renseignerai mieux.
Donc, ça roule. Le volant fait ce qu'il veut sur ce chemin un peu défoncé. Il faut le tenir sans trop croire que l'on parviendra à le maintenir vraiment. OK. Quelques bosses, je passe la deuxième. Ça craque. Mince ! Hop ! Une bosse un peu plus haute. Je m'arrête presque, passe la première et escalade le truc sans plus de formalité. Je me dis tout de même que tout cela ferait bien rire le spectateur. Pour le moment, le tout-terrains se résume au passage de bosses dont un gamin se jouerait avec son vélo. Je débute !
Un passage à gué. Sans mentir, il y a au bas mot vingt centimètres d'eau. Les gros pneus en 9.00x16 passent sans problème. Je suis un héros ! Bousculé de gauche à droite, de bas en haut et d'avant en arrière, le regard perdu sur la ligne d'horizon, je tente de canaliser les ardeurs de la machine. Le volant fait ce qu'il veut, moi ce que je peux. Un peu de dévers moi aussi. Sans mentir, on doit prendre autant d'angle que lorsque l'on se stationne à mi-rue sur un trottoir un peu haut. C'est pas encore la gloire mais c'est un début. Demi-tour avec passage d'un fossé. On revient.
On parvient au gros franchissement du début. Bosse, trou, bosse. Le propriétaire me donne quelques conseils : prendre sur la droite et accélérer. Je fais ce qu'il me dit. Le petit camion rouge monte, plonge, monte... et patine. Diable ! Marche arrière. "Il faut passer plus à droite et accélérer", m'indique-t-on. Deuxième tentative, même résultat. J'essaie une fois encore et je sens le sourire amusé du propriétaire. Je lui propose de passer lui-même l'obstacle. On échange nos places. Il recule, passe la première vitesse, accélère... et passe sans plus de formalité. OK, je suis un poireau du tout-terrains.
Je reprends le volant pour revenir à la voiture. Mon frère nous prend en photo. Je tourne la clé de contact. Nous descendons. Je fais le tour du petit camion rouge. Tout semble parfait. Je procède à un examen un peu plus approfondi. Les conduites de frein sont neuves. On m'explique que les freins ont été entièrement refaits. On parle, on m'explique les divers éléments. J'ai envie d'avoir ce camion ! On se met d'accord sur le prix et je m'engage à venir le chercher bientôt.
Le propriétaire prend ses affaires restées dans la voiture, et nous le regardons partir avec son jouet...

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