Tout le monde ne le sait pas. Pour qu'elle puisse donner du lait, la vache doit donner naissance à un veau. Pour que l'éleveur puisse récupérer le lait et en extraire la crème fraîche et baratter son beurre, il doit manger le veau. Pour avoir des œufs, encore faut-il avoir des poules pondeuses. Quant à la question de la culture de champs de blé pour avoir de la farine et de betteraves sucrières pour avoir le sucre, c'est une nécessité obligatoire.
A la bonne saison, vous semez votre blé. Pendant qu'il pousse vous achetez une vache qui a donné naissance à un veau et vous apprenez à la traire. Ce n'est pas sorcier mais il convient de se méfier des coups de sabots qui peuvent se révéler douloureux. Dans le même temps ou un peu après, vous achetez quelques belles poules pondeuses de la meilleure espèce. Vous observez où elles pondent et apprenez à trier les œufs frais de ceux qui ne le sont pas. Dans un champ capable de la faire venir, vous plantez quelques belles betteraves sucrières et vous vous renseignez à la plus proche sucrerie pour les conditions d'extraction du sucre dont vous aurez besoin.
Dans quelque manuel, vous vous enseignez l'art et la manière de séparer la crème fraîche du lait. De cette crème onctueuse, vous en transformez une partie en beurre frais à l'aide d'une baratte. Votre blé blond est mûr dans les champs et c'est l'heure de la moisson. Vous apportez votre récolte au moulin qui se fera un devoir de vous transformer vos grains en belle farine. Vous en prélevez environ deux cents grammes que vous placez sur un plan de travail préalablement nettoyé. Vous creusez un puits au milieu de cette belle farine et vous y faites couler cent vingt-cinq grammes d'eau tempérée ainsi que cinq grammes de sel fin que vous aurez acheté à l'épicerie. Vous travaillez la farine, le sel et l'eau jusqu'à l'obtention du pâte un peu ferme que nous appellerons "détrempe". Vous la réservez en un endroit frais pour au moins une demi heure.
Cela vous laisse le temps d'aller chercher de beaux œufs frais du jour que vous choisirez un peu gros et au nombre de cinq très exactement. Six si vous craignez d'en casser un. Au retour, en passant devant l'étable, vous vous arrêterez pour puiser à même une bonne casserole un demi litre de bon lait frais dans le bidon à lait. De retour dans votre belle fermette au sol de pisé qui vit au rythme de la pendule et du feu qui crépite dans la cheminée, vous fendrez une gousse de vanille bien grasse de la pointe du couteau et gratterez son intérieur au dessus de la casserole de lait que vous poserez sur la cuisinière afin d'en amener le lait à légère ébullition. Dans une jatte, vous verserez cent grammes de sucre en poudre issu de vos betteraves sucrières et le jaune des œufs de vos poules. A l'aide d'un fouet, vous battrez jusqu'à blanchiment. Alors, d'un coup, vous verserez l'équivalent de cent grammes de farine tamisée avec soin et amour. Vous pouvez ajouter une pointe de sel si le cœur vous en dit. Vous mélangez intimement et commencez à verser un peu de lait vanillé tout en remuant avec énergie pour empêcher les œufs de trop cuire. Vous continuez à détendre le mélange avec le lait et puis vous reversez dans la casserole.
Pendant de longues, très longues minutes, votre main la plus habile équipée du fouet, vous pouvez laisser vagabonder votre esprit tandis que vous faites épaissir le mélange de lait, de jaunes d'œufs et de farine. Vous prendrez bien garde de ne pas oublier de remuer continuellement et en tout endroit. Le mélange commencera à épaissir et vous arrêterez lorsqu'une première bulle apparaîtra à la surface. Votre crème pâtissière sera prête et vous pourrez la réserver pour la suite.
Il est grand temps de vous occupez de votre détrempe. Vous l'étalez au rouleau et en croix en veillant à laisser une épaisseur au centre. Vous prenez deux cents grammes de beurre un peu ferme, aussi ferme que votre détrempe, et vous le placez en un bloc au centre de votre croix de pâte. Vous recouvrez ce beurre de l'une des branches de la croix et vous frappez au rouleau pour écraser le beurre. Vous rabattez la branche opposée par dessus la première et battez de nouveau à l'aide du rouleau. Vous rabattez l'une des deux autres branches restantes et battez encore. Enfin, vous recouvrez le tout de la dernière branche et battez un peu, pour la forme et pour qu'il n'y ait pas de jaloux.
Vous faites faire un quart de tour à votre pâte. Dans le sens des aiguilles d'une montre ou dans le sens inverse, comme vous préférez. Il faudra juste que vous tourniez désormais toujours dans le même sens. Avec votre rouleau, vous étalez votre pâte en un ruban aussi long que vous pouvez en avançant avec circonspection et en faisant très attention à ce que le beurre ne s'échappe pas. Allez-y avec douceur, sans trop appuyer. Vérifiez souvent que le beurre ne perce pas par en dessous. Ceci est la partie la plus délicate. Lorsque vous aurez obtenu un ruban au minimum trois fois plus long qu'au départ, vous lui faites faire un quart de tour et rabattez la pâte par tiers, le dernier recouvrant le deuxième. Là aussi, il vous faudra vous souvenir de toujours procéder de la même manière. Vous recommencez à étaler votre pâte en ruban, vous la pivotez encore d'un quart de tour, rabattez la pâte par tiers et la filmez pour la laisser reposer au frais durant une demi-heure.[1]
Vous retournez chercher trois beaux œufs en vous maudissant de n'avoir pas pensé à en prendre plus tout à l'heure. Dans une casserole, vous versez vingt centilitres d'eau, une pincée de sel et soixante-quinze grammes de beurre. Lorsque le beurre a complètement fondu, vous jetez cent grammes de farine de blé dans la casserole d'un seul coup et vous remuez fort et hors du feu avec une solide cuillère en bois. Vous devez obtenir une pâte lisse qui se détache parfaitement de la casserole et former une boule. Vous remettez alors la casserole sur un feu doux et mélangez jusqu'à ce qu'une très fine et presque imperceptible pellicule accroche aux parois de la casserole. Vous versez cette pâte dans un saladier frais et laissez tiédir.
Lorsque la pâte est tiède, vous cassez un premier œuf dedans et mélangez intimement jusqu'à totale absorption. Il faut mélangez avec vigueur et volonté. Vous ajoutez un deuxième œuf et vous l'incorporez de semblable manière. Enfin, vous ajoutez le troisième auquel vous faites subir identique traitement.[2] Vous laissez reposer cette pâte.
Vous reprenez la pâte que vous avez étalée au rouleau et tentez de vous souvenir où vous en étiez.[3] Vous étalez de nouveau votre pâte en ruban, repliez la pâte en trois, tournez d'un quart de tour, étalez encore en ruban et repliez en trois. Vous avez votre deuxième tour. Vous réservez sous film au frais pour une demi-heure.
Vous allumez votre four pour qu'il soit le plus chaud possible. Sur une plaque à four couverte de papier sulfurisé, à la poche à douille ou avec deux cuillères à café, vous formez des tas de pâte à chou plus ou moins gros selon le résultat escompté. Vous prenez bien garde de ne pas faire ces tas trop proches les uns des autres. La pâte va gonfler considérablement. Lorsque votre plaque est pleine et que votre four est chaud, vous enfournez pour une vingtaine de minutes porte fermée puis encore vingt minutes porte entrebâillée. Vous surveillez la cuisson avec attention pour que les choux ne brûlent pas[4] Une fois les choux cuits, vous les sortez du four et les laissez refroidir.
Vous reprenez votre pâte feuilletée et faites les deux derniers quarts de tour comme les fois précédentes. Vous filmez de nouveau votre pâtes et la laissez reposer au moins une demi-heure. Vos choux sont froids, vous prenez une poche à douille que vous remplissez de votre crème pâtissière et vous en garnissez les choux soit en pratiquant un trou à la pointe d'un couteau soit en perçant les choux directement avec la douille. Il faut que les choux soient bien pleins. Une fois cela fait, vous prenez un saladier et la crème fraîche et vous les placez au congélateur pour quelques minutes, au moins dix. Vous étalez votre pâte feuilletée sur une épaisseur d'environ cinq millimètres et vous découpez un cercle que vous placez sur une feuille de papier sulfurisé et sur une plaque à four.[5] Vous piquetez la surface de cette pâte avec une fourchette pour éviter qu'elle gonfle et se gondole à la cuisson et enfournez pour une vingtaine de minutes à four chaud en surveillant la cuisson[6]
Une fois que votre pâte feuilletée est cuite et refroidie, dans une casserole, vous versez du sucre et un peu d'eau pour faire un caramel blond doré. Un à un, vous plongez vos choux dans le caramel et les collez sur votre fond de pâte[7]. Vous utilisez le reste de caramel pour couvrir la tête de vos choux. Là, vous pouvez aussi garnir votre fond de pâte avec de la crème pâtissière. Je ne le fais pas. Vous sortez votre saladier et votre crème fraîche du congélateur et vous commencez à battre la crème au fouet. Dès qu'elle commence à monter en Chantilly, vous ajoutez du sucre glace. Personnellement, je juge de la quantité de sucre en goûtant. Vous continuez à battre énergiquement jusqu'à ce que votre Chantilly semble ferme comme il faut. Maintenant, vous pouvez en garnir le centre de votre gâteau. Les puristes[8] disent qu'il convient impérativement d'utiliser une douille dite "Saint-Honoré" pour garnir le centre de la pâtisserie. Je n'en ai pas. On peut le faire à la sauvage, comme moi, ou en s'appliquant avec des cuillères à soupe ou avec une poche à douille. Je pense que l'on est libre de faire comme bon nous semble. Normalement, votre Saint-Honoré est terminé.
Vous faites la vaisselle, lavez casseroles, saladier, cuillères et rouleau, poche et douilles et vous vous octroyez le plaisir de boire un verre d'eau. Enfin, vous revendez vache, poules et terres cultivables. Vous n'en avez plus besoin.