Fidèle à moi-même

Ce que j'ai fait hier, puis-je encore le faire aujourd'hui ? Fréquemment, j'en viens à douter. Il m'arrive de regarder un dessin un peu ancien et de le trouver bien et de me dire alors que le temps qui passe est une belle saloperie sans nom. Pourquoi arrivais-je donc à faire un dessin les doigts dans le nez[1] et qu'il me semble à présent fort improbable de pouvoir le réaliser ? Au fil des ans, le style a un peu changé, a évolué, plutôt[2], s'est tantôt amélioré et tantôt étiolé. Je vois un dessin et je me demande comment j'ai pu le réussir avec aisance. Alors, je me morfonds, accuse l'âge et la vieillesse galopante. C'est pas la joie.
Mais, il n'est pas impossible que ce dessin d'hier m'ait demandé bien plus d'efforts que ce que son souvenir embrumé m'en laisse penser. Peut-être ai-je tiré la langue et sué à grosses gouttes, peut-être ai-je jeté plusieurs essais. Je ne m'en souviens pas toujours, je me contente de voir ce dessin et de me dire que, putain, il était bon, ce dessinateur, dans ses plus jeunes années.
Ce qui arrive aussi et encore plus couramment, c'est que je ne peux plus voir un vieux dessin. Je le trouve moche et je le répudie. Ce n'est pas moi qui ai commis cette saleté ! C'est avec honte que je vois ces dessins, ces erreurs de jeunesse. Je les cache, ne les montre qu'à contre cœur, prétends que j'avais la scarlatine doublée d'une atteinte infectieuse des méninges, que j'avais perdu la vue et l'usage de mes mains. J'ai honte, je renie, je deviens un vrai révisionniste.
Je ne suis pas le dernier à me moquer des premiers Tintin, Astérix ou Gaston Lagaffe. Qu'est-ce qu'ils dessinaient mal, ces Hergé, Uderzo ou Franquin ! Le talent en moins, je suis un peu comme ces maîtres. Il y a nécessairement un temps durant lequel il faut inventer son personnage. On ne le tient pas du premier coup. D'abord, il faut poser les grandes lignes. On sait qu'il sera comme ci et comme ça, qu'il bougera de telle ou telle manière. Ce n'est qu'après coup que l'on parvient à le maîtriser et à en faire ce que l'on veut.
Un temps, j'ai eu à faire vivre un personnage décliné dans une multitude de situations. J'ai dû le dessiner près d'un millier de fois. Les derniers dessins étaient, à mes yeux, indéniablement meilleurs que les premiers. Je n'ai jamais réussi à comprendre comment des collègues pouvaient ne pas voir de différence entre ces premiers dessins et les derniers. C'était pour des cartes postales et il arrivait que l'on recycle les dessins, par exemple pour faire des "cartes doubles", un dessin sur la première page, un autre sur la troisième d'un "carnet" de quatre pages. Ces collègues n'hésitaient pas à piquer un dessin ancien et de le mettre avec un dessin récent. Ça me mettait hors de moi. J'aurais souhaité que l'on brûlât les vieux dessins, que l'on ne les utilisât plus jamais. J'avais proposé, sans succès, de refaire les plus anciens hors heures de travail. On m'a refusé cette grâce. Plusieurs fois, j'ai failli mourir de honte.

Hier, j'avais du temps à perdre. Je réparais un ordinateur[3] et devais rester à ses côtés durant la réinstallation du système et restauration des données. A un moment, je suis retombé sur le dessin du motard pirate que j'avais fait il y a peut-être quatre ans de cela. Je me suis demandé si je serais capable de le refaire aujourd'hui. J'ai essayé. J'ai voulu lui rester fidèle, conserver l'esprit, ne pas le reproduire exactement, plutôt l'améliorer. C'est un exercice auquel je ne me prête pas souvent.

Pirate de la route


première version

Notes

[1] oui, les vingt

[2] si tant est que style il y a, bien sûr

[3] qui fonctionne puisque c'est depuis lui que je rédige ce billet

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