Détourner les Français de l'automobile

J'ai beaucoup réfléchi. Ma cervelle a approché l'affolement de soupapes. J'ai mis à contribution l'intégralité de mes capacités à penser et je pense que le résultat est fructueux. J'ai trouvé la solution !
Quel est le problème, au fond ? Le problème, c'est l'automobile et, d'une manière plus générale, l'idée même du véhicule individuel à moteur à combustion interne. Le Français ne veut pas payer le carburant trop cher. J'entends cela mais, excusez-moi de devoir le dire, le Français est un sot. Plutôt que pleurer sur l'augmentation du coût du litre de gazole ou d'essence sans plomb, ne ferait-il pas mieux de cesser d'acheter ce carburant qui part immanquablement en fumées nauséabondes, délétères pour la planète et la santé ? Faut-il qu'il soit peu disposé à la chose intellectuelle pour n'y avoir pas pensé de lui-même, le Français ! Heureusement, je suis là.
Mais, me demandera ce bête Français, comment aller au travail ? Comment aller à l'hypermarché ? Comment aller à la mer ? Sot ! Sot ! Sot ! Ah ! Français à l'étroitesse d'esprit digne des pires étrangers ! Ah que je te plains ! Ah que je ne peux te pardonner ta coupable paresse intellectuelle ! Ne comprends-tu donc pas que tu fais fausse route ? Faut-il que tu m'aies attendu ? Que je vienne dessiller ta vision basse et obtuse ? Et si je n'avais pas été là ? Hein ? Comment peut-on vivre ainsi durant tant d'années dans l'attente de l'être providentiel, du miracle qui arrivera et expliquera tout ? Enfin ! Je suis là !
Donc, j'ai réfléchi et j'ai trouvé. Il faut détourner le Français de l'automobile, le dégoûter de cette machine infâme et coûteuse. Car que sont les services que peuvent rendre ces automobiles face aux dépenses qu'elles imposent ? Réfléchons-y et tirons le bilan idoine. A tête reposée, calmement, sereinement. L'automobile pollue, l'automobile coûte, l'automobile tue, l'automobile agace, l'automobile questionne. Et en contrepartie ? Elle ne permet rien de plus que de se rendre à plusieurs kilomètres et de revenir au point de départ. Est-ce bien raisonnable ? Qu'alliez-vous faire là-bas que vous n'auriez su faire ici ? Et si, imaginons la chose, vous êtes tellement mieux là-bas qu'ici, pourquoi n'iriez-vous pas y établir vos pénates ?

L'automobile, les problèmes sans les solutions

Je connais des personnes qui dépensent plus de la moitié de leurs revenus dans l'automobile. Il faut acheter le véhicule, il faut changer le certificat d'immatriculation, l'assurer, le nourrir en carburant, l'entretenir, vidanger son huile et changer ses filtres et ses pneumatiques, payer les péages et le stationnement, le contrôle technique et les révisions, les amendes et tout un tas d'autres choses dont on se passerait bien.
Et pourtant, tous les automobilistes ne sont pas des déficients mentaux. Il y en a même des biens. Seulement, ils oublient de penser. Pire, ils refusent de le faire. Ils rechignent à ouvrir les yeux et à observer leur automobile avec les yeux connectés à leur bon sens. Parce que, franchement, c'est laid, une automobile. Une motocyclette encore plus, certainement, mais, par chance, il y en a moins à combattre. L'automobile est une agression visuelle, olfactive et sonore. C'est avant tout un amas de métaux et de matières plastiques plus ou moins habilement maquillé sous une couche de peinture et derrière quelques accessoires en "enjoliveurs" au goût plus que douteux. Les constructeurs et leurs services de communication ont tellement bien œuvré qu'il en est aujourd'hui pour s'extasier devant la "beauté" d'une automobile, se ravir des courbes arrondies et des lignes élancées, de la largeur des pneumatiques et de la forme des feux arrières. Vraiment ? Franchement ? En toute objectivité ? Vous ne sentez pas, confusément, qu'il y a quelque chose de dérangeant dans tout ça ? Vraiment ? C'est beau ces trucs montés sur des pneumatiques plein d'accessoires et d'équipements disparates chargés de cacher la misère ? Vous me faites de la peine.
On ne vous aurait pas dit que c'était beau, vous ne l'auriez pas deviné. Reconnaissez-le, au moins. Avez-vous conscience que l'on s'est infiltré dans votre esprit pour vous faire accepter l'inacceptable, l'inepte ? Vous êtes victime de la publicité. Pouvez-vous mettre au même niveau la statuaire grecque et la dernière née de l'industrie automobile ? Où sont les artistes qui ont décidé que le plastique peint en rouge, que les chromes étincelants, que les jantes en alliage étaient tombés dans le domaine du "beau" ?

"Oui mais, l'automobile, c'est pratique"

Pratique pour quoi ? Pour remplir le coffre de saloperies achetées dans des magasins stupides ? Pour aller perdre son temps au boulot ? Pour risquer l'accident mortel ? Pour craindre les radars ? Pour bouillir dans les embouteillages ? Pour faire grise mine face à la facture brandie par le garagiste ? Pour épuiser les réserves de pétrole ? Pour pourrir l'atmosphère ? Pour écraser les hérissons ? J'ai beau chercher et faire des efforts, je ne vois rien de bien indispensable dans l'idée de l'automobile particulière.

Pour certains, l'automobile est un marqueur social. Ils se donnent l'impression de se grandir, de s'élever dans la société en possédant un truc qui roule. Ils se pensent l'égal des grands en achetant une automobile d'une marque un peu prestigieuse, ils croient tutoyer le PDG ou le décideur. Notons tout de même que jamais on a entendu parler d'un phare de la pensée qui se serait fait remarquer par la "classe" de son automobile. Oui, d'accord, peut-être Françoise Sagan. Sait-on si Sartre avait une automobile ? Sait-on ce que conduit tel grand écrivain ? A-t-on vu tel prix Nobel dire sa fierté de posséder une automobile ? Tout au plus, dans l'actualité récente, a-t-on entendu parler de Trump enfumant la cour du palais de l'Elysée avec son automobile blindée. Il n'y a pas de quoi être particulièrement fier.
Que l'on puisse avoir la nécessité de se déplacer, ça peut se concevoir. Il faut juste comprendre que le véhicule personnel n'est pas l'unique solution. En premier, pourvu que vous ayez été bien conçu, dans les règles de l'art, vous avez des pieds. On peut aller loin avec deux pieds fonctionnels. Nous passons sur le recours aux animaux et nous intéressons à la bicyclette. Ce n'est pas mal mais c'est assez fatigant dans les montées et ça ne protège pas bien de la pluie. La téléportation n'est pas encore au point et rien ne permet de dire si elle le sera un jour. Ça semble assez compliqué et poser tout un tas de questions complexes.

L'automobile, un moyen de locomotion très moyen

Plus des trois quarts de la population française vit en ville ( données de 2012 — Source ). Pour ces personnes et même si ces services demandent à être améliorés et complétés, il y a les transports en commun. Pour les autres, on peut éventuellement envisager que l'on puisse encore être obligé d'utiliser un véhicule personnel pour se rendre à une gare, à un parking desservi par des navettes, un tramway, des bus. Mais dans le fond, l'idéal serait que ces personnes n'aient pas à se déplacer du tout. L'idéal n'étant pas à portée de main, on peut accepter les déplacements sur un faible rayon. Ainsi, les automobiles seraient limitées à un maximum d'une dizaine de kilomètres. Il faudra aider à la réinstallation de commerces en zone rurale et dans les centre-villes. Des systèmes de livraison à domicile seront mis en place.
Ainsi mes amis, je vous en conjure. Je sais que mon message a été entendu, je sais votre prise de conscience, je vous sais désormais convaincus. Aussi, vous qui avez de vieilles automobiles, des Bugatti, des Delage, des Delahaye, des Ferrari ou des Porsche, des Citroën ou des BMW, confiez-les moi ! Je saurai les soustraire à vos regards, je saurai vous aider à faire pénitence, à expier vos péchés. Pensez à faire le plein de carburant et à gonfler les pneus.

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