Du patrimoine faisons table rase

Pas plus que les centres-villes historiques, les bourgs ancestraux ne sont compatibles avec les exigences et besoins multiples de notre 21e siècle si moderne, si enthousiasmant, si émoustillant. Cette réflexion un peu iconoclaste à même de mettre en berne le moral d'un Stéphane du nom est née d'un constat froid et formel éloigné de toute sensiblerie excessive et de passion ridicule. Je ne vais pas ici énoncer l'ensemble des difficultés engendrées par ces ruelles tarabiscotées, ces venelles tordues, ces bâtiments enchevêtrés[1]. Les transports en commun ne peuvent pas évoluer dans ces artères trop étroites, les véhicules de secours aux biens ou aux personnes ne peuvent pas se frayer un chemin, les services de livraison ne peuvent pas pénétrer, les habitants ne peuvent pas stationner leur véhicule à proximité de leur logement. De plus, rien ne semble organisé pour que l'on trouve aisément une adresse et cela est un réel embarras et un perte de temps certaine pour nombre de gens.
On ne sait pas à quoi pensaient les bâtisseurs des temps anciens, on reste étonné de leur manque patent de discernement et d'organisation sommaire. Bien sûr, nous le savons, l'Homme du passé était bien moins doté en intelligence que nous. L'Homme d'autrefois était couramment frustre et peu enclin à l'usage d'outils modernes tels ceux que nous avons inventés pour notre plus grand bonheur. Nous ne les blâmons pas, ils sont fait comme ils ont pu avec les moyens du bord. Heureusement, nous avons évolué de belle manière et c'est à nous, aujourd'hui, de gérer ce passé obsolète hérité de ces ancêtres archaïques au cerveau trop limité pour imaginer un présent égal au nôtre.
Peut-être, ça peut être discuté, faut-il respecter ces gens des temps obscurs et obsolescents. Il existe des passéistes pour qui hier est mieux que demain et qui n'entendent rien au concept de progrès. D'un œil torve au blanc jaune de trop de mauvais alcools, ils n'envisagent l'outil informatique que d'un regard soupçonneux et hostile plutôt que d'y reconnaître les opportunités manifestes offertes par la technique. Se déclarant résistants, ils bichonnent et collectionnent des objets anciens, parfois même des compagnes ou compagnons du même âge, préfèrent une technologie anachronique à une petite merveille contemporaine, traînent des pieds, rechignent, geignent et, finalement, réussissent à enquiquiner tout le monde en freinant un peu la marche vers une modernité qui piaffe d'impatience.
Un pouvoir politique réellement engagé dans l'explosion d'un monde toujours plus moderne et efficace n'hésiterait pas à prendre des mesures d'importance visant à réprimer toute vaine tentative de ralentir cette course en avant. Ce n'est pas que je sois pour un état totalitaire et trop répressif mais tout de même, convenez-en avec moi, il y a un temps pour rigoler et un temps pour avancer. Les minutes de rigolades qui ont été généreusement imparties aux empêcheurs de marcher en avant sont désormais écoulées. Il est grand temps de mettre en action un programme ambitieux qui fera entrer le pays, le continent, le monde entier, dans l'ère contemporaine. Les opposants auront eu le temps nécessaire aux revendications, il faut, à présent, agir et vite.

D'abord, nous raserons les quartiers anciens, les maisons d'habitations énergivores et peu pratiques, les vieilles pierres, les façades d'un autre âge. Sur ces lieux nus et propres, nous reconstruirons d'une manière scientifique, calculée, efficace, rationnelle en tenant compte des impératifs du réchauffement climatique et des besoins des futurs habitants. Le territoire sera divisé en secteurs d'activité et de production en tenant compte non seulement des besoins mais aussi des configurations imposées par la "nature". Les ports seront plutôt à proximité des côtes maritimes, les espaces de production agricole là où il y aura de la bonne terre et de l'eau en quantité suffisante, les inactifs, chômeurs, retraités, malades et handicapés là où ils ne dérangeront personne, l'industrie en Chine, etc.
Les élites ne seront pas oubliées et elles seront réunies en un territoire idéal pour maintenir leurs capacités cognitives au meilleur niveau. Il faudra qu'il ne fasse ni trop froid ni trop chaud, il faudra que le paysage soit suffisamment inspirant et reposant, calme et tranquille, harmonieux et agréable. Des axes de communication permettront à ces élites de recevoir ce qui leur sera nécessaire pour vivre dans le confort qu'ils méritent. Les travailleurs seront maintenus à une distance respectable afin que le bruit de leurs activités diverses ne viennent pas les distraire dans leurs travaux intellectuels.
Lorsque l'ensemble des vieilles cités, des villages cacochymes, sera rasé, les gravats[2] serviront à combler les vallons afin de constituer au mieux de grandes étendues plates en vue de permettre le tracé de routes droites et de supprimer les côtes conduisant à de regrettables hausses de consommation de carburant. Ainsi, dans la même idée, certaines collines seront arasées. Cette nouvelle géographie du pays conduira à plus d'égalité pour tous en matière de pression atmosphérique. Ce dernier point indique au passage combien les dirigeants du pays sont à l'écoute des attentes du peuple. Cette demande d'égalité a souvent été entendue lors des consultations citoyennes menées dans les régions. Dont acte.
Bien entendu, afin d'atteindre les objectifs suggérés par les experts et de réduire l'empreinte carbone d'une façon marquante et conséquente, la population devra être réduite de 72,3%. Il y aura des larmes, des lamentations et des jérémiades mais nous nous engageons à faire vite et bien dans le respect du droit à mourir dans la dignité. D'ores et déjà, nous souhaitons ici nous associer au chagrin des familles et nous instaurons une journée nationale de mémoire pour les glorieux disparus.


Sinon, vous l'aurez compris, je suis de retour. Tout à l'heure, j'ai remarqué que l'huile d'arachide commençait à figer dans sa bouteille, dans la cuisine. Alors, au risque de passer pour une mauviette mais en me disant qu'il n'y aurait personne pour saluer ma détermination à l'heure de mon trépas frigorifié, avec un peu de honte et beaucoup de remords je me suis enfin décidé à allumer le chauffage. A titre indicatif, le thermomètre annonçait six petits degrés. Cela m'a permis d'apprendre que l'huile d'arachide commence à figer vers cette température. Je ne sais pas bien à quoi ça peut servir de le savoir mais c'est toujours ça de pris.

Notes

[1] Correction du Prof Turbled. Merci à lui.

[2] Initialement mal orthographié mais bien corrigé par la grâce de Tournesol. Qu'il soit béni

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