Comme une gueule de bois

Hier, je suis allé voter et puis je suis allé me promener. Pour dire la vérité, je n'ai pas suivi la soirée électorale avec beaucoup d'intérêt. Lorsque j'ai entendu, peu après 19 heures, que le FN était majoritaire dans bien des régions, je n'ai même pas réagi. C'était attendu, annoncé.

Il m'a appelé ce matin pour me dire que, hier, il n'est pas allé voter. "Il", c'est un copain. Il n'est pas allé voter parce qu'il n'en n'a pas eu envie. Je le sais de droite. Il n'aurait, de toute manière, pas voté à mon idée. Bon. Il me dit qu'il n'est pas allé voter parce que l'autre jour, nous avions eu une discussion et que nous étions tombés d'accord sur le fait que, malgré tout, il était important d'aller voter. Et puis, en discutant au téléphone, ce copain qui se dit gaulliste commence à déverser un torrent de reproches formulés contre l'Europe. Une Europe responsable du chômage, de la fermeture des entreprises, des délocalisations. Mais aussi une Europe responsable de l'immigration. Il y a trop d'étrangers. Des étrangers qui nous prennent le travail, qui sont la cause du chômage. Des étrangers qui ne travaillent pas et qui touchent des allocations chômage ou des aides de toutes sortes, des étrangers qui ont des logements alors que les Français n'en obtiennent pas. Des arabes, majoritairement. Et des noirs, aussi. Il en connaît. Ou bien on lui a raconté. Il connaît des gens qui savent, qui lui ont dit. S'il était allé voter, il aurait voté Marine. Mais quand même, non, il n'est pas FN. Il est gaulliste. Il n'est pas raciste. Il trouve que les étrangers doivent aller chez eux et que la France doit rester la France et que l'Europe, c'est que plus d'argent pour les riches et plus de pauvreté pour les autres. Il est contre l'Europe. Il ne voit pas à quoi ça sert, l'Europe. Et puis, il est contre Hollande et contre Sarkozy, aussi. Il n'y a plus de gaullistes. Sauf lui et quelques autres, tout de même. Il n'est pas allé voter. Il me demande de lui assurer que l'on votera bien en 2017 pour les présidentielles. Là, il ira voter. Pour qui ? Il hésite. Pour Marine ? Je lui demande. Une hésitation. Un silence parlant. Oui. Il votera Marine. Oui.
Marine, c'est pas son père, qu'il me dit. Et puis, il faut leur donner leur chance. On a tout essayé. La droite et la gauche. Pas l'extrême-gauche, que je lui dis. Il me parle de Poutine, de Staline. Il dit qu'il peut pas voter communiste. Je lui dis que l'extrême-gauche, ce n'est pas les communistes. Il me dit qu'il n'aime pas Mélenchon. Je ne lui donne pas tort. Je ne l'aime pas beaucoup non plus. Alors qui ? Je n'ai pas de réponse. N'empêche, ça le choque, le score du Front National en Dordogne et en France. Il me dit que ça ne veut pas dire que la France est un pays de racistes-fascistes-nazi. Et il me dit que Marine, c'est pas Adolf. Lui, il n'aime pas les arabes mais il n'a rien contre les juifs. S'il en connaît, des juifs ? Non. Enfin il ne pense pas. Il ne sait pas. Mais "eux", ils s'entraident. Ils se serrent les coudes. Ils sont moins cons que nous.

Pendant plus d'une demi-heure, il me raconte ses trucs. Des propos décousus. Il mélange tout, il s'excuse, se justifie, argumente. Il ne me demande pas pour qui j'ai voté. Il s'en fout. Il sait que je vote "à gauche". Pour lui, je ne me rends pas compte du malheur. Je lui fais remarquer qu'il gagne plus que moi, qu'il a une vie pas si difficile, qu'il a un toit assuré sur la tête, de quoi manger à coup sûr. Il a un boulot, une voiture, une maison. Mais ça ne fait rien. Il sait qu'il faut arrêter avec l'Europe et l'immigration. Après, ça ira mieux. S'il faut sortir de l'euro ? Quelle question ! Evidemment ! Et acheter français. Et produire français. Et manger français. Là, il explique que des fois, on mange alal sans le savoir. Moi je le laisse parler. Je suis atterré. Je laisse dire. J'essaie d'écourter. Quelques fois, j'essaie de contrer, de lui faire comprendre qu'il dit des conneries. Il ne m'écoute plus depuis longtemps. Il cherchait une oreille dans laquelle déverser ce qu'il avait envie ou besoin de lâcher. Ça a été la mienne. Un moment, je me demande s'il ne me ment pas, s'il n'est pas allé voter et qu'il n'ose pas l'avouer.
A l'heure où l'on apprend que Coppé a, à travers la société Bygmalion, permis des dépassements de frais de campagne pour les dernières présidentielles au nom de l'UMP, à l'heure où les socialistes pleurent leur score aux dernières élections alors qu'ils n'ont pas encore séché les larmes des municipales, à l'heure où les autres partis se contentent de taper sur le FN, à l'heure où l'on nous dit que la France va mal et qu'il faut faire des efforts, je ne suis pas le dernier à ne plus réellement comprendre ce qu'il faut faire et s'il y a encore un parti politique ou des idées politiques à soutenir. On glisse vers la grosse désillusion et il n'y a plus grand monde pour proposer des idées réalistes et compréhensibles.
La victoire du FN n'est sans doute pas le cataclysme auquel on veut nous faire croire. Pas pour le moment du moins. Je n'ai pas grand chose à raconter à propos de ce scrutin. Je ne sais pas si vous, vous avez quelque chose à exprimer à ce sujet.

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