On ne peut pas aller contre son destin aussi funeste soit-il

On dirait que je suis condamné à ça. C'est comme une malédiction, comme un sort que m'aurait jeté une vilaine fée penchée sur mon berceau et laissant échapper un filet de salive corrosive de sa bouche malodorante et édentée. Je n'en sortirais jamais. C'est mon destin de devoir supporter cela et de ne pas pouvoir m'extirper de cette infamante infortune.
Je m'étais bien promis que cette fois j'en avais terminé avec ces saloperies de dessins de motos. Marre, plein le cul de ces conneries. J'ai touillé le problème dans le dedans de ma tête avec les doigts, j'ai malaxé ces entrailles molles, j'ai fait de la bouillie de tout ça dans l'espoir vain que ça me changerait les idées, que ça en amènerait d'autres, que ça supprimerait celles déjà présentes, au moins. Mais que dalle ! Rien à faire. Macache. Elles sont toujours là, ces saloperies de motos. Je fais des efforts, pourtant. Je refuse de dessiner. Je jette les feuilles dès lors qu'un semblant de début de dessin de moto pointe le bout de son nez. Ça ne marche pas. Je n'arrive pas à dessiner quoi que ce soit d'autre. Ou alors, il faut que ça aille vite, que je me concentre beaucoup, avec intensité. Ne pas me laisser faire, ne pas permettre à la moto d'apparaître, refouler les motos qui se pressent au portillon. Leur filer un coup de Kalachnikov dans les gencives, aux bécanes ! Zou ! Elimination totale. Douze balles dans la peau de détente et que les roues pètent !

J'écoutais du Bob Dylan. Les tout premiers albums. Je me suis laissé avoir comme un bleu. J'ai vu une feuille de papier débarquer devant moi, sur le plat de la table. J'ai vu le porte-mine s'agripper à ma main droite. Je l'ai vu de mes yeux vu ! J'ai vu cette main faire des arabesques absurdes et gommer et recommencer. Et l'harmonica de Robert qui me vrillait les oreilles ! J'ai mis un autre disque et j'avais un pinceau en main. Un pinceau qui allait barboter dans l'encre noire comme mon âme révulsée de voir ce qui se passait. Impossible de me raisonner, je suis allé au bout. J'ai bu la lie jusqu'à la dernière goutte.
En plongée, je voyais cette moto couchée sur le papier qui avait été blanc immaculé. Je voyais le pinceau empesé d'encre sèche. Je voyais l'étendue de la catastrophe et je fus pris d'un grand élan de déprime. Je me suis levé pour aller laver le pinceau à l'eau tiède et au savon de Marseille. Je suis revenu à la table et le dessin était toujours là. J'ai mis un disque de Babx parce que j'aime bien ce que fait ce garçon et je suis allé numériser le dessin en me disant que, bah ! Après tout ! Cela n'aura pas été totalement inutile, en fin de compte.
Je suis face à l'écran de l'ordinateur. La fumée de la cigarette me pique les yeux et je suis en mode "écriture automatique". Les doigts courent sur le clavier à la vitesse de ma pensée. Je tape ce que j'entends dans ma tête. J'ai appris à taper assez vite pour suivre ce rythme. A côté de moi, j'ai branché un radiateur à bain d'huile qui délivre son content de calories. Il est déjà plus de 17 heures et je me demande bien ce que je pourrai me faire à manger ce soir. Je ne manque pas, j'ai plein de trucs plus ou moins frais, pas trop pourris, à bouffer. C'est l'envie de cuisiner qui manque, le plus souvent. Envie de se remplir le bide d'une nourriture pas compliquée, facile à préparer et à ingérer. Rapide et mangeable. Sans plus.

Encore un motard heureux

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