Si j'avais un marteau

Si j'avais un marteau, si j'avais le goût à cela aussi, je passerais volontiers mon temps à faire éclater la boîte crânienne de mes congénères, sans distinction de sexe, d'origine sociale ou géographique ou d'âge. Il y en aurait pour tout le monde. J'essaierais de faire cela proprement, de casser l'os d'un bon coup bien précis et j'éviterais de faire trop souffrir. Je m'arrangerais à ce que les dégâts ne soient pas trop importants, toutefois, histoire que les familles puissent se recueillir sans trop de pleurs sur le corps sans vie de la dépouille. Dans la mesure du possible, je travaillerais gracieusement, juste pour le plaisir et pour passer le temps. J'accepterais certainement les travaux sur commande. On pourrait m'amener les personnes sur qui opérer mes talents d'éclateur d'os pariétal. J'agirais avec professionnalisme dans les règles de l'art. J'aurais la satisfaction du travail bien fait et celle de la reconnaissance de mon savoir-faire.
En fait, le marteau, je l'ai. J'en ai plusieurs, des petits et des déjà assez gros. J'ai même une masse qui est une sorte de gros marteau mais avec un manche plus long qui pèse trois kilogrammes, il me semble. C'est un outil très efficace mais qui manque de précision. Par exemple, on n'utilise pas une masse pour enfoncer un petit clou ou une fine pointe dans un matériaux délicat. Ce n'est pas que ce soit vraiment impossible de le faire. En s'appliquant, je suis même certain que j'arriverais à enfoncer une aiguille dans un œuf cru avec une telle masse sans briser la coquille. Il faudrait que je tente l'expérience, pour vérifier.
Des marteaux, j'en ai au moins cinq. Si je voulais me lancer dans le métier d'éclateur de boîte crânienne, je ne sais pas lequel j'utiliserais. Il me semble qu'il en faudrait un suffisamment lourd. Je n'ai jamais eu l'occasion de m'essayer à cet exercice et la chose semble être assez mal documentée sur Internet. Je n'ose pas aller dans un magasin de bricolage pour demander son avis à un vendeur. Je pressens qu'il y aurait incompréhension et sourire gêné. Et même, si j'insistais un peu trop pour obtenir ce renseignement qu'il me semble légitime de rechercher dès lors que l'on veut épouser ce métier, il est à craindre que l'on m'inviterait à m'expliquer longuement et péniblement dans un bureau aux murs lépreux dans un commissariat ou une gendarmerie.
C'est que, de la même manière que je ne sais quel marteau conviendrait au mieux, je ne suis pas certain que ce métier qu'il me plairait d'épouser existe vraiment et soit répertorié en tant que tel dans une classification officielle des métiers d'arts ou, plus simplement, artisanaux. Estourbisseur de bovin, d'ovin ou de porcin au sein d'un abattoir dûment enregistré, ça oui, ça existe mais éclateur de crâne appartenant à un être humain vivant, c'est moins certain. Pourtant, je suis sûr qu'il y a une demande pour cela et qu'il existe de vrais débouchés pour qui voudrait se lancer dans cette activité qui, en plus de ne pas demander d'investissements trop lourds, ne nécessitent a priori pas de compétences particulières. C'est tout juste s'il convient de reconnaître une tête d'un autre organe ou élément du corps humain. Pas besoin d'avoir fait sa médecine pour ça !
Non, le seul point délicat que j'entrevois, c'est qu'il ne doit pas être gagné par avance de trouver des clients volontairement volontaires pour se faire casser le gros os de la tête. En fait, ça revient un peu à trouver des personnes qui acceptent de se faire tuer, si on y réfléchit bien. C'est bizarre combien les gens semblent attachés à leur vie. Pourtant, hein, souvent, ces gens ont une vraie vie de merde. Qu'est-ce qu'ils peuvent encore espérer ? Quel que soit leur âge, il est prévisible qu'il continueront encore à vieillir durant quelque temps et que ça finira par s'arrêter, d'une façon plus ou moins désagréable. Je reconnais que certaines personnes peuvent s'illusionner et penser que leur vie vaut le coup d'être vécue. Je ne peux rien pour elles.
Je suppose parce que la mort est la dernière grande inconnue de toute vie qui se respecte, la toute dernière aventure à vivre, celle qui viendra mettre un terme à tout ce qui nous est connu, qu'elle nous fait peur ou nous inquiète ou nous fascine ou nous questionne. L'autre jour, sur Internet, je suis tombé sur une vidéo que je n'ai pas pu regarder jusqu'au bout tellement je l'ai trouvée bête et agaçante. C'est une vidéo faite par un jeune homme, d'une vingtaine d'années, je dirais, qui disais combien il croyait à l'histoire de la vie après la vie. Et ça m'a rappelé un bouquin que j'ai lu il y a longtemps, d'un certain docteur Raymond Moody, dans lequel l'auteur raconte des expériences de, comme on dit, mort imminente. Ce bouquin a dû bien se vendre. Ça raconte des témoignages de personnes qui disent presque toujours la même chose. Vous savez, la lumière blanche au bout du tunnel, l'impression de voler au-dessus de son corps, de voir les médecins ou les soignants, d'entendre leurs conversations et toutes ces sortes de choses. J'étais jeune adolescent lorsque j'ai lu ça et, je l'avoue, ça m'avait bien plu. Je trouvais cela assez fantastique. Pour autant, ça ne m'a pas fait croire à une forme de vie qui surviendrait après la mort. Du moins, je ne me souviens pas de cela. J'avais lu cela un peu comme on lit un bouquin de science-fiction, un roman.
Que l'on croit à un retour dans un autre monde, dans un univers parallèle ou que l'on croit à une réincarnation sous une autre forme et dans un avenir plus ou moins proche dans notre monde connu, ce que je trouve très amusant c'est bien qu'il y a la certitude qu'il y a une réelle promesse pour que la vie suivante soit meilleure, follement plus passionnante et exaltante. Jamais personne ne va penser qu'il pourrait revenir dans une vraie vie de merde encore pire que celle qu'il a quittée. Et puis, il y a un biais auquel ne semble pas avoir réfléchi les gens qui croient à une réincarnation dans notre monde, sur notre planète. C'est que l'on sait que ni notre planète ni notre soleil ne sont éternels. Il arrivera forcément un moment où ces personnes reviendront dans une immensité vide de vie. Enfin bon, c'est leur problème.
Pour d'autres, la solution est de croire en l'existence d'un dieu et d'un paradis qui va avec. Et aussi d'un enfer, oui, mais que pour les très méchants, bien sûr. Là, la promesse n'est pas de revenir vivant mais de "vivre" comme un esprit sain et passablement désincarné, sous la forme d'un "esprit". Pour faire quoi ? Mystère. Pour longtemps, par contre. Jamais je n'ai entendu dire que ces esprits envoyés au paradis disparaissaient. C'est assez plaisant de se dire que l'on pourrait rencontrer l'esprit de ses ancêtres et des ancêtres de ses ancêtres. Si l'esprit des animaux n'est pas accepté et si tant est que les animaux ont bien un esprit, je me demande bien quels seront les plus lointains ancêtres que l'on pourra rencontrer. Peut-être bien que ce seront Adam et Eve ! Là, ça niquerait bien les Darwin et autres rigolos !
Après, penser qu'il n'y a rien après la mort, que ça serait comme un interrupteur qui bascule, c'est sûr que ce n'est pas très séduisant. On peut légitimement se demander à quoi ça peut bien servir que les générations se succèdent, comme ça, sans réel but, sans que l'on puisse connaître la suite du feuilleton, sans aucun chance d'avoir le fin mot de l'histoire. Sans doute faut-il juste accepter qu'il n'y a justement aucun but. Si l'on admet que l'apparition de la vie sur la Terre et l'évolution qui a conduit à ce que nous connaissons actuellement, le long cheminement qui fait que nous sommes en 2015 de notre calendrier avec la vie actuellement en cours sur la planète, n'est qu'un heureux hasard sans but spécial, on pourrait justement s'en réjouir. Ça nous indique bien que rien n'a d'importance pour nous que l'instant présent et que c'est tant mieux si l'on peut y trouver de l'intérêt et du plaisir. Vivre le moment présent sans s'occuper de demain et de la fin, tant que c'est possible, je pense que c'est la bonne attitude à choisir. Il est sûr que dès lors que la vie n'apporte rien en terme de plaisir, c'est plus difficile à avaler.
Hum. Je me suis encore égaré. Qu'est-ce que je racontais, déjà ? Ah oui. Le marteau. Je ne sais pas pourquoi je me suis mis à parler de ça. Je vous assure que je n'ai pas écouté de Claude François. Je n'ai pas non plus utilisé de marteau dans la journée. En fait, j'étais en train d'essayer de dessiner et je me rendais compte que je n'arrivais à rien et que c'était foutu. Alors, j'ai eu comme un accès de dépression. Je me suis dit que plus jamais je n'arriverai à dessiner, que je ne suis qu'un gros nul et que, dans le fond, autant l'accepter, bien baisser les bras et passer à autre chose, changer d'orientation professionnelle, devenir éclateur de tête, par exemple.

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