Sous contrôle

J'allais à la ville pour y faire diverses choses. Quand je parle de ville, j'en fais peut-être un peu trop. Disons plutôt que j'allais au gros village le plus proche du petit mien. Quoi que c'est un abus de langage que prétendre que le village où j'habite m'appartient. Non. Bon. Ça commence mal, ce billet. Je reprends.
J'étais parti de chez moi au volant du fourgon blanc pour aller faire diverses choses au gros village le plus proche. Si j'avais pris le fourgon plutôt que la voiture, j'avais une bonne raison. J'avais l'intention de faire le plein de gazole. En effet, la dernière fois que je l'avais utilisé (le fourgon, pas le gazole[1]), je m'étais aperçu que la jauge de carburant était au plus bas. Une petite lumière rouge éclairait joyeusement le tableau de bord.
Il faisait beau et chaud et nous étions en début d'après-midi. Disons qu'il était quelque chose comme pas tout à fait 15 heures, pour être précis. En arrivant au carrefour du gros village dont je parle au début, j'aperçois deux motos de la gendarmerie nationale équipées chacune d'un gendarme habillé de pied en cap du costume concocté par on ne sait quel tailleur facétieux. Parce que le feu tricolore est au vert, je traverse le carrefour susdit non sans jeter un œil quelque peu moqueur aux représentants des forces de l'ordre. En fait, je regarde plutôt les motos bleues d'origine extrême orientale. Bien sûr, je m'en doutais un peu, les braves gendarmes maintenant motorisés enfourchent leur monture et me rattrapent vite fait bien fait pour m'intimer très bientôt de m'arrêter en bord de chaussée.
Moi, ça ne m'arrange pas de m'arrêter de ce côté de la rue. J'avais justement l'intention de tourner de l'autre côté. Mais bon, que vouliez-vous que je fasse ? Je n'allais tout de même pas m'essayer au délit de fuite ou au refus d'obtempérer au risque de représailles dantesques ! Je tiens à ma vie. Un peu.
Un fier et solide gaillard s'invite à la hauteur de la porte gauchière du véhicule dont je tiens le volant. "Bonjour Monsieur, Gendarmerie nationale", me dit-il sans l'ombre d'un sourire. Il me demande de lui présenter mon permis de conduire. Un peu gêné, je lui tends les quelques morceaux de papier rose en ma possession. Ça ne lui plaît pas trop qu'il soit dans cet état, mon permis. Il me dit qu'il faudrait que je le fasse refaire et je lui dis que c'est prévu[2]. Il me demande ma profession. Je réponds que je suis dessinateur humoristique. "Quoi ?" coasse-t-il. Je répète. "Dessinateur... humoristique ?" semble-t-il douter. Il consulte rapidement et sans intérêt apparent le certificat d'immatriculation et celui d'assurance que je lui propose. Il m'invite à descendre du véhicule et à m'avancer contre le mur proche, à l'ombre.
"Vous avez consommé de l'alcool", me questionne-t-il. "Non", que je lui rétorque. "Vous avez consommé des stupéfiants ?", poursuit-il. "Non", que je lui dis. "A quand remonte votre dernière consommation de stupéfiants ?", qu'il essaie en puisant dans ses réserves d'intelligence. "Non", me contente-je. Il semble étonné par la réponse, ça le perturbe, je crois.
Là, il a une nouvelle idée pour m'emmerder un peu. Il me demande de me tenir droit et de fermer les yeux. Je m'exécute. Après, il me demande de les ouvrir. Je le fais. Et puis, il me demande de suivre le doigt qu'il promène de droite à gauche puis de haut en bas devant mes yeux. Et, pour finir, il me demande de fermer les yeux de nouveau et de lever une jambe[3]. Là, je lui dis que j'ai un souci d'équilibre et que voilà. Il veut savoir pourquoi j'ai un problème d'équilibre et je lui explique que c'est une question d'oreille interne. Bon, bon, bon. Son collègue profite de la confusion pour faire son entrée en scène avec un éthylomètre en main. Il présente l'appareil à hauteur de bouche et m'explique qu'il va me falloir souffler dans le tube jusqu'à ce qu'il me dise d'arrêter. Je lui prends l'appareil et souffle. Alors qu'il reprend le truc, je me penche sur lui pour regarder l'écran de contrôle qui ne tarde pas à indiquer un joli 0.00.
On me restitue le permis de conduire en loques, le certificat d'immatriculation et celui d'assurance. On me souhaite une bonne route et j'en fais de même. Alors, l'un des deux gendarmes dit à l'autre : "Là ! Le C15 !". Ils enfourchent leur Yamaha et s'apprêtent à partir à la poursuite du véhicule suspect. J'ai juste le temps de demander à l'un des deux gendarmes, au moment où il fixe une sorte de cordon à son blouson, s'il s'agit du système de airbag. Il me répond que oui et il file. Je n'ai même pas le temps de leur dire que le C15 est un Renault Express.

Les hommes en bleu

Notes

[1] Bien que je sois bien en peine d'utiliser l'un sans l'autre. Je peux utiliser le gazole sans le fourgon ; je ne peux pas utiliser le fourgon sans le gazole. Il faudrait que je réfléchisse à tout cela à tête reposée.

[2] depuis au moins dix ans.

[3] L'une ou l'autre, il m'a laissé le libre choix.

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