Le relu, mythe ou réalité ?

D'aucuns, peu au fait des réalités périgourdines, s'en trouvent à douter de l'existence même du relu. Nous n'avons pas hésité à sortir le PCR pour partir à sa recherche et mener l'enquête.

L'oeil pétillant et le sourire narquois, celui qui ne connaît pas le relu, qui n'y a jamais été confronté, vous laissera parler sans se laisser départir de son petit air moqueur des plus désobligeants. En son for intérieur, il laissera sa petite voix lui dire : "cause toujours, beau merle, ton relu, ce n'est que légende et billevesée destinée à faire naître peur et horreur dans les esprits peu aguerris des jeunes enfants encore en âge de couper leur eau-de-vie de prune avec du lait !".
Pourtant, les témoignages attestant de l'existence du relu ne manquent pas sur les terres du Périgord enchanté. Le premier à l'avoir relaté dans ses écrits et à en avoir décrit les caractéristiques intrinsèques est sans conteste possible Louis Padelle (l'ancien) qui, vers très loin dans le temps — peu après la sortie du néolithique supérieur, en fait — écrivait :

"Aujourd'hui est un grand aujourd'hui pour l'humanité dans son entier. J'ai rencontré un fort beau relu, un relu de toute première classe. Quel dommage que la photographie ne soit pas encore inventée et que je sois un si piètre peintre aquarelliste. Je vous aurais fait un petit dessin qui aurait été bien plus parlant que tout ce que je pourrais écrire."

Affaire de tradition autant que fer de lance de l'imaginaire périgourdin, le relu a sa place dans la vie de l'aborigène du cru depuis au moins la fin de la dernière glaciation. Les écrits et témoignages manquent à ce sujet (les archives départementales sont un vrai foutoir) mais il est d'ores et déjà prouvé que l'on se transmet de génération en génération tout ce qu'il est bon de savoir à son sujet.
Par exemple, les histoires de grands-mères, assise sur une chaise basse posée près du cantou où cuisait la soupe, enseignant le relu aux petits enfants ne sont pas rares. Malheureusement, et nous le regrettons amèrement, ces histoires étaient souvent contées en patois et il ne nous est pas possible de vous les relater à notre tour autrement que dans cette langue vernaculaire :
Quantou que lou hiver estou present, lou relu estou jamais trop eloignadou ! (nous vous faisons grâce de la suite...)
C'est au XIXe siècle que certains scientifiques ont mis en doute l'existence du relu. Plusieurs expéditions furent organisées pour aller traquer le relu en Périgord. Certaines n'en revinrent jamais. C'est bien triste mais il faut admettre que l'on ne joue pas les aventuriers lorsque l'on en a pas l'étoffe ! Les moins sérieuses de ces expéditions "scientifiques", bien frileuses dans leurs objectifs, établirent leur camp de base dans la vallée de la Vézère, en plusieurs points, durant les étés 1872 et 1873. Leurs communications faites devant un parterre de savants barbichus coiffés de hauts-de-forme luisants au Collège de France, à la capitale, pointaient toutes comme un fait scientifique que le relu n'avait aucune existence réelle, n'ayant pu être approché ou capturé. Certaine de ces missions, néanmoins, eut le courage et l'honnêteté de produire, à titre de témoin, Louis Padelle lui-même qui fit sensation dans l'hémicycle. Est-ce un souci de traduction ou bien juste une folle envie de se moquer de la part des scientifiques, nous ne le savons pas, toujours est-il que les rapports de session enregistrés par les greffiers font mention de force éclats de rire. L'affaire était classée, le relu était bel et bien de la foutaise !

Il fallut attendre la Grande Guerre pour que, du côté de Verdun, en pleine ligne de front, la question du relu revienne au premier plan de l'actualité. L'incorporation du caporal Louis Padelle (le jeune à l'époque) n'y a sans doute pas été étranger. Comme une traînée de poudre, le relu échauffa les esprits et, dans les tranchées, il n'était presque plus question que de cela. Certains craignaient une attaque surprise du relu et avouaient ne presque plus avoir envie de combattre un ennemi de tellement peu d'envergure qu'était l'Allemand d'en face. Du côté de l'Etat-Major, on prit pour des actes de désertion face à l'ennemi la peur du relu qui faisait prendre leurs jambes à leur cou à certains vaillants poilus. Aujourd'hui, à la lecture du passé, on se perd encore en vaines conjectures tant il est impensable que le relu ait pu, d'une manière ou d'une autre, atteindre les plaines de Champagne. Il n'en reste pas moins que cet épisode ne joua pas en faveur du relu qui, pour des raisons de secret défense de force 1, fut classé dans les sujets à ne plus jamais aborder pour quelque raison que ce soit dans les archives de la grande muette. C'était sans compter avec l'hiver 32 !

L'hiver 32, les anciens s'en souviennent encore avec un frémissement de l'échine, fut long et froid et glacial et pas chaud du tout. Brrr... Déjà, ça avait mal commencé avec un automne pourri qui n'avait pas été généreux en cèpes. Les vendanges avaient été maigres et n'avaient, en terme de promesses, produit qu'une misérable piquette juste bonne à servir de laxatif pour les chevaux ou les boeufs. Automne pourri, donc. L'hiver qui suivit fut terrifiant. On mourra en Périgord comme jamais on ne le fit avant. Les cimetières, si tranquilles d'habitude, étaient devenus les endroits les plus vivants. Sauf dans certains secteurs où il n'y avait plus même assez de vivants pour conduire les défunts en leur dernière demeure. Les morts devaient se débrouiller par eux-mêmes pour se rendre au caveau. Un vrai hiver de merde.
Tout allait aussi mal que possible et même pire. On n'avait plus rien à manger, les derniers blocs de foie gras étaient mangés à même le bocal de verre, les derniers confits sortaient des caves, c'était la dèche. Le plus difficile, c'était encore de cuire les pommes de terre sarladaises dans un âtre qui, malgré tout le bois que l'on y pouvait mettre, ne délivrait qu'une flambée froide. C'est qu'il faisait vraiment très froid, pardi !
Un soir, de retour des champs, Louis Padelle (celui des tranchées) s'en revint au logis le bout des moustaches gelées et grelottant. Mais il ne grelottait pas juste comme quelqu'un qui a eu froid. Sa femme et ses enfants (ainsi que le chien) le comprirent. Louis Padelle s'assit à sa place, en bout de table, sortit son couteau, l'ouvrit et fixa le mur d'en face et l'icône de la Sainte Vierge, comme s'il était en état de catalepsie. Il avait le teint bien livide. La femme, se doutant que quelque chose n'allait pas, lui apporta une assiette de soupe froide. A ce propos, et même si cela n'a rien à voir avec l'histoire présente, il est à noter que l'invention du gaspacho est ici. Louis Padelle se saisit de la cuillère, tourna un peu la soupe froide, souffla dessus pour la réchauffer et en aspira un peu en faisant un petit "slurp" sans conviction.
"Qu'est-ce qu'il t'arrive donc, mon Louis ?", demanda Marthe, sa femme.
Louis ne répondit pas tout de suite. Il se servit un verre de vin rouge, le but et se passa le dos de la main dans ses moustaches dont une partie, encore gelée, se brisa dans la soupe. "J'ai été au relu", dit-il enfin, la voix empreinte d'une réelle gravité que l'on ne lui connaissait que rarement dans le pays. Marthe se signa par quatre ou cinq fois avant de gémir un "Sainte Mère de Dieu de l'enfant Jésus de putain de bordel de merde !". "Oui", ajouta Louis. Il referma son couteau et indiqua son intention d'aller se coucher.
Le relu était donc de nouveau passé à l'attaque. La nouvelle se propagea de hameau en hameau, de village en village, de circonscription et circonscription, tant et si bien qu'un obscur député crut bon d'en causer à l'Assemblée Nationale quelque temps plus tard.
Les huées et les quolibets fusèrent mais, pourtant, les esprits furent ébranlés dans leurs certitudes et l'on projeta de mener une enquête scientifique et sérieuse. On contacta la science et ses représentants et on exposa le problème. Une nouvelle expédition fut montée et, cette fois-ci, on espérait bien tirer les choses au clair. Puisque l'armée n'avait pas grand chose à faire avant quelques années, elle fut mobilisée et une cohorte de bidasses et de scientifiques prit la route du Périgord, aidés en cela par une quantité phénoménale de carte d'Etat-Major. Le 8 février 32, le Périgord était atteint. On se déploya et on prit contact avec Louis Padelle, témoin et unique survivant connu de l'hypothétique relu. Courageux comme pas deux, Louis Padelle accepta de montrer (mais de loin tout de même) l'endroit où il avait eu maille à partir avec le relu. Armés et chaudement vêtus, chercheurs et militaires prirent position et attendirent. C'est au petit matin du 13 février qu'il crurent voir ce qui pouvait être le relu. Ils ne bougèrent pas, gardèrent un silence prudent et attendirent la suite. Aux environs proches de 10 heures, le doute n'était plus permis. Le relu était bien présent dans toute sa macabre splendeur. S'étalant sous leurs yeux éberlués, il était là, à quelques dizaines de mètres. Il fut décidé d'attendre encore un peu, histoire de voir. A 16 heures, il n'avait pas bougé. On ne pouvait plus se permettre d'être dubitatif. Le relu était. Point. On fit des photos, on plia bagage, on remercia les gens du cru et on regagna la capitale où tout cela fut bien expliqué. On fit des rapports, on classa les dossiers et on passa à autre chose.

En Périgord, cela fait des années que l'on sait que le relu est là. On fait avec. On sait même où il se tapit habituellement. Le souci n'est plus tant de devoir vivre avec lui que de persuader les nouveaux arrivants de son existence. Certains rient de ce qu'ils pensent être du domaine de la légende alors même que son existence a été scientifiquement prouvée sinon expliquée.
Pour ces nouveaux Périgourdins, pour celles et ceux qui, un jour, risquent de venir en ces terres de Périgord en plein hiver, Boumbah!, le PCR et moi sommes allés à la recherche du relu. Nous l'avons trouvé et nous sommes aujourd'hui et grâce aux vertus éducatives de l'Internet en mesure de le montrer. Nous vous présentons ci-dessous et en avant première (avant une grande tournée mondiale) une photo du relu.

Boumbah!, le PCR et Michel Loiseau, envoyés spéciaux

le relu

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