Enfonçons le clou

Sans craindre de se faire remonter les bretelles, on peut affirmer haut et fort que l'idée n'est pas nouvelle. Les datations les plus scientifiques tendent à lui donner une date de naissance proche de plusieurs centaines de milliers d'années avant le déluge et ce n'est pas rien, nous pouvons en convenir.

L'excuse la plus commune à la bêtise, c'est le recours à l'incompréhension. "Je suis désolé, je n'ai pas compris", entend-on trop souvent et de la part même de gens pas plus bêtes que vous ou votre voisin.

Depuis quand peut-on excuser la bêtise par l'incapacité à comprendre tout en toute chose ? N'est-ce pas un peu facile, tout de même ? Alors, il suffirait de proclamer n'être pas en mesure de comprendre pour que l'on vous excusât ? C'est fort de café. Avec ce système, on n'a plus le moindre effort à produire et cela joue considérablement dans l'abrutissement des masses, c'est moi qui vous le dis. On est face à n'importe quel problème, de robinet qui fuit ou de train qui part à 15h34 en direction d'une gare lointaine et on sort le joker caché dans sa manche : "je n'ai pas compris". Être "incomprenant" n'est certainement pas une raison à lancer à la figure des incompris.

Sans compter que la contagion est toujours possible. Tenez. Rien que dans le milieu des enseignants. Combien d'instituteurs se sont retrouvés face à un troupeau d'enfants bêlant leur incompréhension et, endossant le rôle de l'incompris, sont devenus à leur tour incomprenants de l'incompréhension dont ils étaient les premières victimes ? Hein ? Nombreux, si vous voulez le savoir.

Ne pas comprendre est naturel. On ne peut pas tout savoir dès la sortie de l'œuf — sauf si l'on s'appelle Jean-Bernard Einstein ou Gustave de Vinci, bien entendu. Au nid, l'enfant est le plus souvent ignorant de toute chose et il lui faudra développer son esprit par de saines lectures et le respect de la parole de l'adulte pour se construire un cerveau fonctionnel et apte à comprendre. On ne le répétera jamais assez, la lecture de bédés ou le visionnage d'émissions télévisuelles sont plus néfastes au développement cognitif de l'enfant que ne pourraient l'être la scarlatine ou l'absorption massive de plomb. Combien de jeunes personnes, lectrices de ces bandes dessinées dans leur prime jeunesse, sont devenues, au mieux fonctionnaires ou commerçants, au pire dessinateurs de ces mêmes BD ? A tout prendre, c'est vrai, mieux vaut encore être charcutier ou coiffeur que dessinateur de BD. Seuls les dessinateurs de BD osent aujourd'hui encore contredire ce que la science a établi d'une manière formelle et définitive. Mais bref…

Ne pas comprendre ne doit pas être une excuse pour ne pas apprendre. Moi-même qui vous cause, il y a bien deux ou trois bricoles que je ne comprends pas encore tout à fait. Qu'en était-il de l'univers avant la survenue du Big Bang ? Comment diable faisait-on pour se connecter à l'Internet avant l'invention des ordinateurs, tablettes et téléphones intelligents ? S'il est avéré que nous sommes tous semblables, comment se fait-il que mon voisin est ait un plus gros sexe que moi ? Ces questions (et quelques autres) me tarabustent, je le reconnais, mais je travaille d'arrache-pied pour leur trouver des réponses, sinon réelles, du moins convaincantes.

Le clou du spectacle

Certes, nous n'avons pas tous ni le même cerveau ni les mêmes capacités à en faire bon usage. Si celui-ci n'aura aucun mal à acquérir les subtilités de l'abstraction de la géométrie en quatre dimensions avec l'utilisation des "ana" et "kata", tel autre saura conjuguer le verbe seoir à la troisième personne du pluriel dans un système syntaxique et sémantique expérimental sur lequel il travaille avec une équipe de chercheurs compétents. Plus proches de nous, on trouvera toujours une personne capable de planter un clou dans une planche de bois dur quant il faudra en chercher une autre pour découper proprement une tête d'agneau dans le sens de sa longueur.

Avec des siècles et des millénaires d'évolution, le genre humain a réussi le pire qui était à craindre. Chaque individu s'est spécialisé et il y a peu de chances pour qu'un Pic de la Mirandole, érudit auto-proclamé, naisse aujourd'hui. Quoi que nous puissions trouver encore quelque idiot parfait ignorant de tout en tout et ignorant même parfois des choses que l'on aurait pu penser impossible à ignorer avant lui. En cela, il nous est permis d'imaginer que l'ignorance n'aurait guère de limite et cela est vertigineux donc inconfortable. Mieux vaut ne pas imaginer cela.

Mais alors, une question surgit. La compréhension pourrait-elle, de même, ne pas connaître de limite ? La question n'a pas été tranchée. C'est aussi qu'il faut faire avec celles et ceux qui croient savoir. Ceux-ci agissent comme les perturbations du fond diffus cosmologique dans l'esprit des chercheurs. Toutes ces personnes qui affirment en savoir tant à propos de, finalement, rien, agissent comme des parasites. Certains savent que les extraterrestres existent ou que l'homéopathie fonctionne ou que le complot est en marche ou que ceci ou que cela. Ils savent des choses sur de l'inexistant et c'est un vrai problème. Grâce à cela, chacun est à même de se construire son propre savoir, sa propre compréhension du monde sans jamais douter.

La certitude de détenir une vérité qui en vaut bien une autre conduit à choisir la plus facile. Après tout, pourquoi apprendre la chimie si l'on croit que ni les atomes ni les molécules existent ? Pourquoi s'intéresser à l'astronomie quand la Terre est plate ou qu'est là l'astrologie ? On peut croire que les pyramides d'Égypte ont été bâties par des civilisations lointaines dans un but précis et attendre que ces mêmes civilisations reviennent un jour pour nous expliquer tout ça.

Le relativisme est pratique. Tout vaut tout. L'un des grands idéologues de notre temps de ce courant de "pensée" est le président Trump. Tout vaut tout. Vous dites que telle chose s'est passée ainsi, je rétorque qu'elles se sont passées de cette manière. Un partout. Notez, ce n'est pas totalement faux non plus de penser qu'un événement peut être perçu de différentes manières selon sa position dans l'espace, dans le temps ou selon d'autres critères. Mais bon. Face à un problème d'arithmétique, disons 2+2=, je peux parfaitement dire que ça ne veut rien dire ou que ça ne fait rien ou que ça fait ce que l'on veut. Là, soit je suis un génie et je le prouve, soit je suis un fainéant qui a trouvé une parade en acier inoxydable pour éviter à avoir à se creuser le ciboulot.

Ce qui est curieux, chez certains ignorants, c'est leur refus d'accepter les faits non expliqués. Il leur faut boucher les trous. On ne sait pas pourquoi telle civilisation a construit des gogues pareils à flanc de colline ? Pas de problème, l'ignorant va vous mitonner une petite affaire légendaire pas piquée des vers. C'est sans doute l'explication de la création des êtres divins. Pourtant, le mystère est source de poésie. Face à des questions immenses comme celles ayant trait à "notre" univers, je suppose qu'il faut commencer par laisser vagabonder son imagination fertile et laisser son esprit envisager des pistes avant de les confronter au calcul puis à l'expérimentation. Là, plus que de chercher une explication, on cherche à comprendre, à percer le mystère, afin de fournir une explication. Le cheminement n'est pas le même.

Il est bien difficile de dire qui est le plus haïssable de celui qui se fout de tout et se réfugie derrière son incompréhension et de celui qui ne veut rien savoir d'autre que ce qui lui est facilement accessible. Je préfère l'idiot revendiqué au manipulateur exégète et prosélyte. Le premier ne fait de mal à personne quand l'autre cherche à rallier des personnes à ses croyances avec l'idée que plus on est nombreux à croire une fumisterie et plus celle-ci deviendrait vérité.

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