A la fin de l'année 65, San-Antonio s'est vu attribuer le Prix Gaulois pour son livre "Le Standinge". Nous nous plaisons à publier ici le discours que Pierre Dac, le lauréat de l'année précédente, prononça à cette occasion.
Mes chers amis, Mon cher récipiendaire,
Mordicus d'Athènes, l'illustre philosophe ivrogne grec — 219-137 bis au fond de la cour, à droite av. J.-C. — a dit, un soir qu'il en tenait, il faut bien le reconnaître, un sérieux coup dans la chlamyde : " Dans le domaine du discours, l'improvisation prend force et valeur que dans la mesure de sa minutieuse préparation".
C'est donc en fonction de ce remarquable apophtegme que m'est donnée, aujourd'hui, la joie d'accueillir au sein de cette noble et joyeuse compagnie académique, le lauréat du Prix Gaulois 1965, notre ami Frédéric Dard, alias commissaire San-antonio.
Que dire de Frédéric Dard qui n'ait été dit et redit ? La renommée qui entoure sa légitime célébrité me dispense de tout panégyrique et de tout éloge qui ne rendraient qu'imparfaitement l'affectueuse estime en laquelle nous le tenons.
Qu'il me soit donc simplement permis, avant de transmettre le glorieux flambeau gaulois à mon éminent successeur, de saluer en lui, l'incontestable champion de la littérature contemporaine de choc, et qui, par la seule force de son talent et de ses ancestrales vertus, œuvre inlassablement, jour après jour, à longueur de plume ou de machine à écrire, pour forger, dans le silence, le jeûne, l'abstinence et la méditation, le fier levain qui, demain, ou après-demain au plus tard, fera germer le grain fécond du ciment victorieux, au sein duquel, enfin, sera ficelée, entre les deux mamelles de l'harmonie universelle, la prestigieuse clé de voûte qui ouvrira, à deux battants, la porte cochère d'un avenir meilleur sur le péristyle d'un monde nouveau.
En panne de lecture, je me mets en chasse de bouquins. Je sais pouvoir trouver dans le garage un ou deux cartons de livres déjà lus. Je fouille, j'en extirpe certains, en écarte d'autres. Je m'étonne de la présence de certains ouvrages oubliés et me demande comment j'ai pu lire certains autres. Parmi les livres retenus, deux San-Antonio.
Je n'ai pas lu de San-Antonio depuis la mort de Frédéric Dard survenue en 2000. Si je me souviens avoir lu pratiquement tous les San-Antonio, je me demande si le souvenir que j'en ai peut être confronté à celui que je suis devenu près de vingt ans après la dernière lecture d'une aventure du commissaire et de ses acolytes. On va le savoir rapidement.
Des deux San-Antonio trouvés, j'ai choisi "Salut mon pope". Il date de 1966. Je commence la lecture. Je retrouve les digressions de l'auteur, la langue inventive, les personnages. Bérurier est absent (il est fait allusion à lui dès les premières pages) mais nous retrouvons Pinaud.
La trame est constituée par la disparition de la Victoire de Samothrace. La célèbre sculpture a été prêtée à la Grèce par la France, elle a voyagé en camion escorté depuis le Louvre jusqu'à Marseille puis dans les cales d'un cargo grec de Marseille au Pirée pour une courte escale avant de rejoindre l'île de Samothrace. Stupeur, à l'ouverture de la caisse, la statue a disparu, remplacée par un bloc de fonte.
Dès les premières pages du roman, on découvre un Pinaud qui s'est pris de passion pour Sherlock Holmes et ses méthodes. Il parvient à étonner San-Antonio en déduisant avant qu'il ne lui en parle la disparition de la Victoire de Samothrace et le départ pour la Grèce.
J'en suis là au bout des cinquante premières pages. Ça se lit vite. Ces premières pages ne parviennent pas à me convaincre. Je n'y ai pas retrouvé ce que je me souviens de l'écriture de Frédéric Dard. Pour tout dire, cela ne parvient pas à me faire rire. C'est même un peu lourd, par moment. Les allusions à l'homosexualité des Grecs, bon, pourquoi pas mais fallait-il insister autant ?
Tous les San-Antonio ne se valent pas. Il y en a d'excellents et des mineurs. Le hasard a peut-être fait que j'en ai choisi un parmi les moins bons ? Il reste environ deux-cents pages pour me faire un avis définitif sur ce roman.
Il paraît que Frédéric Dard se serait fait aider par son fils, Patrice Dard, pour les derniers romans de la série. Après la mort de Frédéric Dard, je n'ai pas jugé utile de lire les nouveaux. Il faudrait que je le fasse à l'occasion. Hier, une idée stupide m'a traversé l'esprit, celle de relire l'intégralité des San-Antonio. Il se trouve que j'ai un frère qui a la collection complète. Dans mon souvenir, les premiers et les derniers m'ennuyaient un peu. Selon moi, les meilleurs sont ceux qui sont aussi les plus humoristiques, ceux qui laissent une grande place aux énormités de Bérurier. Durant un temps, je lisais un San-Antonio entre deux livres plus "sérieux". Je les consommais juste pour le plaisir de me fendre la poire et ce plaisir était bien réel. J'aimais retrouver ces personnages et rire comme, je le suppose, l'auteur riait en écrivant.
Mais la question que je me pose est de savoir si, en vieillissant, les années passant, l'humour évoluant aussi, on ne change pas dans ses goûts. Par exemple, le discours de Pierre Dac cité en tête de billet fait-il autant rire aujourd'hui qu'il pouvait faire rire en 1965 ? Si jamais il faisait rire, bien entendu. L'humour est aussi affaire de convention, de référence, d'époque. Si je ris encore en revoyant "La Grande vadrouille", c'est peut-être parce que je l'ai vu dans ma jeunesse, que je me souviens avoir ri à l'époque, que j'ai l'âge de comprendre les références. Possible que ça ne fasse plus rire les jeunes d'aujourd'hui. Peut-être aussi ce qui fait rire les jeunes de nos temps modernes ne parvient pas à me faire pleurer de rire.
Récemment, France Inter fêtait Pierre Desproges à l'occasion du trentième anniversaire de la fin de son cancer. Il y avait une émission spéciale le soir. J'ai écouté pendant deux heures et j'ai abandonné pour aller bouquiner. Difficile de marcher dans les pas de Pierre Desproges sans se prendre les pieds dans le tapis. J'ai apprécié Pierre Desproges mais je me demande ce qu'il en reste réellement. Quelques sketches particulièrement bons, sans doute, quelques écrits savoureux, sûrement, mais certainement pas tout.
Bref, je me pose des questions bien stupides ce matin. C'est dû à cette petite déception rencontrée alors que je ne m'y attendais pas. Je pensais retomber comme si de rien n'était dans San-Antonio, parvenir à rire dès les premières pages et ça n'a pas fonctionné. Alors, ça suscite un sentiment d'angoisse bien légitime, je prends conscience du temps qui passe, de la fin qui se rapproche, de l'inconstance des choses et ça ne me fait pas rire. C'est ballot, non ?
1 De Tournesol - 26/04/2018, 08:41
Bonjour.Moi si j’etais boucher,j’aurais un pot saucisson et pas une queue de carpe,mais chacun ses goûts (désipere est juris gentium disaient les romains,et c’est joliment dit : divaguer est un droit du peuple).
J’ai adoré Dard,y compris dans ses romans noirs,j’ai aussi adoré Vian et je continue à les respecter.Mais une des forces de l’humour,c’est sa capacité à nous surprendre,à nous déstabiliser dans nos attentes,et forcément,la même blague répétée quatre fois ne nous surprend plus,donc perd de sa force.On peut en apprécier l’ingeniosite,le style,mais l’effet de surprise n’y est plus.
Vian m’a paru inventif tout au long de sa courte vie,pour Dard,on sent parfois l’autocopiage,il « fait du SanAntonio ».Ceci étant,ce n’est pas à la portée de tout le monde.
Mes préférés restent : fleur de nave vinaigrette et : la rate au court bouillon.
Bonnes lectures.
2 De Liaan - 26/04/2018, 09:03
Remarque sur le dessin :
il mériterai d'être en couleur.
Car l'on croit qu'il s'agit d'un troufion sur une bécane, genre tueur en série.
Il n'y a que lorsqu'on agrandit ce dessin que l'on peut s'apercevoir qu'il s'agit d'un louchébem.
Remarques sur les San-Antonio :
J'avoue en relire ces temps-ci. Lors des visites dans le rayon bouquins chez Emmaüs, après ma moisson d'ouvrages divers, je jette un œil sur les polars et trouve parfois un San-Antonio que je pense ne pas avoir. Comme vous, Michel, je retrouve tout de même certains plaisirs que nous avions, vers les quinze-seize ans, avec les copains du collège. La maturité arrivée, je reste stupéfait devant tous ces clichés que nous acceptions à l'époque. Pour ça, les San-Antonio ont tout de même vieilli. Malgré tout, la lecture en reste facile et plaisante, grâce au style dard-dard...
3 De Tournesol - 26/04/2018, 09:10
@Liaan : Ah,ouais?si les trouffions étaient équipés comme ça en ´39,pas étonnant qu’on aie connu la débâcle :-))
4 De Liaan - 26/04/2018, 09:33
Sur les San-Antonio :
Dans , écrit en 1955, édition de 1965, deux remarques.
La première chose, aperçue dans les San-Antonio d'avant Béru, il y a souvent une phrase (ou une allusion à Bérurier) qui est ajoutée dans les réimpressions afin de faire croire que l'Hénorme existe.
En particulier dans ce roman, il est fait mention d'une grosse automobile française. Il s'agit d'une Frégate Renault. Afin d'actualiser le roman (imprimé en 1965, je vous le rappelle) la Frégate est remplacée par la prestigieuse DS 19. Mais les correcteurs n'ont pas relu tout le roman, et l'on retrouve alternativement, ou la Frégate, ou la DS...
Tout ça pour dire que les romans de San-Antonio ont tellement de succès qu'ils sont réimprimés fréquemment, et du coup, mis à jour, pour ne pas décontenancer le lecteur qui les lit dans un désordre chronologique.
5 De Liaan - 26/04/2018, 10:27
Véhicule grandiose qui n'existe plus que dans les films, musées ou sortie d'anciennes, je veux parler du porteur spécial boucherie. Construit sur une base de cyclomoteur, souvent à vitesses, l'engin présentait une roue avant de petit diamètre pour l'on puisse poser le gros panier d'osier sur la fourche. Héritier des bicyclettes dit porteur, ce deux-roues devait être délicat à conduire, l'effet gyroscopique de la petite roue avant n'étant contrebalancé que par le poids du panier plein.
Heureuses années 1950 et 1960 lorsque l'on croisait ce genre d'engin, poursuivi par les clebs des environs, humant la viande fraiche. Le tango des bouchers de la Villette chantait Vian.
6 De Le prof Turbled - 26/04/2018, 10:52
Comme ça tombe bien! Je viens juste de relire
, acheté à un bouquiniste sur le marché de Périgueux, croyant ne pas l'avoir.Le début est un festival de rigolade, bâti sur le nom du pays arabe vers lequel la fine équipe est envoyée en mission: Tout y passe: la capitale , l'Emirat d'égout, l'émir Obolant, les habitants: , etc, etc...
Purée, ça fait du bien, une tranche de rigolade pareille. Après ce début en fanfare, ça se tasse un brin, et la fin est un peu plus laborieuse.
Mais qu'on me donne à lire quelque chose d'aussi fendard, sans jeu de mot, et mine de rien d'aussi riche, dans autant de volumes, même si les derniers étaient un peu trop "gynécologiques" à mon goût, et alors je retournerais ma veste.
San Antonio, c'est mon maître, et lorsqu'il trépassa, début 2000, j'ai chialé comme une madeleine.
7 De Sax/Cat - 26/04/2018, 11:33
Je ne connaissais pas le SanAntonio qui vous a déçu. Je pensais pourtant les avoir tous lus, mais non.
Je ne pense pas réessayer cette lecture, j'en ai relu certains et, comme le dit Tournesol, la deuxième fois ce n'est pas aussi bien.
Mais j'aimais beaucoup le personnage Frédéric Dard.
8 De Le prof Turbled - 26/04/2018, 12:23
Bien sûr, les époques et les contextes changent. Quand j'étais barman, le bar étant l'endroit où les blagues circulent le plus, et même où on les crée, il fallait voir le niveau! Nous étions au milieu des seventies. Les
, les juifs et les (je cite texto) étaient à la fête. Les allemands et les belges avaient aussi les faveurs du public. Le tout souvent fin comme du gros sel; pas grand monde alors pour s'en offusquer.Même en dépassant la barrière du politiquement correct et de l'auto-censure, pas sûr qu'aujourd'hui toutes ces âneries fassent rire le pékin moyen.
Je crois vous avoir déjà raconté que c'est un ancien de
qui m'initia au en m'en donnant un, après m'en avoir vanté les mérites. Drôle, non?9 De jojo - 26/04/2018, 13:34
" le portail est grand, tout vert "
:-)
10 De Liaan - 26/04/2018, 20:17
Chose amusante, à part un ou deux titres de San-Antonio, ces derniers ne me disent absolument rien, je suis incapable de dire de quelle aventure il s'agit en lisant le titre, si je ne me plonge pas à en lire quelques lignes, soit au tout début, soit vers le milieu. Sauf pour
ou .Il y a eu tellement d'ouvrages.
11 De Le prof Turbled - 26/04/2018, 20:41
@Liaan :
Quatre par an, parfois cinq, sans compter les romans comme , ou , ou les bizarreries comme
.
C'est sûr qu'il y a du déchet, mais quand même, quel auteur!
12 De fifi - 26/04/2018, 21:51
Oui, il y a où s'y perdre tellement il était prolifique cet auteur. Je ne compte pas tous ce que j'ai lu, je ne me souvient d'aucun titre, et pourtant, j'en ai avalé. Sans doute que j'ai dû trop lire ce genre de polar, que je mélange ; Sana, Le Saint, S.A.S et bien d'autres.
13 De fifi - 26/04/2018, 21:54
Il est bien équipé pour couper le brouillard au couteau, ou au couperet, votre motard louche et blême - un sacré fusil ce type.
14 De fifi - 26/04/2018, 22:02
Heu, j'voudrai pas foutre la merde, mais le boucher " des bites " : veaux, vaches, bœufs, agneaux, volailles, lapins. Tandis que le charcut'man du jars fait du cochon de la queue jusqu'au menton, et ce, à toutes les sauces ... voir en pâté rillettes. Enfin, tout ce qui est bon pour s'en foutre plein la panse. Le tout arrosé d'une San Pé fraîche à point.
15 De Jean Nohain - 26/04/2018, 22:06
Résultats du jour :
- Premier : les ouvrages de San Antonio
- Second : la moto du louchébem
Merci pour votre participation.
Demain, concours de popularité entre les livres de la collection
et un dessin d'un tri Peugeot conduit par un Bougnat (vins & charbons)À vos claviers.
16 De fifi - 26/04/2018, 23:54
@Jean Nohain : Je pose tout et je ne retiens rien.
17 De Guy d'équerre - 27/04/2018, 05:04
@Jean Nohain :
(avec un H), cette compilation de romans à l'eau de rose?
Et pourquoi pas les œuvres de la Comtesse de Ségur?
Ou pire encore, les aventures du prince facho ?
Vous déraisonnez mon cher. Allez retrouver Mireille!
Fais dodo mon Jeannot.
18 De Liaan - 09/05/2018, 08:07
Actuellement, je me relis un San-A :
Écrit en 1956, édition de 1976.
Je me suis laissé avoir par le premier chapitre, on y voit Pinuche qui essaie un costar. Au chapitre deux, on entre dans l'action avec une Renault Celtaquatre abandonnée dans un chantier. C'est à ce moment que je me suis aperçu que je l'avais lu, il n'y a pas si longtemps. Mais emporté par la belle écriture de ce livre, je le dévore de nouveau. Il va falloir que je retrouve l'édition de ce roman que j'avais déjà lu, une version où le premier chapitre est différent, sans Pinuche, donc.
L'on voit dans ce roman une Renault Prairie, et l'on parle de témoins d'évènements situés en 1939. Lorsque la première édition est publiée, donc en 1956, ces éléments sont plausibles, mais le temps passe, les témoins disparaissent, et l'on a du mal à croire que l'action se situerait en 1976...
J'aime bien regarder l'année de sortie de la première édition des San-A. Pour mieux sentir l'époque de l'écriture.
19 De Michel - 09/05/2018, 08:18
@Liaan : J'ai lu un autre-San Antonio, l'un des derniers. Une fois encore j'ai été légèrement été déçu. Le roman m'a fait sourire quelques fois mais jamais rire vraiment. Je suis très étonné par ce désamour et vais tenter de lire quelques autres romans de la série.
20 De Le prof Turbled - 09/05/2018, 08:41
Le texte tout en jaune, sauf les parties en italique, c'est une nouveauté, ou alors...?
@Michel :
C'est notoire que les derniers opus sont moins léchés. J'ai le tout dernier, paru à titre posthume, , où le jeune patrice Dard a été mis à contribution. Cela se lit, mais pour le coup, nous sommes devant un vrai roman de gare. Snif....Bah ouais! Et les 100% Patrice Dard qui suivront n'apportent rien au mythe.
Tiens, le temps que je finisse de divaguer, et la police est redevenue noire.
21 De Homère Dhalôre - 09/05/2018, 08:43
@Le prof Turbled :
Hé, tu pourrais rajouter que rien que pour leurs titres extraordinaires,
les méritent d'êtres cités.
22 De Michel - 09/05/2018, 08:46
@Le prof Turbled : Je ne pense pas avoir lu Céréal Killer. Je suis certain de n'avoir rien lu des romans écrits par Patrice Dard sous son nom. Il paraît que ce n'est pourtant pas si mal. Un jour peut-être…
@Homère Dhalôre : Victor Hugo n'était pas mauvais non plus pour les titres !
23 De Liaan - 09/05/2018, 09:47
De Dard, j'avais lu il y a très longtemps
Excellent.
Bien sûr, lu et relu
San-Antonio, c'est sans doute un peu comme Uderzo.
Il y a la période de recherches, puis l'apogée et ensuite, la lente chute.
Bon, Uderzo avait Goscinny.
24 De Liaan - 09/05/2018, 09:53
@Le prof Turbled : J'ai comme qui dirait que Michel essaie des trucs déconcertants : le lettrage en jaune-vert, la page du (excellent) feuilleton en BD qui se promène... M'en fiche, je fais des copies-écran, on ne sait jamais, lorsqu'il faudra témoigner en tant que témoin oculaire (au cul quoi ?)...