Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (31)

Tant pis pour vous. C'est moi qui me suis collé au nouvel épisode.

- Vos actes sont inqualifiables ! Vous avez bafoué l'honneur de la gendarmerie, de l'armée française, de la France dans son entier, brigadiers ! Une mise à pied ? C'est une peine bien légère. Vous mériteriez le conseil de guerre, la cour martiale. Votre comportement est indigne de votre fonction. Je vous rappelle au cas où vous l'auriez oublié, que vous représentez l'ordre, que vous êtes investi d'une mission. Celui de veiller sur la population et lui venir en aide. Au lieu de cela, on vous retrouve complètement ivres en train de tenir des propos incohérents à la capitainerie du port, à menacer d'honnêtes gens dans une tenue qui laisse pour le moins à désirer. On nous prévient discrètement, on vient vous chercher, on constate que vous avez "égaré" votre véhicule de fonction que l'on finit par retrouver planté dans un étang et vous avez le toupet de me raconter, à moi, commandant de la brigade, adjudant-chef Le Trouduc, gendarme de père en fils depuis que la gendarmerie existe, que vous avez parlé à votre aïeul qui aurait été commandant de la brigade ici présente ? Vous me racontez avec votre haleine chargée et une assurance insolente des balivernes insensées au lieu de vous excuser et d'implorer mon pardon ? Non mais, brigadiers ! Que vous arrive-t-il ? Vous vous croyez où ? Au cirque ? Je vais vous mettre à pied pour trois jours parce que nous manquons d'effectifs et parce qu'il se passe des choses bizarres alentours mais croyez bien que je n'oublierai rien de tout ce qui vient de se passer ! Je n'oublierai pas et ça ne jouera pas en faveur de votre avancement, vous pouvez me faire confiance ! Vous avez détruit un véhicule, vous vous êtes ridiculisés dans tout le voisinage, vous inventez des histoires incroyables. Je vous mets à pied. Disparaissez de ma vue et allez décuver ! Exécution !

- Nous sommes mis à pied rapport à la 4L, mon adjudant ? Questionna Chapraud.

- Parce que la 4L, c'est pas nous qu'on l'a mise à l'eau, ajouta Chapraut, solidaire.

- Ah mais oui, bien sûr, où ai-je la tête ? C'est votre grand-père qui vous a poussé peut-être ? Vous continuez à vous foutre de ma gueule nom de nom !

- Ah non, mon grand-père n'est pour rien dans l'affaire de la 4L. D'ailleurs, ça existait pas encore, en son temps, la 4L, tempéra Chapraud.

- C'est des inconnus que nous n'avons pas identifiés qui nous ont mis à l'eau, précisa Chapraut.

- Je ne veux pas le savoir ! Foutez-moi le camp ! Disparaissez !

- Mon adjudant, faut tout de même que vous nous croyiez. On ne dit pas que des bêtises...

- Non. Vous en faites, aussi.

- Je veux dire, pour le passage secret dans la cave de la Labornez et les souterrains et le train électrique, le téléphone, tout ça, c'est facile de voir par vous même.

- Parlons-en de la Labornez ! Vous vous êtes rendus sur les lieux à plusieurs reprises et ça n'a pas empêché la destruction de la maison et la disparition de sa propriétaire ! Kermitt est venu faire une déposition. Il n'a rien vu mais il a tout entendu. Et il paraît que vous vous avez abîmé l'une de ses motocyclettes, en prime ! Vous avez vraiment fait du beau travail. Chapeau.

- Il s'est passé des choses chez la Labornez, mon adjudant. Des choses pas catholiques, si vous voulez mon avis.

- Je ne le veux pas, merci.

- Chapraut a raison, mon adjudant. Il semble même que des étrangers à l'accent allemand seraient liés à l'affaire. Ça prend une tournure internationale, je pense. Peut-être la Labornez était-elle dans l'espionnage, rapport à son passé dans la résistance. Elle était proche des communistes à ce qu'on dit.

- Labornez est une demi-folle, tout le monde le sait dans le village ! Avec elle et vous, on pourrait penser à ouvrir un hôpital psychiatrique. Il y aurait de quoi le remplir.

- Chef ?

- Quoi, Chapraud ?

- On est mis à pied, chef ?

- Oui

- On a droit tout de même au vélo, chef ?

- Foutez-moi le camp ! Hors de ma vue ! Ouste !

Chapraud et Chapraut, menacés par l'adjudant-chef Le Trouduc a bout de nerf, perdant toute patience et toute mesure, brandissant une règle métallique en guise de sabre d'abordage, s'enfuient de la gendarmerie et se retrouvent dans la rue.

- Il nous a pas cru.

- Je le crois.

- On dirait qu'il n'a pas confiance en nous.

- On dirait bien.

- On a pourtant bien vu ce qu'on a vu.

- Ça me sape le moral, à moi, Chapraut. J'ai comme qui dirait le moral dans les chaussettes et je n'aime pas ça. Il me faudrait quelque chose pour le remonter un peu, mon moral.

- Comme moi, brigadier, comme moi.

- Et si on allait boire un petit calva chez José ?

- Il doit être ouvert à c't'heure.

Les gendarmes bifurquent en direction du café à José. Ils poussent la porte et la clochette retentit. Derrière le comptoir, José voit les duettistes s'avancer vers lui et un sourire apparaît sous sa mince et fière moustache.

- Une petite absinthe, messieurs ?

- Euh... Non... Un calvados, comme à l'habitude, José.

- C'est que dans votre époque, on boit plutôt de l'absinthe, il me semble ?

- Notre époque ? S'étonnent en chœur les brigadiers.

Dans la salle, quelques rires fusent. Les clients se tournent vers les gendarmes et gloussent de plaisir.

- C'est que vous arrivez de loin, selon les rumeurs qu'on entend.

- Je ne comprends pas, dit Chapraud. On arrive de la gendarmerie. Le chef nous a mis à pied...

- Même pas droit au vélo...

Un tonnerre de rires explose.

Chapraud et Chapraut se tournent vers les consommateurs en fronçant les sourcils de contrariété. Ils commencent à comprendre.

- Tentative de manque de respect à l'autorité ! Nous allons sévir !

- Vous êtes à pied ! Tonitrue quelqu'un.

- Ça durera pas, répond Chapraut du tac-au-tac.

- On dit que vous avez testé un prototype de véhicule amphibie ? Lance un autre ?

- Leur réponds pas, dit Chapraud à Chapraut. On sait ce qu'on sait, nous !

- Deux calva, commande Chapraut à José.

- Bien messieurs. Deux calva, deux !

José sert les deux boissons.

- C'est pour la maison, annonce José. C'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de rire.

Les gendarmes boivent leur verre cul-sec et sortent sous un déluge de rires et de quolibets.

- Moi, je dis qu'on n'est pas fous. On va lui faire voir à Le Trouduc, qu'on soit à pied ou pas !

- T'as raison ! On va leur faire voir à tous ce que sont des gendarmes ! Ah ! Rira bien qui rira le dernier !

- On retourne chez la Labornez !

- On y file. A pied peut-être mais on y va.

Les deux compères prennent la route de la maison démolie. Ils marchent en ne faisant plus attention du tout à la population qui les montre du doigt en explosant de rire.

- Ça fait une trotte, tout de même, juge Chapraud au bout de quelques kilomètres.

- Ça, avec la 4L, ça allait plus vite.

- On ferait pas une halte pour se rafraîchir ?

- J'y ai pensé. Nous ne sommes plus bien loin de chez Kermitt.

La veste ouverte, le képi de travers, les deux gendarmes parviennent en sueur sur le perron de la maison de Kermitt. Ils frappent à la porte.

- Gendarmerie ! Ouvrez ! Crie Chapraut.

- Quoi c'est ? Suggère une voix.

- Gendarmerie ! Brigadiers Chapraud et Chapraut !

- Je suis aux vécés. Attendez, j'arrive.

Peu de temps après, les gendarmes entendent une chasse d'eau, une porte qui s'ouvre et se referme et ils parviennent à distinguer une silhouette qui s'approche dans le couloir. Kermitt leur ouvre la porte.

- C'est pourtant vrai que c'est vous ! Vous êtes au courant de l'affaire ?

- L'affaire ?

- Ben oui, bien sûr que vous êtes au courant, je suis bête ! C'est vous, l'affaire ! Et comme on dit au village, les Chapraudt, c'est pas une affaire !

- Attention !

- Vous êtes mis à pied. Tout le monde le sait. Vous venez pour quoi, cette fois ?

- On a soif.

- Entrez. J'ai à boire.

La bouteille de calva est sortie. Trois verres sont disposés sur la table. On dirait un jeu. On remplit les verres, on les vide, on les remplit de nouveau. La règle est simple à comprendre, l'enjeu un peu moins.

- Parlez-nous de la Labornez, Kermitt.

- Il y a rien à en dire qu'on sache déjà, assure Kermitt d'une voix mal assurée. La Labornez, elle a toujours été là autant que je m'en souvienne. J'ai connu son mari, le Yannick. Ils étaient dans la résistance, pendant la guerre. Tout le monde sait ça. Et puis, bon, avec l'âge, elle est devenue un peu folle, la Labornez. Pas méchante, notez. Si vous voulez parler à quelqu'un qui la voit souvent, faut parler au facteur. Un brave gars. Il lui apporte son "Nous-Deux" chaque semaine. Comment qu'il s'appelle déjà ? M'en rappelle plus. Bah ! Il est pas dur de le trouver, il roule dans une 4L jaune.

- Me parlez plus jamais de 4L, s'exclama Chapraud en relevant une tête dodelinante.

- Enfin pour vous dire que la Labornez, elle était bien calme depuis la fin de la guerre et encore plus après la mort de son Yannick. Enfin jusqu'à ces derniers jours, je veux dire ! Parce que là, pardon ! Et que des voitures arrivent et repartent, et que ça explose à répétition, et que ça vous amène de l'étranger voleur de moto ! Et tout ça au nez et à la barbe des gendarmes ! Sauf vot' respect, messieurs.

- Et moi, je dis que la Labornez, il y a anguille sous roche. Et où-ce qu'elle est passée, d'abord ? Hein ? Nous, on y est allé chez la Labornez. On a trouvé la cave et le passage secret et le train électrique. Et Chapraut a parlé à son grand-père, même. Et ça, c'est pas du normal !

- Une cave chez la Labornez ? Première nouvelle ! Jamais entendu parler de ça, moi ! Lâche Kermitt en secouant la tête et en remplissant les verres.

- Merci. Une cave, il y en bien une. Et même, il y a des trucs à y boire !

- Kermitt, on a confiance en vous. Si vous voulez, on écluse cette bouteille et on vous emmène y voir, à la cave à la Labornez !

- Bingo !

Et les verres sont remplis une fois encore. Et une fois encore, ils sont vidés. Et lorsque la bouteille est vidée à son tour, les trois hommes se lèvent et, en équilibre instable, sortent de la maison et prennent la direction de la ruine, objet de toute leur attention. En zigzaguant, ils maintiennent un cap approximatif. Ils ne sont pas partis les mains vides. Dans sa grande lucidité, Kermitt a plongé une bouteille dans la musette qui pend à son épaule. On ne part pas à la guerre sans munitions !

La maison Labornez apparaît en ligne de mire. Il n'en reste pas grand chose. Nos trois gaillards gravissent les gravas et parviennent à hauteur de l'entrée de la cave.

- Ah ! Vous voyez bien, civil ! Il y a une cave !

- Bon sang ! J'savais pas. Respect, brigadier. Vous avez bien mérité un gorgeon.

- Il y en a en bas.

- Et du bon et en quantité !

- On a testé en vue d'analyser. Police scientifique !

Les trois hommes descendent à la cave.

- Là ! Les litres !

- Ah ! On va tester scientifiquement, se pourlèche les babines le père Kermitt en agrippant une bouteille. A la bonne vôtre !

Et le père Kermitt s'envoie une bonne rasade de jus de pomme distillé.

- Mouais... Il vaut pas le mien. Il a comme un goût de pas naturel.

- De pas naturel ? S'insurge Chapraut. Passez-moi ça que j'analyse à mon tour. Chapraut boit et passe la bouteille à Chapraud qui essuie le goulot du revers de la manche avant d'analyser le contenu.

- C'est vrai qu'il a comme un goût. Je préfère le vôtre, Kermitt.

Le père Kermitt fait éclater son plus beau sourire édenté.

- Faut comparer, dit Chapraud, péremptoire.

Kermitt sort la bouteille de sa musette et la tend à Chapraud qui boit une gorgée de calva.

- C'est vrai que le vôtre est bien meilleur question goût.

- Pfff ! dubitative Chapraut. Passez-moi cette bouteille, brigadier.

Chapraut s'enfile une lampée de calva "Kermitt" puis une de calva "Labornez".

- Mouais... OK. Le vôtre est meilleur, d'accord.

Les tests comparatifs continuent tant et si bien qu'à un moment, nos hommes se sentent tout chose.

- Z'avez vu les lumières ? Questionne Kermitt.

- Ah voui. Elles sont jolies.

- Et de toutes les couleurs, ajoute Chapraud.

- Et puis elles bougent joyeusement, dit Chapraut.

- Ça fait comme si qu'elles voulaient qu'on les suive, affirme Kermitt.

- On va les suivre, hein brigadier Chapraud ? Demande Chapraut.

- Tu l'as dit, mon n'veu ! Taïaut ! Sus aux lumières !

Les trois hommes se lèvent et arpentent la cave dans tous les sens parcourant certainement des kilomètres avant de ressortir de la cave et de se diriger vers l'étang proche dans lequel ils s'asseyent avant de sombrer dans un profond sommeil peuplé de rêves emplis de téléphone à manivelle, de barque en cuivre, de train électrique, de bouteilles de calvados, de grand-père gendarme, de motocyclettes diverses et de soif inextinguible.

De passage par là, Henri qui rentre des champs sur sa bicyclette avise nos hommes allongés dans l'étang. Intrigué, il s'approche et reconnaît les gendarmes et le père Kermitt. Tout sourire, il pédale de toutes ses forces jusqu'au café à José où il raconte ce qu'il a vu de ses yeux vus. La nouvelle ne met pas longtemps pour gagner tout le village et les oreilles de l'adjudant-chef Le Trouduc, lequel affrète le dernier véhicule de la brigade pour aller chercher ses hommes qu'il sort de l'eau avec colère. Il raccompagne ses piteux brigadiers à la brigade et les place en cellule de dégrisement. Kermitt, lui, a été déposé sur son perron où il doit encore être en train de ronfler.

Le lendemain matin, les deux brigadiers sont étonnés de se trouver derrière les barreaux. Ils vitupèrent jusqu'à ce que l'adjudant-chef vienne les visiter.

- Bravo, les Chapraudt ! Bravo ! Une fois de plus, vous avez ridiculisé le corps de la gendarmerie. Bravo ! Cette fois, vous êtes bon pour des sanctions disciplinaires.

- On est retourné chez la Labornez, chef ! Il y avait des lumières bizarres.

- Des lumières qui nous demandaient de les suivre ! Ajoute Chapraud.

- Vous étiez saouls ! Complètement ivres ! Vous êtes des bons à rien ! Je vais porter le pet en haut lieu ! Vous êtes bon pour la rétrogradation !

- Mais chef ! Je vous dis qu'il y a des événements bizarres chez la Labornez !

- Ah oui ? Des événements bizarres chez la Labornez ? Vraiment ? Bon. On va y aller, chez la Labornez. On va y aller. Et vous allez me montrer ces événements bizarres. Gare à vous ! Gare à vous ! Vous risquez d'être conduits à la démission et au déshonneur ! Je vous laisse deux heures pour décuver et après, on y va, chez la Labornez !

Deux heures plus tard, trois gendarmes dont deux qui affichent les affres de la gueule de bois arrivent sur ce qui fut la maison Labornez.

- Voyez mon adjudant, là, il y a l'entrée de la cave !

L'adjudant-chef Le Trouduc tire sur sa veste et époussète ses bas de pantalon, excédé.

- Oui. L'entrée de la cave. Bravo ! Et ?

- Et faut descendre, chef. Dit Chapraut.

- Descendons, descendons.

- Voyez, chef ? Tout comme on vous a dit ! Les foudres, les bouteilles, tout !

- D'ailleurs, en parlant de bouteilles... Tente Chapraut.

- Non ! Fini les bouteilles ! F-I-N-I !

- Pour analyse, chef ! Il a comme un goût, ce calva à la Labornez.

- Un goût ? Un goût de quoi ? Un goût de pomme ?

- Oui, aussi. Mais pas que !

- Un goût ? Attendez un instant.

L'adjudant-chef prend une bouteille ouverte et la porte à son nez.

- C'est pourtant vrai qu'il y a comme une odeur étrange.

- Au goût, ça se sent à peine. Assure Chapraut qui espère qu'on lui passe la bouteille.

- On va faire analyser. Vous avez raison.

- On peut analyser nous-même ! S'insurge Chapraut.

- On peut. Ajoute Chapraud.

- On remonte ! Ordonne le chef.

En faisant la gueule, les deux brigadiers sortent de la cave. Le convoi reprend la route de la brigade.

L'adjudant-chef fait parvenir la bouteille de calva aux services d'analyse de la Gendarmerie nationale. Les deux brigadiers sont renvoyés chez eux.

Roland est réveillé par une bonne odeur de café frais. Il s'habille et descend rejoindre tante Etzelle dans la cuisine. Sur la table, un bol l'attend.

- Tiens ! Roland ! Bien dormi ?

- Comme un loir ! Et vous ?

- Très bien, merci. Installez-vous, je vous sers un café. Il n'y a rien à manger, je suis désolé.

- Un bon café noir, ce sera parfait, merci.

Il prend deux morceaux de sucre et les laisse glisser dans le café.

- Je repensais à cette histoire d'Atlantide. Ça ne tient pas la route. Je pense que l'on cherche des indices bien compliqués alors que la solution est sous nos yeux. Si cette solution avait été dans un tableau, ça serait un tableau que j'aurais, pas une carte !

- Sauf s'il faut utiliser la carte en combinaison avec un tableau... ou plusieurs tableaux. Buvez votre café, Roland, il va refroidir.

- J'ai pensé à quelque chose, cette nuit. On m'a laissé tranquille durant des années et tout semble s'être agité d'un seul coup ou presque. Comme s'il s'était passé quelque chose qui avait déclenché l'affaire.

- Vous avez raison. Mais qu'est-ce qui a déclenché tout ça ? Mystère !

- Plus j'y pense et plus je suis persuadé que c'est moi qui ai tout mis en route. Je vous explique. Je suis dans la dèche, j'ai pas un rond et il y a ce Gérard Moyeux qui débarque, pour me saisir, je pense. Et là, c'est moi qui lui parle de mon "trésor".

- Gérard et sa femme, Colette... Vous avez raison. Il faut tenter de comprendre tout ça.

- C'est grâce à ces deux là que l'on remontera jusqu'au Nautilus... Ou jusqu'à autre chose. Enfin jusqu'à un truc qui doit valoir le coup, vu le monde que ça a l'air d'intéresser et les moyens mis en œuvre.

- Gaëlle, Alice et Robert devraient bientôt arriver. On réfléchira ensemble. En attendant, qu'est-ce qu'il vous plairait de manger, pour midi ? Je vais aller faire quelques courses au village.

- Vous pourriez me prendre des cigarettes ?

- Des Gauloises ? C'est ce que fumait l'oncle.

- Oui, ça ira. Par contre, j'ai pas de quoi payer.

- Ce n'est pas grave. J'avance.

- Merci.

La tante Etzelle sort et Roland entend la Peugeot démarrer et s'éloigner. Il va faire un brin de toilette et revient au salon. Il s'installe dans un fauteuil et se saisit du tableau pour l'observer encore.

Le paysage ne lui dit rien. Le bateau ne lui dit pas grand chose non plus. Peu probable que l'un et l'autre existent dans la réalité, se dit-il. Il reste les autres indices. La femme coiffée d'un cône, par exemple. Un cône ! Qu'est-ce que ça peut vouloir dire ? Et si ce cône était une flèche ? Et s'il indiquait une direction ? Avec le doigt, il tente une trajectoire qui se perd dans les nuages. Non. Ce n'est pas la bonne piste. Et si ce cône était une flèche en trois dimensions ? S'il fallait tenir compte de son orientation dans un espace tri-dimensionnel ? Il s'efforce d'imaginer ce que pointerait cette flèche en tenant compte de la disposition de la base du cône. Là, ça pourrait pointer vers la falaise. Enfin ce n'est tout de même pas très probant. Autre chose. Il doit y avoir autre chose ! Bon sang ! Le nom du bateau ? Saint Michel III... Possible. Le bateau de Jules Verne. Ça ne peut pas être un hasard. Il ne peut pas être là par hasard, bon sang. Quel rapport entre ce bateau, le cône et le Nautilus ?

Roland repose le tableau et va dans la cuisine se servir un verre d'eau au robinet. Par la fenêtre, il observe le paysage triste sous la pluie et dans le vent. Il revient au salon et s'approche de la bibliothèque. Des tas d'ouvrages sur les voiliers et sur la peinture, des romans, des atlas. Sur une étagère, il avise une loupe. Il s'en saisit et revient vers le tableau. Il s'assied dans un autre fauteuil et il commence à observer le tableau à l'envers. Il approche la loupe et cherche des détails qui auraient pu lui échapper. Pas d'inscription cachée, pas d'indice, rien. Il pose la loupe et laisse reposer son menton dans ses mains ouvertes, le regard perdu dans la peinture. Le cône. Toujours le cône ! Il le sent, la solution est là. Une intuition.

La carte. Il faudrait que Robert, Gaëlle et Alice arrivent avec l'autre tableau et la carte. Il faut regrouper tous les éléments.

Plongé dans ses pensées, Roland va faire du café. Il vide la chaussette de la cafetière, la passe sous l'eau, verse quelques cuillères de café et fait chauffer de l'eau dans une casserole. Lorsque celle-ci frémit, il la verse dans la cafetière et plonge la chaussette dans l'eau. Il pose la cafetière sur le dessous de plat de la table et s'assied. La voiture de tante Etzelle se fait entendre. Roland se lève et va chercher un autre bol pour elle.

Tante Etzelle entre avec ses courses.

- Ils ne sont toujours pas arrivés ?

- Toujours pas. Il ne vont pas tarder. Un café ?

- Volontiers.

- J'ai observé le tableau. J'ai le sentiment que la clé est dans la coiffe de la figure de proue que l'on voit aussi sur l'autre tableau. Par contre, je n'arrive à rien.

- Buvons notre café. J'ai pris du poisson. On le fera avec des pommes de terre vapeur. Ça vous va ?

- Très bien, oui. Vous voulez que j'épluche les patates ?

- Il y a un économe dans le tiroir de la table, je crois.

Roland va prendre les pommes de terre dans le cabas.

- Je prévois pour les autres ?

- On ne sait pas quand ils arriveront. Et puis, je n'ai pris du poisson que pour nous deux.

...

- Il faut faire un constat amiable !

Arthur est allé chercher le formulaire dans l'épave de la 4L jaune et le brandit bien haut.

- Je ne suis pas en tort. C'est vous qui m'êtes rentré dedans, ajoute-t-il d'un ton impérieux.

- Tout à l'heure, tout à l'heure, élude Robert

- Ça commence à bien faire ! hurle le facteur. J'en ai marre, moi ! J'ai du courrier à distribuer et je suis loin de ma tournée réglementaire. Je n'ai rien à voir avec vos histoires. Moi, je veux revoir Pont-Aven.

- Oui enfin c'est pas avec votre épave que vous allez vous y rendre, à Pont-Aven. déclare Alice.

- On fait quoi alors ? Demande Gaëlle. L'ambulance est en piteux état elle aussi.

- Elle doit pouvoir rouler, juge Robert de retour d'une inspection rapide. Il y a un phare qui pend et le pare-choc qui est bien défoncé mais ça devrait aller. Par contre, on fait quoi de Gérard et du facteur ?

Gérard est assis sur le talus à proximité immédiate de la crise de nerf. Il semble totalement abattu. Gaëlle, elle, est partie à l'arrière de l'ambulance. On l'entend fredonner une chanson à sa manière. On la voit revenir lestée d'une bouteille d'oxygène. D'un pas décidé, elle se dirige vers Gérard qui lève les yeux vers elle juste au moment où, brandissant le cylindre d'acier, elle frappe.

- Pour ce Gérard de malheur, c'est réglé ! jubile Gaëlle. Pour le facteur, par contre...

- On l'emmène avec nous, décide Alice.

- Et mon constat ?

- On verra.

- Et ma 4L !

- Elle est morte.

- Et le courrier !

- Il attendra.

On entrave les mains et les pieds de Gérard avant de le basculer de l'autre côté du talus. Il s'écrase dans les sillons d'un champ labouré. De la plaie de sa tête s'échappe un sang vermeil et impur.

N'écoutant pas les jérémiades du facteur, on le pousse dans l'ambulance. Robert le surveille, Alice prend le volant et Gaëlle caresse amoureusement la bouteille d'oxygène.

- C'est reparti !

- Direction Barfleur !

Alice manœuvre pour éviter l'épave de la 4L jaune et presse l'accélérateur.

- Barfleur, nous voilà !

...

- Allo ? Adjudant-chef Le Trouduc, brigade de Pont-Aven.

- Mes respects mon adjudant. Brigadier-chef Poulet, mon adjudant. C'est rapport à l'analyse du contenu duquel au sujet vous avec demandé analyse.

- Ah bien ! Très bien ! Alors ?

- C'est du bizarre, mon adjudant. Du très bizarre. On a analysé comme on a pu mais on a préféré faire appel au laboratoire général.

- Mais vous, vous avez vu quoi dans vos analyses ?

- Une légère glycémie et de légères traces d'albumine, chef

- L'analyse du contenu, pas de vos urines !

- Au temps pour moi, chef. L'analyse a permis de détecter comme qui dirait une sorte de substance hallucinogène sensiblement comparable au LSD, chef !

- Voilà qui explique certaines choses. Et rien d'autres ?

- Si chef. Il y aurait aussi comme qui dirait de la substance aphrodisiaque.

- Fichtre ! Merci. Et c'est tout ?

- Non chef. Il y aurait aussi de la pomme.

- Merci, brigadier.

...

A la fabrique de bébés, Lafleur lance un lugubre rire sardonique. Son entreprise ne semble plus rien avoir à craindre des malveillants. Il va pouvoir continuer à mener à bien sa terribre mission ! Les chaînes de production tournent à plein régime et crachent ses pilules contraceptives frelatées qui, au lieu d'éviter la grossesse poussent les femmes à la débauche sexuelle tout en les rendant extraordinairement fécondes. Il est content, Lafleur. Il sent qu'il est proche de la réussite totale de son formidable complot. Bientôt, il mettra la main sur le Nautilus et, alors que des enfants naîtront par dizaines de millions à la surface de la planète, lui pourra vivre seul au fond des océans ! L'accroissement de la population mondiale provoquera guerres, pénuries et hécatombes. Il remontera à la surface lorsque celle-ci sera suffisamment nettoyée. Il lance un rire encore plus effroyable et retourne se concocter un cocktail. Il est heureux, Lafleur !

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