Escroqueries bien tranchées

On me l'avait présenté sur le ton de la théorie du complot. A la veille de l'anniversaire du début de la guerre de 14-18, un écrivain et son éditeur faisaient un coup marketing en publiant un roman qui avait la Grande Guerre comme toile de fond. Comme par hasard ! Et puis, j'ai entendu des critiques, j'ai écouté d'autres personnes. Et puis, j'ai lu "Au revoir là-haut" de Pierre Lemaitre, Goncourt 2013. J'ai aimé.

Je ne vais pas vous raconter le livre. Il est nettement préférable que vous fassiez l'effort de le trouver et de le lire. Tout de même, je peux vous expliquer que ce roman à la fois drôle et cruel se déroule en deux temps. Le premier a pour décor le front, les tranchées, la guerre, ses horreurs et sa bêtise, aux derniers jours de la guerre, en novembre 1918. Le second se situe dans les années d'après guerre, alors que les soldats sont démobilisés et que la société n'a rien prévu pour eux et que le pays peine à se reconstruire. Les personnages principaux sont présentés dès les premières pages. Nous avons deux soldats, Albert et Edouard, et un gradé à particule, le lieutenant d'Aulnay-Pradelle. Un beau salopard, celui-là.
Pour gagner du galon, le lieutenant n'hésite pas à commettre une vraie belle saloperie afin de se trouver une raison de lancer une offensive. Au cours de celle-ci, Albert se retrouve enterré vivant après l'explosion d'un obus et il est sauvé par Edouard qui n'en sortira pas indemne. Il y gagne une patte folle et le statut de "gueule cassée".
La guerre est terminée. Les Boches ont capitulé, l'armistice est signée. Albert et Edouard se retrouvent à vivre ensemble. Albert se sent redevable vis-à-vis de Edouard ; Edouard a besoin de Albert. Les temps sont durs pour ces deux démobilisés. Edouard va avoir l'idée d'une arnaque à grande échelle, une arnaque amorale. De son côté, Henri d'Aulnay-Pradelle a fait un beau mariage d'argent. Il a de l'ambition, le lieutenant devenu capitaine ! Il veut de l'argent et vite et à n'importe quel prix. Lui aussi va imaginer une arnaque. Tout aussi amorale. Elle est belle la France d'après-guerre !

Au revoir là-haut — Pierre Lemaitre
Sur fond de détresse, de misère, de tristesse et de désespoir, Pierre Lemaitre propose un roman plein d'humour noir. L'histoire a pour toile de fond cette grande guerre que l'on va commémorer cette année mais l'auteur ne procède pas spécialement à une dénonciation de cette guerre et de ses atrocités. C'est un roman humain qui s'attarde sur quelques personnages exceptionnellement bien croqués, presque à la limite de la caricature, parfois. Je n'ai pas de conseil à donner à Jacques Tardi[1] mais je serais lui, j'engagerais des pourparlers avec Pierre Lemaitre pour une adaptation en bande dessinée. De l'humour, il y en a et pas qu'un peu. De l'humour noir, je l'ai dit. De l'humour un peu cynique, aussi. Ce n'est définitivement pas un roman triste.
"Au revoir là-haut" est de ces romans que l'on ne peut pas lâcher lorsque l'on les a commencé. On veut savoir. On veut connaître la suite. On veut comprendre comment les personnages vont se sortir de la situation. On espère que ça va aller dans le sens que l'on souhaiterait. On veut que le personnage détestable parmi tous, d'Aulnay-Pradelle, paie cher la conséquence de ses saloperies, de son appât du gain, de son avidité, de son désir de réussite sociale. Qu'il crève ! Et puis non. Pierre Lemaitre a raison. Qu'il vive, plutôt ! C'est encore plus cruel.
Edouard, dans son personnage de gueule cassée accro aux opiacés, est sans doute un peu trop dans la caricature. C'est à la fois le personnage le plus important du roman et celui qui a le moins d'importance. C'est le pivot. C'est le lien entre Albert et d'Aulnay-Pradelle. C'est aussi le cerveau de l'affaire.
Albert, c'est le pleutre, le craintif, celui qui ne ferait rien si les événements ne l'obligeaient pas à agir. Ce n'est pas un héros. Il subit, il suit, il obéit. Et comme par hasard, c'est aussi celui qui tirera son épingle du jeu. Malgré lui et malgré tout. Sans Edouard, il serait mort à quelques jours de la fin de la guerre. Sans Edouard, il aurait eu une vie médiocre d'employé de bureau. Dans le meilleur des cas. Il va rencontrer l'amour. Il va lutter contre son manque de courage et il va s'en sortir. Et c'est très bien ainsi. Pierre Lemaitre nous indique clairement quel est le personnage détestable du roman mais il nous laisse libre de penser ce que l'on veut des autres personnages. Pour ma part, j'aime beaucoup Joseph Merlin[2].
Si ce n'est pas déjà fait, je vous conseille la lecture de ce roman. Lisez-le et conseillez-le à votre tour à d'autres personnes. Il mérite son succès, il mérite d'être lu. En plus, on y prend un réel plaisir.
"Au revoir là-haut" — Pierre Lemaitre - Albin Michel

Notes

[1] Qui a montré son intérêt pour la guerre de 14-18 à maintes reprises.

[2] qui est un personnage "à la Tardi", c'est certain.

Un commentaire à ajouter ?

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page