Lorsque, dans la nuit, les yeux refusent de se fermer, il faut bien faire quelque chose. Je me lève, vais faire la vaisselle, range, fait le ménage, brique tout, nettoie, classe, inspecte, chasse la poussière… Euh… Non. Ça pourrait être une idée, dans le fond. Une drôle de bonne idée, même. Dommage qu'elle ne me vienne jamais à l'esprit.
Dans la nuit éveillée, je ne fais pas le ménage du tout, je bouquine. Cette nuit, j'ai refermé un gros bouquin de Stephen King, "Sac d'os", un peu plus de six cents pages. C'est un livre qui date de vingt ans.
Longtemps, j'ai eu un avis très partagé sur l'œuvre de Stephen King. J'avais lu et apprécié certains de ses romans — "Marche ou crève", "Cujo", "Dead zone" ou "Misery" — tout en refusant les histoires trop fantastiques que je pressentais trop faciles.
Selon moi, il est simple de bâtir une histoire dès lors que l'on se donne le droit de refuser toute vraisemblance. Ce qui est moins simple, c'est de le faire accepter au lecteur. Il s'agit de décrocher l'adhésion du lecteur, de l'amener à approuver la convention que l'auteur lui propose. C'est le ressort de toute histoire, vraie ou imaginaire, depuis le conte jusqu'au roman, depuis le théâtre jusqu'au cinéma. L'idée est de proposer un marché à celui qui va recevoir l'histoire : ce que je vais te raconter, tu dois accepter de l'avaler tel que j'ai envie de te le dire".
Peut-être bien que le procédé est "vieux comme le monde". Depuis l'Antiquité, du moins, c'est avéré. Durant le deuxième millénaire avant l'ère chrétienne, "l'Épopée de Gilgamesh" réjouissait déjà la Mésopotamie. Il est probable qu'avant d'avoir été écrites, les légendes et récits étaient de tradition orale. On peut imaginer que l'être humain a depuis longtemps aimé entrer dans le monde de l'histoire fantastique, qu'il aime l'incroyable et le légendaire. Toutes ces histoires ont pu servir le pouvoir, politique ou religieux, mais elles ont aussi certainement cherché à distraire, à amuser, à faire frissonner ou à instruire. On ne saura jamais ce que racontent les peintures et gravures des grottes préhistoriques, on ne percera jamais l'imaginaire de ces ancêtres. On ne saura jamais non plus à quel moment l'Homme a commencé à se raconter des histoires. On ne saura encore plus sûrement jamais si seul l'Homme est capable de se raconter ces histoires dans le monde animal, d'ailleurs.
On dit couramment que le roman moderne naît au XIXesiècle. Les plus grands romanciers français feuilletonnaient dans les journaux. Il s'agissait de tenir le lecteur en haleine, de lui donner l'envie d'attendre avec impatience le journal du lendemain et la suite de l'histoire. Dès lors, on peut parler de "mécanique de l'écriture". On a conçu des procédés, on a posé les bases de ce que l'on appelle aujourd'hui "cliffhanger" pour faire croire que l'on parle la langue anglaise. Le suspense a été bien utilisé en BD ou dans le cinéma. Le héros est blessé, il a perdu deux jambes, un œil, trois dents et ses cheveux, la jungle est la proie des flammes, un tigre aux dents de sabre montre les crocs et la falaise qui surplombe un précipice de plusieurs centaines de mètres menace de s'effondrer. Comment le héros va-t-il s'en sortir ? La suite au prochain épisode !
Le lecteur ou le spectateur doivent accepter l'histoire. Ils vont devoir faire semblant de croire, ne serait-ce qu'un instant, les mensonges que l'on leur raconte. C'est ça, la convention. Au théâtre, personne n'est dupe. On sait bien que ce qui se passe sur la scène n'est pas le vrai et qu'à la fin, même les morts seront là pour saluer le public. Dans un roman, une BD, un film, on doit même parfois faire l'effort de se rappeler que ce n'est pas la réalité. Le but de tout ça, c'est de faire naître l'émotion, le rire ou les pleurs, la joie ou la tristesse, l'amour ou la haine.
J'ai pu voir des enfants suspendus, la bouche ouverte et les yeux grands ouverts, aux mots d'une conteuse. L'enfant sait que l'histoire n'est pas vraie ou que, tout du moins, elle ne les atteindra pas vraiment. Le loup n'est pas dans la pièce, la sorcière ne les attend pas. Et pourtant, la peur est là, bien réelle, elle. Pour un instant peut-être mais pendant cet instant très forte.
Susciter le sentiment, c'est proposer à l'auditeur, au lecteur, au spectateur, de prendre la place de la personne du conte, de l'histoire. C'est faire appel à l'empathie, à cette capacité de ressentir ce que ressent l'autre. Se mettre à la place de l'autre, c'est lui prendre quelque chose, se construire à travers lui. On parle de neurones miroir. Ça fait un peu débat d'après ce que j'ai pu lire à ce propos. Je suis bien incapable de dire et comprendre ce qu'il en est réellement mais l'idée me plaît.
Et donc, j'ai terminé la lecture de ce bouquin de Stephen King. Comme je le disais un peu plus haut, je ne suis pas un fan inconditionnel de cet auteur. Il me semble simple de susciter la peur et, plus simple encore, de conduire le lecteur à baisser les bras et à gober tout et n'importe quoi. Stephen King est considéré comme un maître de l'épouvante. C'est sans doute — et sans conteste — un brillant technicien. Il sait faire, il a compris comment faire. J'ai cherché à comprendre cette technique.
"Sac d'os" est un roman de six cents pages. C'est un peu long. Les premières centaines de pages m'ont un peu ennuyé. Il ne s'y passe finalement pas grand chose d'autre que de l'anecdotique. Le personnage principal est un auteur à succès (il y a une pointe d'autobiographie) heureux en ménage. Soudainement sa femme meurt. Il perd le goût à l'écriture, pense que c'est l'effet de la dépression, décide de partir dans sa maison du bord du lac. Cette maison est hantée. Il rencontre une jeune femme, veuve mère d'une charmante petite fille. Il tombe amoureux mais alors il se rend compte qu'un lourd secret pèse sur la petite communauté de ce petit patelin isolé du Maine. Un siècle plus tôt, un horrible crime raciste a eu lieu ici. Une femme noire a été violée et assassinée par un groupe d'hommes du cru qui ont aussi tué le jeune fils de la pauvre victime. Son fantôme va leur faire payer en exigeant que les descendants des criminels meurent aussi. Le héros comprend tout ça et parvient, au péril de sa vie, à sauver la charmante petite fille de la belle femme blonde dont il est tombé amoureux mais qui, malheureusement, sera assassinée.
L'histoire ne casse pas trois pattes à un canard. Bon d'accord, je ne raconte pas vraiment tout non plus, c'est un peu plus complexe que ça. Selon moi, la simplicité est de faire appel au surnaturel. A partir de là, on peut bien dire et faire tout ce que l'on veut. On est en dehors du rationnel, on ne peut pas contrer l'auteur en lui disant : "Eh ! Ho ! Tu racontes quoi, là ? Tu te moques de nous ?".
Mais pour que ça marche, il faut amener le lecteur à plonger dans le récit peu à peu. Il faut qu'il s'y enfonce, qu'il lâche prise, qu'il s'y noie. C'est là une des techniques bien rodées de Stephen King. Il conduit son lecteur dans son histoire et l'empêche d'en sortir avant la fin. C'est tout un art. Il faut y aller progressivement et susciter l'envie d'aller au bout. Au début, on baille presque à lire les affres de cet auteur qui ne parvient plus à écrire après le décès de sa femme. On accepte qu'il se rende dans sa maison du bord du lac dans l'idée que ça lui changera les idées. Puisqu'à ce stade il ne se passe toujours pas grand chose, on est heureux de voir surgir des fantômes. A partir de là (si on est resté jusque là), on a envie de voir où tout cela va nous mener.
Les ficelles peuvent être grosses, l'auteur sait bien comment mener son lecteur par le bout du nez. Vers la fin du roman, Stephen King utilise son personnage d'écrivain à succès (lui donc) pour se questionner sur le droit que l'auteur a à décrire l'horreur, l'horreur des crimes racistes, du viol, pour faire frissonner le lecteur. Parce que le lecteur est complice. Il prend un plaisir malsain à lire tout ça. Même s'il condamne les crimes et les viols, il est dans la position du voyeur immobile. Le lecteur est aussi coupable que l'auteur. C'est assez malin de clore le roman de la sorte, je trouve.
La technique de Stephen King, c'est de fatiguer son lecteur, de l'hypnotiser mollement. Le lecteur ne s'appartient plus tout à fait, il est sous la coupe du romancier, envoûté, sous le charme d'un esprit malin. Je ne pense pas que Stephen King soit un grand écrivain de par son style. Je ne le lis pas en anglais, je n'ai accès qu'à la traduction française, mais quoi qu'il en soit je ne pense pas que ce soit la qualité littéraire du texte qui fait son succès populaire. Il n'y a pas beaucoup de transmission d'idées fortes qui feront réfléchir le lecteur, les idées philosophiques sont peu nombreuses. C'est du divertissement efficace parfois un peu trop délayé.
Ce que je reproche un peu à ce genre littéraire, c'est que tout est trop facilement permis. Dans un roman policier, il faut que l'intrigue tienne un peu la route, il faut faire gaffe à ne pas laisser trop d'incohérences. Dans le fantastique, on peut s'affranchir de presque tout. Je suis persuadé que c'est le genre idéal pour de l'écriture automatique. Quoi qu'il se passe, on pourra toujours retomber sur ses pieds d'une manière ou d'une autre. Vous pouvez réveiller les morts et faire repousser les cheveux, faire entrer en scène des êtres chimériques et faire parler des objets. Aucune limite. Tout ça pour susciter les émotions contradictoires, le plaisir et la peur.
Je persiste à ne pas être un inconditionnel des romans de Stephen King mais je reconnais son talent et son imagination efficaces. Faut-il lire "Sac d'os" ? Je ne sais pas. Je suppose que l'on faire l'impasse sur ce roman mais il faut reconnaître que sa lecture n'est pas désagréable et que ça fait passer les nuits blanches un peu plus rapidement.
1 De Tournesol - 14/06/2018, 10:47
Vous avez donc achever lecture de l’œuvre de Marcel Proust ?
2 De Le prof Turbled - 14/06/2018, 11:10
y manque un E.Bon, comme critique littéraire, vous ne valez pas tripette. Dix pages pour finalement ne pas savoir si il faut lire ce bouquin...
D'accord avec vous, le genre permet toutes les pirouettes, toutes les entourloupes, toutes les facilités. J'aime pas!
3 De arielle - 14/06/2018, 11:17
Il y aurait tant de choses à dire sur les mythes et légendes et sur les contes ! De quoi faire des thèses de doctorat, du coup je vais me recoucher :-)
4 De Michel - 14/06/2018, 14:07
@Tournesol : On y arrive. Je ne lirai sans doute pas l'œuvre dans son entier.
@Le prof Turbled : Corrigé.
@arielle : Super !
5 De Tournesol - 14/06/2018, 18:18
Bon,ben:
Quand Arielle dort,plus rien ne bouge.....( d’après Brel)
6 De Liaan - 14/06/2018, 18:42
De Stephen King, je n'ai rien lu.
Par contre, j'ai dû voir pas mal de films tirés de ses œuvres.
Un auteur un peu beaucoup fantastique que j'aime bien, chez les ricains, c'est Richard Matheson. Je crois que c'est lui qui a écrit une histoire de maison hantée (je ne retrouve pas ce bouquin dans mon fouillis), une histoire qui m'a fichu les flubes ! Pourtant, je me sens d'esprit bien cartésien, et ne veux pas croire à beaucoup de sornettes, mais là... Est-ce la qualité de l'écriture, le fait que Matheson fait intervenir des personnages incrédules dans le récit ? Où j'avais dépassé la dose maximale de Nég'ita ? Bref, je me suis fait peur en lisant ce bouquin... J'avais prêté ce livre à une jeune collègue de 25/26 ans qui n'a pas eu peur du tout en le lisant...
7 De Steven Kin Jong 1 - 14/06/2018, 19:02
Terreur au marais. (tentative de début de roman noir)
Emma s’approcha de l’étang. Une brume froide et visqueuse pénétrait sa chair, sans pour autant la faire frissonner. Elle était pieds nus, et avançait lentement sur un tapis glauque et spongieux. Seuls, quelques clapotis troublaient un silence glacial. Les arbres n’étaient que des ombres hérissées vers un ciel menaçant. Elle marchait comme une automate, farcie de…
Et voilà, l’erreur… on commence avec un suspensE à couper au couteau, et muni du terrible instrument, on se laisse aller à la recette de cuisine.
Ah ! l’écriture automatique, c’est comme les voitures qui roulent toutes seules, des fois ça déraille. Comme les trains, aussi.
Bon, finalement voilà plutôt la recette des tomates farcies :
- Préchauffez votre four (180 °C).
- Hachez l’oignon, l’échalote ainsi que l’ail et faites-les revenir dans l’huile d’olive, dans une poêle.
- Sortez les condiments de la poêle et ajoutez la viande hachée et la chapelure.
- Salez et poivrez.
- Lavez les tomates et décapitez-les (Ah, je savais bien qu’il y aurait du sang !) sur 1 cm de hauteur.
- Enlevez la chair et les pépins pour les vider puis remplissez-les de farce.
- Enfournez environ 45 minutes sans le haut de la tomate.
- 5 minutes avant la fin de cuisson, ajoutez le couvercle sur les tomates
Bon appétit !
(Attention à ne pas se couper bêtement avec le couteau)
8 De Tournesol - 14/06/2018, 19:32
@Steven Kin Jong 1 : j’ai suivi vos conseils,je me suis coupé intelligemment,ça fait mal quand même !
9 De Steven Kin Jong 1 - 14/06/2018, 19:35
@Tournesol : essayez à nouveau, avec l'autre main. Des fois, ça ne marche pas du premier coup.
10 De Steve Mc Queen-Jong I - 14/06/2018, 19:53
@Steven Kin Jong 1 : Votre recette de tomates farcies ne fonctionne pas pour les personnes intolérantes à la tomate. Pour ma part, je fais mes tomates farcies avec du concombre et du Nutella.
11 De arielle - 14/06/2018, 20:00
@Tournesol : Oh ! Merci que c'est joli ! Hips de chez hips et pourtant le vernissage ce n'est que demain mais les préparatifs me donnent soif:-))))
12 De Steven Kin Jong 1 - 14/06/2018, 20:56
@Steve Mc Queen-Jong I : Méfiez-vous, intolérant à la tomate, donc sûrement à l’huile de palme, au glyphosates, au bisulfure de cadmium, à l’E151, au bleu de méthylène et à l’eau lourde. Alors le Nutella, c’est pas raisonnable.
13 De Tournesol - 14/06/2018, 21:05
@arielle : hips,hips,hips,Hourra!!
La soif est quelque chose que je comprends !
Il faut toujours être ivre,c’est l’unique question.Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui courbe vos épaules et vous penche vers la terre,il faut vous enivrer sans trêve.Mais de quoi? ( Baudelaire.)
14 De fifi - 14/06/2018, 21:14
@Tournesol : Marcel Proust, c'est bien le mec qui arrive en quatrième place après Pierre Joseph Proudhon dans le dictionnaire ?
Je n'ai pas de souvenir d'avoir lu Proust - Proudhon, oui .
15 De Tournesol - 14/06/2018, 22:44
@fifi : bravo,je n’ai réussi à lire ni l’un ni l’autre:-))
16 De Tournesol - 15/06/2018, 09:14
« Ayez en honneur le sommeil et respectez le!C’est la chose première.Et évitez tous ceux qui dorment mal et sont éveillés la nuit!...Dix fois dans la journée il te faut rire et être joyeux:autrement tu seras dérangé la nuit par ton estomac,ce père de l’affliction....Peu de gens savent cela mais il faut avoir toutes les vertus pour bien dormir. »( Nietzsche,ainsi parlait Zarathoustra)
Et pour rire,ce conseil de Beaumarchais : il faut rire avant d’etre heureux, de peur de mourir sans avoir jamais ri.