Amateurs de tranquilles ballades champêtres, écouteurs de ritournelles charmantes, laudateurs de jolies petites mélodies gracieuses, passez votre chemin ! Aujourd'hui, je vais vous parler de GY!BE.
Hier soir, événement, GY!BE se produisait en concert en banlieue bordelaise, au Rocher de Palmer, à Cenon. J'y étais. Vous ne connaissez pas GY!BE ? Ce n'est pas grave, je ne connaissais pas moi même il n'y a pas si longtemps. Je m'en vais vous expliquer tout ça dans la seule limite de ce que j'ai pu comprendre. Je vous souhaite bon courage.
GY!BE. Sous ce nom pour le moins bizarre se cache "Godspeed You ! Black Emperor". Comme vous, je ne suis pas loin de penser que cela n'explique rien et que l'on a cherché à jeter un gros soupçon de mystère sur cette formation musicale peu banale. GY!BE vient du Canada et serait basé au Québec. Pour autant, GY!BE ne semble pas être particulièrement francophone ou, tout du moins, ne fait rien pour le laisser penser. Ce n'est pas bien important dans la mesure où le groupe est très instrumental. Pas de chanteur mais quelques samples seulement. Par contre, le concert se déroule sur fond de projection vidéo qui laisse une grande place au texte, texte en langue anglaise. Rien de rédhibitoire pour autant.
Comme je vous le disais, je ne connaissais pas vraiment ce groupe. J'avais entendu quelques albums, j'avais lu ce que l'on en disait sur wikipedia et j'allais à ce concert "événement"[1] sans a priori notoire, avec une envie de découvrir et sans bien savoir à quoi m'attendre. Le peu que j'avais appris ne m'aidait pas beaucoup. Savoir que GY!BE est classé dans le mouvement post-rock[2] lorsque je suis incapable de comprendre ce qu'est le post-rock et que j'ai une nette tendance à le confondre, avec allégresse, avec le rock bruitiste, avec le rock industriel, avec le rock expérimental et avec le "n'importe quoi qui fait beaucoup de bruit" est forcément intéressant mais me laisse dans l'ignorance. Parce que j'avais tout de même entendu quelques morceaux de ce groupe, je ne m'attendais pas à de la musique calme et mélodique. J'étais ouvert à tout ou presque.
En première partie de GY!BE, Dead Rat Orchestra était une excellente et bonne découverte. Une musique teintée de folk anglais puisant à la source des traditionnels celtiques, irlandais ou écossais pour recomposer un imaginaire fort plaisant. Les deux musiciens[3] sont très sympathiques et souriants. Je vous enjoins vraiment à les traquer dans la programmation des festivals divers et à acheter leurs disques. Une très plaisante découverte d'une musique qui me touche bien[4].
Une courte pause pour finir d'installer les instruments et peaufiner les derniers réglages et voilà enfin les membres de GY!BE qui font leur apparition sur la scène sous un tonnerre d'aplaudissements. Nous allons voir ce que nous allons entendre ! Les musiciens se mettent en place, les amplis sont branchés et le son arrive. On m'a raconté n'importe quoi. Ce n'est pas du "post-rock", cette affaire ! C'est du rock gromeleux[5]. Ça commence par un salmigondis de sons qui monte peu à peu crescendo en restant dans l'esprit minimaliste du bruitisme de bon aloi. C'est un peu comme un bourdon imparfait, vous voyez le genre ? Comme une onde de choc en préparation, si vous aimez mieux. Il y a comme un truc qui est en train de se préparer et, on le sent, ça va aboutir à du lourd. Il ne nous faut pas nous attendre à de la finesse. Le ton est donné dès ces premières "notes". C'est une atmosphère[6] opressante, lourde, pesante qui est en train de se constituer. Ça monte, ça monte ! Le volume sonore, les enchevêtrements musicaux, les dissonances, les distorsions sonores. Les percussions pètent et on ressent la puissance jusqu'à son cœur intime qui bénéficie, au passage, d'un "message" cardiaque gratos. De dieu ! Il y a des Watt dans la sono ! La salle est comme pétrifiée. Nous sommes tous là[7].
Sur une toile tendue en fond de scène, des séquences vidéo sont projetées. De la vidéo remplie de chaos, des scènes choc, noires, tristes, propices à vous détériorer le moral d'une manière durable et prolongée. La problématique de GY!BE n'est pas de provoquer le rire, la bonne humeur et l'envie de vivre. Ou alors, si jamais telles étaient leurs intentions, c'est raté. Pour dire les choses telles que je les ai pu ressentir, la musique de GY!BE est flippante. D'une façon assez confuse, on comprend qu'il y a un désir de dénoncer. C'est certainement un discours politique qui se cache derrière tout cela. Une critique de nos sociétés ? Un pamphlet, me disait hier soir, à l'issu du concert, un très cher ami. Soit. Utiliser la violence pour lutter contre la violence. Le concept est séduisant faute d'être très explicite. Au risque de passer pour un parfait idiot, je reconnais ne pas avoir totalement saisi le discours. On me dit que ce concert et les morceaux joués hier soir tirent leur raison d'être dans les récentes manifestations qui ont secoué le Québec. Possible. J'imagine aisément que l'on peut aussi aller chercher dans une dénonciation du monde capitaliste[8], des malheurs de la planète, des outrages faits à la planète et toutes ces sortes de choses. Si le challenge est de nous faire ressentir la gravité du moment physiquement, c'est parfaitement réussi. On ne sort pas d'un concert de GY!BE avec un grand sourire et avec la conscience que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Ceci étant, on ne ressort pas non plus avec l'espoir d'avoir enfin trouvé la solution à toute cette merde et on ne peut s'empêcher de penser que c'est justement parce que des solutions, il n'y en a pas. C'est déprimant. Toutefois, vu de ma petite vie, depuis Azerat, aujourd'hui, avec un beau petit soleil qui apparaît et fait briller les belles couleurs des pierres du Périgord ainsi que les arbres qui se parent de leurs teintes automnales, j'ai la faiblesse de me laisser aller à un sursaut d'optimisme. Est-ce à dire que le discours de GY!BE est vain ?
Je ne suis pas musicologue. La musique est un art qui m'intéresse sans excès. Je ne la pratique pas et me contente d'une approche simpliste de la chose. J'aime écouter les musiques qui me plaisent et pour que les musiques me plaisent, j'aime qu'elles ne me demandent pas trop d'effort. Alors, aujourd'hui, j'ai un peu de difficulté à dire que j'aime vraiment la musique de GY!BE. Disons que je ne suis pas sûr de prendre plaisir à écouter leur musique. Selon moi, rien n'est fait pour rendre cette musique "plaisante". Elle est âpre, rugueuse, bruyante, explosante, détonante, vrillante, percutante, cacophonique, discordante, dissonante ; elle serait presque plus à subir qu'à écouter. Dans le domaine, GY!BE n'a rien inventé mais l'on peut dire qu'ils excellent à provoquer un, comme on le pourrait dire, état de choc chez l'auditeur. On connaît cela dans d'autres formes d'art. Dans la peinture, dans le cinéma, dans la littérature. Cette capacité à créer une sensation d'oppression et d'angoisse chez la "victime" consentante. L'art n'a pas pour fonction de ne proposer que du beau. L'art peut avoir le but de susciter l'émotion négative, de choquer, de terrifier. GY!BE est un maître de l'art en la matière, c'est indéniable.
Pour conclure ce long billet qui n'intéressera sans doute pas grand monde[9] je dirais donc que je ne suis pas certain de passer les quelques années qu'il me reste à vivre à écouter béatement les albums de GY!BE. Je suppose que, par étroitesse d'esprit et par facilité et par (mauvais) goût personnel, je vais continuer à privilégier les musiques que j'aime écouter habituellement, rester dans mes petites habitudes auditives bien faciles et confortables. Mais, si je dois crever idiot, je crèverai idiot avec la conscience tranquille. Je sais ce dont sont capables ces monstres de GY!BE, je sais ce qu'est un concert de GY!BE, je sais ce que c'est que la puissance à l'état brut d'un concert de GY!BE, je sais ce qu'est la tétanisation du public d'un concert de GY!BE. Et pour tout cela, je tiens à remercier GY!BE pour ce moment extraordinaire. Si jamais vous n'avez rien de mieux à faire, si jamais vous avez décidé d'en finir une bonne fois pour toute avec votre audition, si jamais vous voulez découvrir une "chose" étonnante et détonante. Renseignez-vous et ne ratez sous aucun prétexte le prochain concert de GY!BE ! Et pour finir, une dernière chose. Jamais vous n'écouterez GY!BE sur votre chaîne HI-FI à la mesure de ce que vous entendrez en concert. Ce n'est même pas la peine d'y penser.
"Dieu vitesse vous ! Empereur noir", qu'ils disent. C'est comme ils veulent, quand ils veulent.
Enfin de enfin, signalé par Boumbah! l'Unique, un article passionant sur le site du journal Libération à découvrir : lien vers l'article en question.