J'étais descendu dans le garage pour y chasser le mammouth. Il n'y en avait pas, sans doute n'avait-il pas assez plu. Le mammouth ne sort de son terrier qu'après de violentes pluies, c'est bien connu des chasseurs de mammouth. D'ailleurs, cette condition vaut aussi pour le brontosaure[1] sauf que le brontosaure vivait en Amérique et qu'Azerat ne s'y trouve pas. Comme il n'y avait pas de mammouth dans le garage, j'ai posé l'arc et les flèches pour me consacrer à une autre activité.
J'étais en train de faire le compte des câbles pour imprimante à la norme parallèle[2] lorsque j'ai aperçu une charmante souris qui me regardait de ses petits yeux brillants tout en remuant les moustaches. Ça m'a étonné parce que je n'avais encore jamais vu de souris chez moi. Je me doutais bien que, sauf à penser que ma maison fût bâtie sur un ancien cimetière indien, bien sûr, il n'y avait pas de raison valable pour que les souris désertent les lieux. Lorsqu'elle fut lassée d'observer mes agissements, elle s'en alla à vive allure suivie de sa longue queue.
J'en avais assez de compter ces câbles dont je n'ai pas l'usage, dont je n'ai jamais eu l'utilité, que j'avais récupérés à l'occasion du déménagement d'un magasin informatique à Périgueux auquel j'avais participé. Ces câbles devaient partir à la déchetterie et j'avais jugé que cela était dommage. On me proposa de les prendre. Quelques jours plus tard, j'essayai de les donner en passant un site de petites annonces. Je n'eus pas le moindre retour, la plus petite demande. Je me retrouvai avec une cargaison de câbles pour imprimante et voilà comment, pour partie, j'ai un garage particulièrement encombré.
En bougeant un carton, j'aperçois un négatif traînant à même le sol. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Comment était-il arrivé là ? Je ne le sais pas. Il n'était pas beau à voir. Je le ramassai et, heureux de ma trouvaille, je remontai pour le nettoyer et l'observer plus en détail. Dans un premier temps, je ne comprenais pas ce que représentaient les images. J'apercevais des voitures de voyageurs, je reconnaissais la gare de Terrasson-Lavilledieu mais pour le reste, je ne voyais pas bien. Il a fallu que je procède à une numérisation pour qu'enfin je comprenne et me souvienne de ces images enregistrées sur la pellicule.
Déjà, je suis quasi certain que ces images ne sont pas de moi. Il me semble même savoir qui les a faites. Elles sont toutes faites dans la gare de Terrasson ou à ses abords proches. Il y a un casier avec des documents, un système que j'identifie comme un poste de contrôle des aiguillages ou, tout du moins, de surveillance de ceux-ci. Une image est particulièrement dégradée, comme bouffée par l'humidité. Pour être honnête, aucun cliché n'est bien intéressant. Certaines photos sont floues, d'autres mal exposées.
Ces photos datent des années 90. A l'époque, je fréquentais le club photo de Terrasson et il me souvient que nous avions eu l'idée de monter une exposition sur le thème du chemin de fer. Le président du club était un ancien de la SNCF. Pour cette exposition, je me souviens de deux photos faites au Leica M4 et au Summicron 50. L'une d'elles représentait un morceau de wagon à marchandise. L'autre était une borne kilométrique en fonte prise vers Cublac sur la ligne Brive-Périgueux. Je n'ai aucun souvenir des autres photos qui avaient été exposées. Ça date d'entre 20 et 25 ans.
Ce bout de négatif n'a aucun intérêt mais je n'ai pas pu m'empêcher de penser que cette pellicule a passé une quinzaine d'années au fond de mon garage, qu'il a traîné par terre, qu'il s'est retrouvé sous un carton et qu'aujourd'hui je peux encore voir les images et, si besoin, les tirer sur papier. La trace a survécu. D'un autre côté, à la faveur de disques durs qui ont rendu l'âme, de CD et de DVD qui sont devenus illisibles, combien d'images numériques ai-je pu perdre ? Bien sûr, l'image imprimée sur la pellicule ne résisterait pas à un incendie ou à des mauvais traitements trop extrêmes mais tout de même. Comme une feuille de papier peut encore porter son message après un incendie, un fichier texte corrompu ne peut plus livrer grand chose[3].
La conservation des données numériques est un sacré problème auquel nous sommes tous plus ou moins confrontés. Il s'agit de la mémoire que nous pourrons transmettre aux générations futures. Pour limiter les pertes, on fait des copies et des copies de disques durs, on archive sur des bandes magnétiques, on compte sur la redondance en se disant que de tout ça il restera bien quelque chose. Et puis, on n'a jamais autant produit que de nos jours. La masse d'écrits, d'images, de sons est colossale et elle ne fait que grossir un peu plus tous les jours. Il y a tant de données nouvelles à s'ajouter à celles existantes que l'on ne peut sans doute même plus faire un tri entre ce qui mérite d'être conservé et le reste.
Bon. Une fois de plus, je n'amène pas de solution, je n'avance pas d'idée neuve. C'est juste l'histoire d'un type qui a trouvé un bout de négatif dans son garage, qui en a oublié ce qu'il y était venu faire et qui a perdu du temps à se poser des questions sur ces images exposées sur la pellicule. Il est incorrigible.
samedi 7 juillet 2018