Trouver chaussure à son pied

En 2008, l'ignoble Sarkozy a traversé la rue pour aller de la place Beauvau au Palais de l'Elysée. Pendant ce temps, à l'ouest de Périgueux, en Dordogne, une entreprise est en train de vivre ses derniers jours. Cette manufacture de chaussures date du 19e siècle. En 1939, elle entre dans le groupe Bata. Cette fabrique de chaussures s'appelle Marbot-Bata et elle va équiper l'armée, les pompiers, la police et quelques autres administrations durant plus d'un demi siècle. Alors que le gesticulant président affirme la nécessité de préserver l'industrie française, il va permettre la mort de Marbot-Bata pour des raisons économiques.
En ces premières années des années 2000, Marbot-Bata produit quelque chose comme 300000 paires de chaussures par an et donne du travail à une petite centaine d'ouvriers. Un nouvel appel d'offre de notre armée française va permettre au principal concurrent français de Marbot-Bata d'avancer un pion et de faire un coup bas. Cette entreprise délocalise depuis quelque temps une partie de sa production en Tunisie et cela lui permet, on l'aura compris, de répondre à l'appel d'offre en proposant des prix plus avantageux.
Chez Marbot-Bata, dans la vallée de l'Isle, on se prépare au dépôt de bilan[1]. Les politiques, le préfet de l'époque sont alertés mais ça n'y fera rien, le couperet tombe, l'entreprise fermera ses portes en 2010, laissant quelque 73 personnes sans emploi. Oh ! Bien sûr ! L'État est là pour s'occuper d'elles ! Il va y avoir des propositions de formation, de reformation, de déformation. Et puis, finalement, peu ont pu se reclasser, beaucoup ont découvert les joies immenses des discussions constructives avec un conseiller Pôle Emploi débordé.

Que je vous dise. Longtemps, j'ai été chaussé aux frais de l'armée française. J'avais une combine simple. Lorsque je rencontrais un appelé du contingent sympathique, je lui proposais de remplacer une vieille paire de "rangers" contre une neuve. Ça marchait bien, ça ne me coûtait pas beaucoup. Et puis, ça a été la fin de la conscription et mon plan tombait à l'eau.
Or, j'ai rencontré une personne qui travaillait en relation avec Marbot-Bata. Là, il n'était plus question d'être chaussé gratuitement mais, au moins, pouvais-je profiter d'un tarif préférentiel. C'est à cette époque que j'ai découvert qu'il existait deux gammes de brodequins de marche[2] au sein de l'armée française. Pour les appelés et sans doute quelques autres, de la croûte de cuir bien rude, pour les gradés, du cuir pleine fleur bien plus facile à assouplir.
Dans les années qui ont suivi, j'ai usé quelques paires de chaussures. Peu avant la fin de Marbot-Bata, alors que déjà des échos noirs se faisaient entendre, j'ai acheté une ultime paire de chaussures. Je les ai toujours, neuves, dans leur emballage.
Cette paire, je n'ai pas osé l'user. Je sais, c'est parfaitement stupide. J'ai cherché à faire ressemeler la paire précédente. Je n'ai pas trouvé de cordonnier très enthousiaste. Aussi, il faut dire que je l'avais usée en profondeur, cette paire de chaussures. Un jour, tout de même, il me faudra me remettre à chercher un moyen de faire placer une nouvelle semelle sur ces fidèles rangers.
A alors commencé une longue période de disette. J'ai dû me résoudre à me chausser avec n'importe quoi, allant jusqu'à porter des chaussures de sport[3]. Je n'y croyais plus, je n'avais plus la foi. J'avais chassé de mon esprit l'idée de reporter un jours ces chaussures fantastiques, confortables comme nulles autres, solides et élégantes mieux que les mocassins à gland. C'était la misère et la tristesse.
Et puis, voilà que je vois apparaître une annonce sur "leboncoin.fr". A deux pas[4], quelqu'un vend une paire de chaussures de chez Marbot ! Ah ! Ce n'est pas le modèle que j'affectionne, c'est un modèle plus évolué, avec un habillage en Gore-Tex©, le fleuron de la gamme ! Je n'ai pas remis la main sur le tarif de l'époque mais il me semble qu'il en coûtait quelque chose comme 200 euros. Celles-ci sont vendues 20 euros. Ça sent soit la bonne affaire soit la petite arnaque. J'entre en contact avec le vendeur, nous nous donnons rendez-vous. J'arrive avec mon billet de vingt euros en poche au domicile du vendeur. Celui-ci me présente les chaussures. Il me dit ne les avoir portées qu'une fois, ça ne lui convient pas. Pour le coup, hormis un cuir un peu râpé sur l'un des deux brodequins, ils semblent effectivement absolument neufs. Le cuir est encore bien rigide, il n'y a pas trace de plis. J'achète !

Il ne faut pas se mentir. Au départ, le port de ces chaussures est plutôt douloureux. Pour tout vous dire, j'ai eu l'idée idiote de les mettre pour une sortie à la Rochelle. J'ai eu très mal, j'ai eu les mollets en sang. J'ai serré les dents. Je suis resté quelques jours sans les porter, le temps que ça cicatrise. Et puis, je les ai remises pour quelques heures et pour quelques heures supplémentaires. A présent, ça commence à devenir vraiment confortable. Il va sans doute falloir encore quelque semaines de port régulier.

Notes

[1] Ce qui revient à dire que c'est le contribuable français qui paiera le coût de la délocalisation, en somme

[2] c'est le vrai nom

[3] la honte !

[4] ou plutôt quelques tours de roues

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