Etes-vous zombie ?

Un truc auquel il faut vraiment faire gaffe, dans la vie, c'est de ne pas devenir un zombie.

Ce n'était pas la première fois qu'il se réveillait. De mémoire, il ne se souvenait pas s'être souvent réveillé en si petite grande forme. Il y avait un truc. Ça n'allait pas fort. Il n'aurait pas pu dire qu'il avait froid lorsqu'il avait ouvert les yeux, non. Il n'avait pas froid, il était froid. Nuance. Il voyait flou. Trouble. Il n'avait plus une vision très nette des couleurs et de la lumière. C'était comme regarder dans un brouillard épais. Péniblement, il se redressa et il avait faim. Ce n'était pas une sensation de faim habituelle, il n'avait pas faim de pain beurré couvert de confiture et trempé dans un bol de café noir sans sucre, il avait faim de cervelle. Humaine.
Il était mort et était devenu un zombie. Une nouvelle vie commençait pour lui, si l'on peut dire. Traînant les pieds, il avait commencé à déambuler au hasard, guidé par la seule envie de cervelle fraîche qui le pressait de plus en plus. Il s'aperçut qu'il parvenait à distinguer les vivants à la teinte rouge qu'ils prenaient. Plus ils étaient proches et plus le rouge devenait éclatant. Il était attiré par ces vivants qui possédaient forcément une bonne cervelle bien juteuse.
Mort-vivant flambant neuf, il n'avait pas encore tout à fait acquis les réflexes et les techniques de chasse des zombies expérimentés. Il se contentait de répondre à son instinct, à se laisser attirer par les cervelles et à suivre les troupeaux des morts-vivants qui se concentraient en colonnes convergeant vers le rouge des cerveaux à manger. Il ne lui fallut pas très longtemps pour apprendre. La stratégie mise en place était de fait assez sommaire mais aussi relativement efficace. Elle consistait à isoler un vivant et à l'encercler. Les plus chanceux se chargeaient de broyer la boîte crânienne et faisaient un festin. Les autres n'avaient plus qu'à chercher une nouvelle proie. En fin de matinée, il avait pu manger une bonne première ration de cervelle mais cela n'avait en rien calmé sa faim. Il repartit traquer le vivant avec les autres.
Malgré ce que l'on avait pu en écrire, malgré ce que l'on avait dit à la télévision, la vie des zombies n'étaient pas si terrible que cela. Certes, il serait sans doute un peu précipité de prétendre que les morts-vivants étaient heureux. Ils ne l'étaient pas, c'était chose possible, mais peut-être bien que cette notion, l'idée même du bonheur ou du malheur, n'avait plus aucun sens pour eux. Du reste, il était permis de se demander ce qui pouvait avoir sens de leur point de vue. Semble-t-il, ils ne se souciaient pas plus de l'âge de leur pourvoyeur de cervelle que de leur sexe, de l'éventuel lien de parenté qu'ils pouvaient avoir auparavant, de l'apparence physique ou vestimentaire. Ils agissaient simplement comme si plus rien n'avait vraiment d'importance hormis la cervelle. A ce sujet, et je précise cela afin de clarifier ce point, les zombies n'étaient pas gastronomes du tout. Ils mangeaient sans user de beaucoup de raffinement dans la préparation de leurs repas. Ici, pas de petites sauces raffinées, de cuisine élaborée ou d'épices précieuses sélectionnées avec amour. Ça bouffait plus que ça mangeait, avec les doigts, à pleines mains, cru.
On ne savait pas vraiment comment étaient nés ces morts-vivants. Ça avait été comme une rapide épidémie qui avait gagné la planète entière en quelques jours. On n'avait pas trouvé de cause probante. Pas plus de virus que de contamination due à une centrale nucléaire défaillante ; pas l'ombre d'un laboratoire secret qui aurait laissé échapper une néfaste substance ; aucune trace de savant fou ; pas le moindre écho d'un complot ourdi par quelque obscure organisation clandestine. Rien de rien. On n'était même pas en mesure de dire avec exactitude où cela avait commencé. Ça avait été comme si un signal avait été donné et que partout le phénomène avait éclos. On savait que pour devenir mort-vivant, il n'y avait pas besoin de se faire manger la cervelle. Du reste, c'était même le meilleur moyen pour ne pas le devenir. Les morts ne se réveillaient pas pour devenir zombies comme les mauvaises séries Z avaient cherché à nous le faire croire durant des décennies. On devenait zombie sans prévenir ou presque. On ressentait une fatigue, on s'asseyait sur un banc, dans un fauteuil, dans un lit ou dans un pré et on se réveillait transformé. Aucun signe avant coureur, aucune typologie. Si l'on ne savait pas comment naissaient les morts-vivants, on avait rapidement compris comment les tuer. La méthode était bête et brutale mais efficace. Il s'agissait ni plus ni moins que de faire exploser la tête. Tout les moyens étaient bons et se valaient. Du coup de pioche au tir de char d'assaut, le résultat se révélait tout aussi concluant.
Le gros problème résidait dans la détection des morts-vivants nouveaux nés et dans la promiscuité avec les gens "normaux" dont on ne se méfiait pas assez, également dans un cas comme dans l'autre. Les histoires de collègue dévorant la secrétaire devant la machine à café ou de la ministre décapsulant la tête du chef de cabinet n'étaient pas rares. Il n'était raisonnablement plus possible de faire confiance à qui que ce soit et cela contribuait beaucoup au désordre ambiant. On s'était mis à tuer à tort et à travers. On tuait celui qui s'allongeait pour dormir après une dure journée de travail, la grand-mère qui entendait faire une sieste dans son fauteuil, l'enfant qui se laissait aller au sommeil après la tétée. Disons-le, la panique gagnait vite. Etant donné que l'on trouvait autant de zombie chez les policiers que chez les militaires ou le reste de la population, les peuples n'accordaient plus leur confiance à grand monde. La désorganisation totale avait gagné lorsque les chefs d'Etat avaient été atteints par le mal à leur tour et malgré les précautions qui avaient été prises. On avait bien tenté ici ou là de se retourner vers la religion pour éradiquer le mal qui devait forcément être l'œuvre du diable, du malin, d'un dieu en colère. Les curés, les rabbins, les moines bouddhistes n'avaient pas tardé à bouffer leurs ouailles dès que leur cervelle était à portée de mâchoire. Des illuminés crurent un instant qu'il devait exister un lieu préservé quelque part sur Terre. Les navires partirent, les avions décollèrent. Peu arrivèrent à bon port et ceux qui eurent cette chance déchantèrent vite. Ceux qui avaient choisi des terres vierges de vie humaine étaient contaminés, ceux qui avaient cru à l'innocence d'une peuplade éloignée furent bouffés.
Il ne fallut pas plus d'un an pour que le nombre de zombies dépasse celui des vivants. On avait noté depuis longtemps que les animaux avaient été totalement épargnés et certains avaient vu là la preuve de l'existence de l'âme, de l'esprit humain qui faisait de l'homme un être supérieur et éloigné du monde animal. Le plus grand nombre avait vite regretté de ne pas être un peu plus animal. Le nombre grandissant de zombies provoquait une hausse exponentielle de la fuite des cerveaux[1]. Comme ces temps troublés ne s'y prêtaient guère, on ne procréait plus beaucoup. Le spectacle de la mère dévorant le cerveau de son enfant à peine né avait fini par dégoûter les plus solides, il faut dire. Une fois le pic passé, les zombies commencèrent à avoir du mal à trouver pitance. Ils étaient les plus nombreux et ils erraient de plus en plus en se livrant une concurrence de plus en plus acharnée.
Au terme de la deuxième année, nous n'étions plus nombreux sur terre. Je suis bien en mal de pouvoir dire combien nous sommes à l'heure où j'écris ces lignes. Il y a bien longtemps qu'il n'y a plus aucun moyen de savoir ce qu'il se passe à plus ou moins grande distance. J'ai eu la chance de pouvoir faire assez de provisions pour tenir le siège en haut de ma petite montagne. J'ai des munitions pour longtemps encore. Je ne laisse personne approcher. Zombie ou pas, ça m'est égal. Je tire. Je suis replié là depuis près de six mois. Il y a bien quinze jours que je n'ai pas vu qui que ce soit arriver. Je sais que je risque de me réveiller zombie à mon tour un de ces jours mais je n'y pense pas trop. Je ne pense pas beaucoup à l'avenir, je ne pense plus à rien sauf à sauver ma peau le plus longtemps possible. Encore un an ? Un mois ? Une semaine ? Un jour ? Une heure ? Qui sait.

Note

[1] de leur place légitime s'entend.

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