Avoir des idées, c'est à la portée de n'importe qui

Les quelques rares envies de faire de la bande dessinées ou d'écrire un roman ont toujours eu pour origine un album de BD ou un roman que j'étais en train de lire ou que je venais de lire. D'un coup, tout semble si simple. Vous avez compris comment le romancier a construit son roman, vous comprenez comment ce dessinateur, ce scénariste, a bâti son histoire et vous vous dites que, finalement, il n'y a rien de bien sorcier dans tout cela.

Si j'savais faire, c'que j'voudrais faire, c'est écrire des romans (à succès). La BD, c'est sûr, j'aime bien mais je ne me sens pas capable d'en faire. Je ne sais pas pourquoi, c'est comme ça. Je crois que je trouve cela trop fastidieux. Par contre, oui, écrire un putain de bon roman que le lecteur ne peut pas lâcher avant la dernière page, ça oui, ça me botterait et pas qu'un peu.
Et il se trouve que mes tentatives dans l'un ou l'autre de ces domaines se sont soldées par des échecs retentissants. Enfin retentissants pour moi, hein. Le monde de l'édition s'en est très bien relevé et, même, n'a jamais eu vent de ce qui se tramait en mon chez moi. Et alors, je me demande bien pourquoi il y en aurait qui parviendraient à écrire et à dessiner des histoires, parfois fort mauvaises, et que moi, je ne serais pas capable d'écrire ou de dessiner une histoire au moins à peine plus mauvaise. C'est vrai que c'est là un mystère qui m'agace pas mal et j'aimerais assez trouver une explication un peu rationnelle à ce truc qui dépasse l'entendement. Qu'est-ce qu'ils ont de plus que moi, ces auteurs ? Hein ?

Et bien, je vais vous le dire ce qu'ils ont en plus : des idées ! Ça a l'air de rien, dit comme ça mais ça fait toute la différence. Vous pouvez me croire. J'ai bien étudié la question et j'en suis arrivé à la conclusion que l'idée était bien la chose la plus importante dans toutes ces histoires. Tenez, prenez une personne qui sait écrire, qui connaît bien les accords et les mots qui sonnent bien ou encore un dessinateur qui sait tenir un crayon et vous dessiner une pomme ou la bataille de Waterloo sur un coin de comptoir au bistro. Bon... S'ils n'ont pas d'idée, ils n'arriveront à rien de bien intéressant. C'est moi que je vous le dis et c'est pas des conneries.

Et donc, il se trouve que des idées, moi, j'en ai pas un début d'approche de commencement. Dans ma cervelle, c'est un peu comme si on avait passé un bon coup de mixer énergique. J'ai beau me creuser les méninges et me gaver de café, les idées ne viennent pas. Autrefois, nos ancêtres croyaient dur comme fer à la génération spontanée et il a fallu que Pasteur (Louis) débarque et dise :

"Tûût, tûût, tûût ! Pollope ! Tout ça, ce ne sont que bêtises et billevesées et j'ai idée que je vais vous le montrer, mes braves !"

Et là, si vous avez été un tant soit peu attentif à ce que je vous raconte, vous aurez noté que Pasteur a le pressentiment d'une idée. Et comme il tend à démontrer que la génération spontanée n'existe pas (bon, lui, son truc, c'était plutôt les microbes mais ça ne gâte pas la démonstration), il démontre qu'une idée ne vient pas toute seule, du style "bonjour, j'ai vu de la lumière et je me suis permis de franchir l'huis de votre cervelle".
Et si l'idée ne vient pas d'elle-même, c'est sans doute que soit il faut aller la chercher, soit elle est déjà là. Et oui ! Et alors, moi qui cherche des idées, je peux vous le dire, ça sert à rien de chercher. Les idées, ça se trouve pas comme qui dirait sous le sabot d'un cheval. D'autant plus que des chevaux, de nos jours, ça court pas les rues. Non, c'est certain, vous n'aurez des idées que si votre cervelle est déjà pourvue en idées à votre naisssance. C'est dur et ça fout en l'air tous les principes d'égalité mais c'est comme ça.
Il y en a qui n'auront, de par leur naissance, qu'une idée. C'est comme ça aussi. Ils auront une idée et, assez souvent, ils la gaspilleront bêtement. J'ai eu un copain, il y a longtemps, à l'école maternelle, qui avait une idée. Une seule idée. Cette idée, c'était de regarder la petite culotte de Virginie. Bon... Il a bousillé son idée idiotement dans la mesure où son idée (qui, fondamentalement, n'était pas pire qu'une autre) s'est soldée par une gifle et une mise au piquet pour le restant de la journée. Je ne sais pas ce qu'est devenu ce copain mais nous pouvons gager qu'il n'aura pas fait d'étincelles dans sa vie professionnelle. Il est peut-être devenu agent de la circulation, député socialiste ou musicien.
Il y a aussi le cas de la personne qui n'a qu'une idée et qui la garde toute sa vie durant. C'est ce que l'on appelle une idée fixe. Ça donne le pire comme le meilleur. A cause de leur idée fixe, certains vont consacrer leur vie à résoudre le théorème de Fermat et d'autres à prouver que la race blanche européenne et catholique est très nettement supérieure aux autres. Ne blâmons pas trop les matheux qui perdent leur vie à de si stupides occupations et disons-nous bien que nous ne choisissons pas notre ou nos idées.
Et puis, il y a aussi celles et ceux qui ont beaucoup d'idées. J'ai connu une personne qui en avait plein. Il en avait tellement que l'on pouvait avoir l'impression qu'il transpirait des idées de partout. Il ne pouvait pas vous parler sans s'exclamer d'un coup qu'il venait de trouver une idée ! "Je viens d'avoir une idée, disait-il, tu vas payer ta tournée et après tu en remettras une !". J'aimais pas beaucoup ses idées. Souvent, elles me foutaient dans la panade. Un jour, il a eu l'idée que je lui prête 500 euros et après, je ne l'ai jamais revu.

A n'en point douter, moi, au moment de la distribution des idées, j'ai pas été bien servi. Je ne dis pas que je n'en ai pas une. Je dis même que j'en ai quelques unes mais que, pfff, elles sont vachement pas terribles. Faut pas compter sur moi pour avoir une idée pour sauver la planète ou pour supprimer la faim dans le monde ou encore pour empêcher la tempête dans les Landes. Pour tout ça, j'ai rien dans le ciboulot. Moi, mes idées, elles sont plus terre-à-terre. Il y a l'idée d'aller se coucher quand je suis fatigué ou de manger quand j'ai faim. C'est du basique mais c'est bien utile dans la vie de tous les jours.
Un jour, j'ai acheté un bouquin d'un type qui disait qu'il avait un truc pour développer les idées dans la tête. Ça avait l'air de marcher puisque lui, il avait eu l'idée d'écrire ce livre et que moi, je ne l'avais jamais eue, cette idée. Alors, j'ai eu l'idée d'acheter son livre et de me développer des idées à moi. J'ai lu le bouquin et je suis resté très perplexe. Dans son bouquin, il disait qu'il fallait se mettre un bonnet en laine avec un ponpon sur la tête durant au moins quinze heures par jour en se concentrant sur la germination des idées du dedans de sa tête. Il avait une théorie que les idées, on en avait tous plus ou moins le même nombre mais que, chez quelques personnes, c'est comme si c'étaient des oeufs d'idées qui n'avaient pas éclos et que, donc, du coup, suffisait de monter un peu la température du crâne pour que ça naisse de partout.
Moi, j'étais bien un peu dubitatif parce que je me disais que, dans ces conditions, il y aurait forcément plus d'idées dans les pays chauds que dans les pays froids comme le Groënland ou Azerat-chez-moi. Et puis, tout de même, vu que j'avais payé le livre et que je ne voulais pas me donner l'idée que je m'étais fait avoir par un aigrefin, j'ai eu l'idée de tout de même croire un peu à sa théorie. Et j'ai acheté un bonnet à ponpon que j'ai porté au moins quinze heures par jour sur la tête. J'osais plus sortir de chez moi tellement je me sentais ridicule. Et puis aussi, ça grattait pas mal, sous le bonnet. Au bout de quelques jours, j'ai eu l'idée que ça n'allait pas être facile de cohabiter, le bonnet et moi. Je vous explique. Grosso modo, j'ai besoin de huit heures de sommeil. Au départ, je me disais que j'allais porter le bonnet pendant que je dormais et qu'il ne me resterait plus que sept heures à trouver pour compléter les quinze heures requises. Il me restait alors neuf heures par jour pour aller sans bonnet où bon me semblait. Mais ça n'a pas marché ! Le premier matin de la première nuit à bonnet, je me suis réveillé comme d'habitude, fatigué. Je me suis levé et je suis allé me faire du café. Et là, je remarque en me passant la main dans les cheveux que je n'ai pas de bonnet sur la tête. Il était tombé durant la nuit ! Il fallait donc que je porte le bonnet durant 15 heures puisque j'étais bien incapable de dire combien de temps il était resté sur ma tête cette nuit là. Je téléphone au bureau et j'invente un embarras quelconque pour ne pas y aller. La journée passe avec le bonnet sur la tête et je vais me coucher de nouveau. Au réveil, je vous le donne en mille, le bonnet gisait au bas du lit. Encore une fois, j'appelai pour dire que je ne pouvais aller au boulot. Le lendemain matin, pareil. Le surlendemain, le bonnet était sur la tête au réveil. J'avais pris soin de l'attacher solidement avec une paire de bretelles. Je pus enfin me rendre au travail. Avec satisfaction, je notai qu'une idée avec des bretelles était née du port du bonnet. Ce livre n'avait pas été écrit par un charlatan !

Après trois mois de port du bonnet à ponpon et de vie sociale assez réduite (je refusais systématiquement de répondre aux invitations ou d'inviter moi-même), je fus en mesure d'aborder la deuxième étape de "revitalisation du processus d'éclosion des idées" du Professeur Angelmann. A présent, il convenait d'affirmer vingt fois par jour, à des personnes que l'on avait à rencontrer dans sa vie quotidienne, au travail comme chez la boulangère ou dans le métro, que l'on venait d'avoir une "idée géniale". Et ceci même si c'était totalement faux. Le but de la manoeuvre était de créer une sorte d'émulation, une sorte de bouillonnement du cerveau susceptibles de faire naître plein d'idées nouvelles. Il fallait affirmer avoir des idées avec aplomb et ne pas craindre que l'on vous demande de quoi elle était faite, cette idée géniale. Le Professeur donnait le truc imparable pour se sortir de cette situation si en vérité, vous n'aviez pas d'idée géniale au moment précis. Il suffisait, écrivait-il, de fixer la personne et de lui dire d'un ton grave que cette idée géniale devait d'abord être communiquée aux hautes sommités scientifiques de votre pays tout en posant une main sur votre coeur et en laissant couler une larme (facultatif toutefois, le coup de la larme). De cette période, je me souviens que l'on a réellement commencé à se poser des questions quant à ma santé mentale, au travail. Plusieurs fois par jour, je m'exclamais "Je viens d'avoir une idée géniale" et je continuais à enlever les agrafes des liasses de documents que l'on déposait sur mon bureau. Je fus même convoqué pour un entretien avec le chef de bureau qui me demanda de me calmer un peu.

La troisième et dernière étape du programme a sans doute été la plus excitante et enthousiasmante. Elle consistait dans un premier temps à refuser toute idée qui ne venait pas directement de soi. Au travail, ça ne s'est pas très bien passé. J'ai été mis assez rapidement à pied puis on m'a licencié pour faute grave. En partant, pour bien leur faire sentir à tous que c'était une idée à moi, j'ai claqué violemment la porte. Au restaurant, une fois que l'on voulait m'imposer l'idée de manger un steak-frites au motif que c'était toujours ce que je prenais (avec une salade de betterave rouge en entrée) j'ai exigé en faisant un beau scandale que l'on m'amène une andouillette-frites. Bon... Je ne me souvenais pas que je détestais l'andouillette mais je n'avais pas eu d'autre idée. Dans ce livre, le Professeur Angelmann dit bien que, au départ, on peut avoir des difficultés à maîtriser sa production d'idées. Pour ma part, je crois que j'ai plutôt été influencé par le monsieur de la table d'à-côté. C'est à vérifier. Pas dans ce restaurant, en tout cas. Je n'y mets plus les pieds depuis que le serveur me regarde d'un oeil mauvais.
Dans un second temps, cette étape exigeait que l'on cherche à mettre en pratique ses idées quelles qu'elles fussent et à quelque heure que ce soit. J'ai commencé à vraiment me sentir bien, à me sentir vivre, à me sentir moi. Les idées ont fusé et je parvenais presque à toutes les maîtriser. J'avais l'idée de boire un café, je me faisais un café sur l'heure. J'avais l'idée de sortir me promener dans le square ? Je le faisais. J'avais des millions d'idées à disposition et je les sentais se bousculer au portillon. Un matin, j'ai eu l'idée de enfin me consacrer à ce que je voulais le plus faire au monde. Ecrire des romans ou faire de la bande dessinée. J'ai eu l'idée de prendre du papier et j'ai eu l'idée de prendre un crayon. Et alors, sans qu'elle prévienne, l'idée de créer un personnage de bande dessinée est arrivée ! C'est fou ce que la vie est simple, quand on a des idées à soi !

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