Palombes d'un doute

S'ils sont majoritaires, il n'y a pas que des salopards dans le genre humain. Quoi de mieux pour contrer les misanthropes et les fâcheux que de vous narrer un cas exemplaire ? Car oui, ne vous en déplaise, j'ai la chance de connaître de bonnes gens, des êtres humains pour qui les termes de gentillesse, de bonté, d'altruisme, ne sont pas galvaudés.
Récemment, je m'ouvrais à ces personnes des difficultés rencontrées pour se nourrir lorsque l'on a un maigre budget grandement amoindri par les nécessaires acquisitions de whiskies écossais hors de prix, de grands crus bordelais et de conséquents cigares de la Havane. Sans trop me plaindre, je disais ce quotidien constitué de pâtes et d'eau du robinet, je disais l'évitement des devantures trop alléchantes des pâtisseries, boucheries et charcuteries, des épiceries et marchands de fruits et légumes, sources de dépit et d'envies insatisfaites, je disais ce refus des livres de cuisine aux textes et illustrations insupportables pour qui s'en va au lit la queue basse et le ventre vide trop souvent. Les temps sont durs pour un pauvre hère tel que vous me voyez.
Ces personnes avaient par devant elles deux oiseaux chassés par une de leurs connaissances, des palombes. Les palombes, j'en avais entendu parler, comme les poulets ou le saucisson à l'ail, et je pensais que cela tenait de la légende, que cela ne pouvait exister ailleurs qu'au paradis qui accueillera les bons et les miséreux pour une vie meilleure faite de prière et de dévotion dans l'amour de dieu. Et ces personnes, bénies soient-elles, émues par mon malheur, touchées par ma triste condition, dans un geste gratuit (je n'aurais pas eu les moyens sinon) m'offrent deux palombes. Plumées et vidées. Charge à moi de les préparer.

Je me retrouve en mon étroit logis avec ces deux oiseaux et je me gratte le sommet de la tête. Que vais-je en faire ? Comment les préparer ? Quelle recette ? Je demande et me renseigne par-ci par-là et ça m'ennuie. On me conseille ceci, on me dit que c'est mieux comme ça. Non mais oh ! Après tout, j'ai le droit de donner mon point de vue sur la question, non ? Je vais faire à mon idée. Et voilà ce que cela donne.
J'ai d'abord coupé les oiseaux en deux dans le sens de la longueur avec un bon gros couteau bien solide. Ça a fait tchak ! et tchak ! et j'avais quatre morceaux. Dans une cocotte en fonte, j'ai fait fondre de la graisse de canard et j'ai fait revenir ces moitiés de palombe jusqu'à ce qu'elles soient bien colorés. J'ai fait flamber avec un peu d'alcool de prune. J'aurais voulu de l'armagnac mais je n'ai pas retrouvé la bouteille.
J'ai enlevé les palombes et j'ai mis à blondir deux échalotes et un oignon auxquels j'ai ajouté deux gousses d'ail écrasées et détaillées en éclats. J'ai coupé une belle tranche de jambon de cul noir du Périgord et en ai tiré des dés pas trop petits. Je les ai glissés dans la cocotte et ai remué. Un peu de sel, beaucoup de poivre et une légère pluie de farine de froment est venue recouvrir le contenu. J'ai mélangé l'ensemble d'une cuillère de bois bien vive. Les palombes sont revenues dans la cocotte et j'ai couvert à moitié de vin de Bergerac. J'ai attendu un instant que les vapeurs d'alcool s'échappent en remuant souvent et j'ai couvert, baissé le feu et laissé mijoter pour un peu plus d'une heure. Une demi-heure avant de déguster, j'ai ajouté des pommes de terre de belle qualité coupées en deux.
A l'heure de me mettre à table après le bénédicité, je peux vous assurer que je me suis bien régalé. J'ai bu un peu de ce même vin de Bergerac pour accompagner le plat.

Palombe à ma manière


PS J'avais oublié de préciser que j'ai aussi mis une belle carotte et du vert de poireau coupé très fin. Un délice, je vous dis !

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