Tentative de feuilleton collaboratif du mardi (37)

Et c'est reparti ! En viendrons-nous à bout de cette histoire qui n'a ni queue ni tête ? Aujourd'hui, pas grand chose à se mettre sous la dent. Un épisode de transition, dirons-nous.

Plus les barques approchent du port et plus leurs occupants distinguent nettement les mats et les navires. Dans la barque de tête, Chapraud et Chapraut sont à la manœuvre.

— Pourquoi c'est nous qu'on rame ?

— Il en faut bien ! estime Roland

— Oui mais pourquoi nous ?

— Parce que tant que vous avez les mains occupées, vous ne faites pas de bêtise, assène tante Etzelle. Contentez-vous de ramer dans la bonne direction. Souquez, moussaillons !

— Oui mais nous, on est gendarmes à pied, on n'est pas des gars de la marine.

— Ramez !

Poc.

La barque vient de toucher quelque chose. Elle n'avance plus. La deuxième barque rejoint la première et semble être arrêtée par un obstacle invisible elle aussi.

— Il doit y avoir une épave ou une branche d'arbre, dit Gaëlle. A marée basse, c'est souvent que ça arrive.

— Je ne vois rien, dit Robert.

— Moi non plus, dit Alice.

— Pas plus que moi, dit Arthur qui, du bout de sa rame fouille la surface. Non, il n'y a rien.

En voulant fouiller de l'autre côté de la barque, il soulève la rame dans les airs et la fait pivoter par-dessus les têtes.

Poc.

— J'ai touché quelque chose ! Annonce-t-il mi incrédule mi effrayé. J'ai touché quelque chose en l'air.

Poc. Poc.

— Là, juste là. Devant. Comme un mur invisible ! Je vous jure, regardez !

Poc. Poc. Poc.

Hormis les Chapraud-Chapraut qui ne semblent pas concernés par la stupéfiante découverte, tout le monde s'avance pour toucher l'incroyable du doigt. Ils tâtent, ils poussent.

— Nous voilà beaux, juge Arthur.

— Gardons notre calme et soyons rationnels. Cela n'est pas possible. Il doit y avoir quelque chose que nous ne comprenons pas. Dit doctement Robert.

— Tu l'as dit ! Pour quelque chose que l'on ne comprend pas, on ne comprend pas ! Ricane Arthur.

— Moi je sais ce que c'est, annonce calmement Kermitt.

— Ah ? Et c'est quoi, Monsieur Kermitt ? demande, narquois, le facteur.

— Un mur invisible.

— C'est bien, Kermitt, c'est bien.

Roland est pensif. Il a attrapé une rame et juge au toucher l'étendue du mur. Sous l'eau, il y a le mur. Au-dessus de l'eau et au moins jusqu'à hauteur de rame, il y a le mur.

— Mon avis, c'est que nous sommes prisonniers de Lafleur et du Nautilus. C'est comme son histoire de voyage dans le temps. Il a aussi le pouvoir de créer une sorte de champ de force qui nous empêche de nous éloigner trop du Nautilus. C'est pour ça que l'on ne nous a pas poursuivi dans notre fuite. C'était trop beau, on aurait dû se méfier.

— Oui ben nous, on en a marre de vos histoires. On arrête là. On descend. Tu viens, Chapraut ?

Chapraud a posé son aviron et s'est levé. Suivi de Chapraut, il enjambe la coque et pose un pied sur l'eau. Il hésite un instant et il pose un deuxième pied. Il se retourne vers Chapraut.

— Bon, vous venez, brigadier ?

Dire que la stupéfaction est à son comble est un doux euphémisme. Tous sont là, muets, à regarder les deux gendarmes se tenir sur leurs jambes à la surface de l'eau.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Vous avez jamais vu de gendarme ? Demande Chapraud, l'air en colère.

— Incroyable ! Vous marchez sur l'eau !

— Madre de dios ! Comme Jesus ! crie José qui est tombé à genoux et semble implorer dieu en joignant ses mains et en levant la tête vers le ciel. Un miracle ! Mon dieu ! Un miracle !

— Miracle ou pas, c'est assez... miraculeux, juge Arthur.

— Et alors ? On fait quoi ? demande Kermitt.

— On retourne au Nautilus ? propose Alice.

— On retourne au Nautilus. Dit tristement Roland. Récupérez les gendarmes si vous le pouvez.

Chapraud et Chapraut se font un peu tirer l'oreille mais se décide à revenir à leur barque et à reprendre les avirons lorsque l'on leur promet qu'ils auront sans doute du calvados en remerciement.

La mine basse, nos marins reviennent vers le quai d'où ils étaient partis.

Lafleur est là pour les accueillir. A ses côtés, le père Moulard continue de dégoutter. Gérard se tient un peu à l'écart. Visiblement, il a un peu forcé sur le jus de pomme.

— La croisière a été bonne ? s'amuse Lafleur. Je ne vous en veux pas d'avoir essayé. C'est tout à fait normal. A votre place, j'en aurais fait tout autant. Je vous ai observé. J'ai beaucoup apprécié le numéro des duettistes. Ils devraient penser à une reconversion professionnelle. Le monde du cirque leur est grand ouvert.

Le docteur Gemenle et Östäl attrapent les barques et les amarrent. Ils aident les fuyards à revenir auprès d'eux. Sur l'ordre de Lafleur, Colette est partie chercher une bouteille de calvados qu'elle propose aux marins dépités. Quelques bras se tendent et c'est celui de Kermitt qui est le plus rapide à s'emparer du flacon. Sous les regards envieux des gendarmes.

— Votre pouvoir est grand, Monsieur Lafleur, commence Roland. Nous avons été très impressionnés par votre démonstration. Honnêtement, le voyage dans le temps, nous étions quelques uns à ne pas y croire. Mais là, réussir à maîtriser la matière de la sorte, chapeau bas !

— Moui, moui, c'est pas mal, en effet, jubile Lafleur qui vient de se faire apporter un cocktail. Mais tout le mérite revient à mon bon ami Moulard. Sans lui, sans son jus de moule, rien de cela ne serait possible.

Le père Moulard ne semble pas bien comprendre. A tout hasard, il s'engage dans la discussion.

— C'est que le jus de moule, je nage dedans depuis que je suis petit. Petit à petit, dans mon laboratoire, je le perfectionne. J'ai comme dans l'idée que ça pourra servir à quelque chose. Ce qui est délicat, c'est l'odeur. Pour le moment, je n'ai pas trouvé comment développer encore un peu plus les arômes...

— C'est déjà très bien ainsi, le coupe Lafleur, au bord de la nausée.

— C'est que au port, on dirait qu'on m'évite, avoue le père Moulard, un peu triste.

— Que voulez-vous ? Vous êtes en avance sur votre temps, père Moulard !

Le docteur Gemenle s'approche de Lafleur et lui dit quelque chose à l'oreille. Lafleur opine du chef et donne quelques ordres au docteur qui va les donner aux autres membres d'équipage.

— On m'informe que le chargement est fait. Nous allons devoir laisser notre ami Moulard que nous reviendrons probablement visiter prochainement.

Lafleur fait un geste de la main pour dire au-revoir au père Moulard qui, lui, préfère une solide et cordiale embrassade. Il lance ses bras autour de Lafleur et le sert contre lui. On peut voir Lafleur changer de couleur en temps réel et passer au vert. Est-ce l'émotion ? Le voilà qui se sent mal, ses jambes se dérobent, deviennent molles, ne peuvent plus le soutenir. Le verre à cocktail est le premier à toucher le sol. Tout de suite après, Lafleur s'écrase à ses côtés. Colette et le docteur Gemenle accourent à son secours. Ils lui tapotent le visage, tentent de le faire revenir à lui. Il résiste, il préfère être dans les vapes plutôt que d'avoir à revivre cette putride étreinte, Lafleur. Il préfère encore être inconscient. Colette appelle Östäl et Gérard à la rescousse et à eux tous, ils soulèvent Lafleur pour l'amener à bord du Nautilus. Pendant ce temps, on s'occupe à guider la fine équipe constituée de Roland, Gaëlle, Alice et toute la clique vers le sous-marin. Personne ne fait d'histoire. Le petit clan formé par les gendarmes et Kermitt s'attache à bien vider la bouteille de calvados sans plus s'occuper d'autre chose.

Une fois tout le monde à bord, on s'occupe à réanimer et à laver Lafleur. Colette est équipé d'une bombe aérosol de désodorisant et tente de remplacer la puanteur du jus de moule fermenté par celle, pire peut-être, d'un sous-bois de résineux. Le mélange des deux parfums est d'une rare complexité olfactive qui a le pouvoir de révulser les estomacs. Les odeurs de bile et de calvados viennent se mêler aux effluves préexistantes et c'est la bouche serrée que les membres d'équipage font plonger le Nautilus. A bord, personne ne parle de peur qu'un malheur arrive si l'on doit ouvrir la bouche. Pendant que le Nautilus s'enfonce, Lafleur refait surface. Il rejoint le poste de commandement un peu chancelant. Il ne semble pas au mieux de sa forme. D'ailleurs, il refuse le cocktail que lui propose Colette. Il s'installe dans son fauteuil de capitaine et observe les instruments de bord, boussole, altimètre, baromètre, thermomètre, indicateur d'assiette, résolveur de soucoupe et déconomètre à dépression. En fonction de ses observations, il agit comme il se doit de le faire sur les manettes, leviers et boutons poussoir. A l'aide des palonniers et de la barre, il navigue au plus près des hauts fonds avec prudence. Il cherche le chenal qui lui permettra de rejoindre la haute mer. Lorsqu'il l'a trouvé, il appuie sur la pédale d'accélérateur, donne un petit coup d'avertisseur sonore et file en ligne droite. Alors, une fois qu'il a stabilisé sa vitesse et fixé son cap, il se munit du micro et annonce à l'équipage entier :

— Chers amis, à présent nous partons pour un voyage au plus profond des mers, aux confins du centre de la terre !

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